Dixit Laurent Laplante, édition du 14 août 2006

La paix des cimetières

D'énormes avalanches de candeur, d'ignorance ou de mauvaise foi sont nécessaires pour considérer comme un cessez-le-feu la cynique mascarade à laquelle vient de s'adonner le Conseil de sécurité de l'ONU. Même si les États-Unis et la France avaient déjà vicieusement vidé les mots de leur sens, rien ne justifie, en effet, la propagande lénifiante et mensongère qui maquille en paix équitable et négociée l'agenouillement imposé au Liban. Rien non plus ne rend crédible ou tolérable l'absolution accordée par le Conseil de sécurité aux exactions commises par Israël et son complice étatsunien. Croire ce que le Conseil de sécurité de l'ONU brandit comme une promesse de paix, ce serait de notre part, semblables aux Allemands de 1932 ou de 1934, nier la montée de l'impérialisme raciste.

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La réalité, ce n'est pas que les armes se sont tues ou vont se taire. Personne, pas même ceux qui nous demandent de le croire, n'adhère à cette fiction. Les envahisseurs israéliens occuperont le sol conquis aussi longtemps qu'ils le voudront. Le Hezbollah, que Tsahal affronte le moins possible, gardera ses armes et continuera à s'arroger le rôle de l'armée nationale libanaise. Bombes et roquettes continueront à pleuvoir, tout simplement parce que le Conseil de sécurité perd son temps et le nôtre à ergoter sur ce qui ne se produira pas. Rien ne garantit un cessez-le-feu, car aucun des deux belligérants n'en veut. Quand le Hesbollah s'impatientera, à juste titre d'ailleurs, des vols israéliens et de la circulation des drones à quelques mètres au-dessus des civils libanais, il tirera quelques roquettes. Et Israël, jugeant que le Hezbollah continue ses activités qualifiées de terroristes, reprendra ses bombardements, si même ils ont été suspendus. Et le vaste choeur des menteurs à gages et des inconditionnels de la diaspora réaffirmera le droit d'Israël de se défendre.

Cessez-le-feu ? Mensonge délibéré et insulte à l'intelligence. Ce n'est pas parce que plusieurs de nos quotidiens populaires affirment qu'« Israël accepte le cessez-le-feu » qu'il faut les croire. Présumons quand même la bonne foi de ces vendeurs de copie, car il ne faut jamais évoquer de noirs complots quand la bêtise suffit.

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Faut-il, malgré tout, s'interroger sur l'identité des vainqueurs ? Je le crois, sans aimer l'exercice. La victoire tangible et scandaleuse, c'est celle des militaires sur les civils. Celle des bombes israéliennes sur les Libanais sans armes ni uniforme. Tout comme la victoire étatsunienne sur le Japon de 1945 fut celle des bombes atomiques larguées sur des civils. Semblable à celle que recherchait Hitler avec ses V-1 et ses V-2. Semblable à celle des « libérateurs » étatsuniens bombardant Dresde. En oubliant qu'à triompher grâce à l'immolation des non-belligérants, on se salit. Que je sache, la démocratie préfère les mains nettes.

Qu'on nous épargne la propagande pro-israélienne selon laquelle les civils libanais ne sont morts qu'en raison de la présence à leurs côtés et dans leurs caves des terroristes du Hezbollah. Malgré la censure qu'Israël impose, toute personne de bonne foi sait aujourd'hui, grâce à Human Rights Watch et à des journalistes présents sur les lieux comme Robert Fisk, que cette mauvaise excuse vise à occulter les crimes de guerre d'Israël. Aucune preuve n'a été offerte à l'appui de cette accusation et les exemples abondent d'attaques menées par Israël contre des cibles sans le moindre intérêt militaire.

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La réalité, ce n'est pas que le Conseil de sécurité fait se lever la paix sur un pays saigné dans ses vivants et dans son âme. C'est qu'un État injustement écrasé sous les bombes est contraint à une capitulation honteuse et qu'il voit se recroqueviller le territoire national. Peut-être même ce pays est-il déjà promis à la disparition. La réalité, c'est qu'un millier de ses enfants sont morts, que des milliers d'autres vivront avec l'hypothèque de blessures et de handicaps, qu'un quart de la population appartient désormais à la sous-race des réfugiés, que des milliers d'humains renoncent à habiter un pays soumis aux crimes israéliens et à la lâcheté onusienne, que la destruction de ses infrastructures renvoie la société un siècle en arrière. Et tout cela, pour quel crime exactement ? Qu'on le nomme.

J'entends d'avance la rengaine : Israël a le droit de se défendre. C'est vrai, mais n'en déplaise à tous les Olmert, Bush, Harper et Ignatieff dont nous sommes affligés, un monde de décence et de dignité distingue la légitime défense de la barbarie. Tuer dix fois plus de civils libanais que de militants du Hezbollah, ce ne peut pas être une défense légitime. Se confirme la conclusion de La lettre à un otage de Saint-Éxupéry : « Il n'y a pas de commune mesure entre le combat libre et l'écrasement dans la nuit ».

Ce qu'avalise le Conseil de sécurité, c'est une bassesse et une lâcheté morbide. Chaque militant du Hezbollah aurait-il la feuille de route du tueur en série que Tsahal agirait sans décence en liquidant plus de victimes que lui dans sa rage de ne pas le neutraliser. Cette indécence est observable. Les civils libanais ont été pris en otages et ravalés au rôle négligeable de dommages collatéraux. Leur mort, de dire le suave Bolton, pèse moins lourd que celle des civils israéliens. Himmler aurait approuvé.

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Ce que nous avons devant les yeux, c'est une invasion israélienne qui n'a rien à voir avec l'enlèvement d'un soldat israélien. C'est une guerre menée à l'encontre des pauvres règles qui tentent de civiliser quelque peu la conduite des opérations militaires. C'est la colère de généraux qui, au lieu d'affronter le Hezbollah et ses guerriers fanatiques, s'adonnent au sacrifice d'humains innocents en jouant les victimes.

La paix qu'impose le Conseil de sécurité, c'est celle des cimetières.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20060814.html

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