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Internet a trente-cinq ans, biographie sommaire

Publié le 14 septembre 1999 dans
Les Chroniques de Cybérie

On ne s'entend pas sur sa date de naissance précise.  Certains ont célébré l'événement le 2 septembre, d'autres attendront au 20 octobre.  Le 2 septembre 1969, l'équipe de Leonard Kleinrock, professeur à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), réussissait à mettre en connexion un ordinateur et un routeur, élément essentiel du dialogue entre machines.  Mais ce n'est que le 20  octobre de la même année que l'équipe de Kleinrock put établir une connexion entre un ordinateur depuis l'UCLA avec un autre ordinateur, celui-là situé au Stanford Research Institute (nord de la Californie).

On attribue à Kleinrock une grande responsabilité dans la mise sur pied d'Internet.  En effet, il a été l'auteur en 1961, alors qu'il était au MIT, du premier document traitant de ce qui était alors la «théorie» de la transmission de données par paquets (Information Flow in Large Communication Nets).

C'était le début d'Internet, alors connu sous le nom d'Arpanet (Advanced Research Project Agency Network).  L'agence de recherche avancée avait été mise sur pied par le ministère américain de la Défense et subventionnait généreusement des projets de recherche en tous genre, dont celui des équipes de UCLA et de Stanford.

Kleinrock relatait il y a quelque temps, non sans une certaine nostalgie, cette première transmission de données par paquets entre deux ordinateurs.  Un technicien, muni d'un casque de téléphoniste était en communication téléphonique vocale avec un autre technicien, celui-là à Stanford.  Assis devant leurs ordinateurs respectifs eux-mêmes «interconnectés» sur ligne dédiée, ils procédèrent alors à une expérience déterminante.

Le professeur Jean-Claude Guédon, auteur du livre «La planète cyber : Internet et cyberespace» nous apporte quelques précisions.  «Le 2 septembre, on a réussi à mettre en liaison un Honeywell DDP 516 (le IMP, Interface Message Processor, qui n'est pas exactement un routeur et qui fut mis au point par BBN) avec l'ordinateur de UCLA, un Sigma-7 de Scientific Data Systems.  Voir le livre de Katie Hafner et Matthew Lyon, "Where Wizards Stay UP Late" qui a été traduit en français, incidemment.  Pour les nouvelles lectures, il ne faut pas oublier le livre récent de Janet Abbate, "Inventing the Internet", même si Vint Cerf n'est pas d'accord avec certaines de ses interprétations.  T.P. Hughes parle aussi d'Arpanet dans son ouvrage "Rescuing Prometheus".  Ce fut le directeur de thèse de Janet Abbate.

Toujours est-il que le technicien de UCLA devait écrire «log» et celui de Stanford compléter par «in», le mot «login» devant s'afficher sur les écrans des deux ordinateurs.  Le technicien de UCLA entra la lettre «L», celui de Stanford confirma vocalement au téléphone la réception.  Puis, selon Kleinrock, quand le technicien de UCLA entra la lettre «O», tout le système s'effondra.  Cette version est cependant contredite par l'historien du Net Robert Hobbes Zakon qui affirme que le crash survint à la lettre «G».  Quoiqu'il en soit, de cet embryon fragile allait naître le réseau.

Il serait trop long ici de reprendre la multitude de faits marquants ayant jalonné l'évolution du réseau, mais allons-y de quelques dates importantes.

En 1974, Vint Cerf et Bob Kahn publient un ouvrage qui détaille un nouveau protocole de transmission par paquets, le Transmission Control Program (TCP).  Le courrier électronique naît, pour ainsi dire, en 1975 quand John Vittal conçoit MSG, le premier logiciel intégré de gestion du courrier électronique à inclure les fonctions d'envoi, de réponse, de renvoi et de classement des messages.  La première liste d'échange (modérée) voit aussi le jour, MsgGroup, ainsi que la première liste de discussion «non technique», SF-Lovers, qui traite de science-fiction.

En 1976, la reine Elizabeth II envoie un message de courrier électronique depuis les laboratoires du Royal Signals and Radar Establishment (RSRE).  Puis en 1977, Larry Landwebber de l'Université du Wisconsin met sur pied THEORYNET, un réseau d'échange par courrier électronique reliant une centaine de chercheurs en informatique.  On travaille à la normalisation des protocoles de courrier avec le «RFC 733 Mail specification».  Le maillage prend de l'ampleur.

Puis, tout s'accélère.  En 1979 arrivent les forums d'échange (newsgroups) sur USENET et les MUD (Multi-User Dungeon).  Le 12 avril, un chercheur du nom de Kevin MacKenzie transmet un message sur MsgGroup et suggère de communiquer des sentiments et des émotions avec le médium assez froid qu'est le courrier électronique.  Il propose d'utiliser des signes typographiques conventionnels pour «dessiner» des physionomies qu'on regardera en se penchant la tête à gauche, comme :-) ou :-( exprimant un sourire ou une mine déconfite.  Cette proposition est chahutée par les puristes sur le forum d'échange, on connaît la suite (=_=).

En 1981, on monte le réseau BITNET (Because It's Time NETwork), et le Minitel se déploie en France.  En 1982, la notion de «réseau de réseaux» s'établit, et on «définit» Internet comme étant «un ensemble de réseaux interconnectés, spécifiquement ceux qui utilisent le protocole TCP/IP».  Le ministère américain de la Défense annonce que le protocole TCP/IP sera désormais la norme.

Le «Name Server» est mis au point à l'Université du Wisconsin en 1983, évitant ainsi d'avoir à connaître et à écrire le parcours exact entre serveurs des messages ou fichiers qu'on transmet.  Aussi en 1983, FidoNet est mis au point par Tom Jennings, le système verra ses heures de gloire sur les babillards électroniques (BBS).

L'année 1984 ne voit pas la matérialisation des craintes de George Orwell, mais William Gibson publie le livre culte «Neuromancer».  Le système des noms de domaines est mis en place, il y a un millier d'ordinateurs interconnectés; l'URSS se branche à USENET.

Première communauté virtuelle en 1985, le «Whole Earth 'Lectronic
Link
» (WELL).  Le 15 mars, on attribue le premier nom de domaine commercial à un fabricant de matériel informatique, Symbolics.Com.  Toutes les universités canadiennes sont branchées à Internet.  En 1986, la National Science Foundation (NSF) met sur pied une dorsale à 56Kbps, et Cleveland est doté d'un premier Freenet (libertel).

En 1987 se tient la première conférence sur l'interopérabilité TCP/IP, un premier message est envoyé de Chine, le millième RFC (Request for comment) est publié, BITNET compte mille ordinateurs sur son réseau, et Internet 10 000.

Le 2 novembre 1988, premier «ver» informatique, 6 000 des 60 000 ordinateurs constituant Internet sont infectés, la DARPA met sur pied un organisme d'intervention, le Computer Emergency Response Team (CERT).  Jarkko Oikarinen met au point l'Internet Relay Chat (IRC).

Décloisonnement en 1989, MCI et CompuServe deviennent les premiers réseaux commerciaux à offrir une passerelle relais de courrier électronique de leurs réseaux à Internet.  Le nombre d'ordinateurs constituant l'Internet atteint 100 000.

En 1990, on dissout l'ArpaNet.  Peter Deutsch, Alan Emtage et Bill Heelan de l'Université McGill (Montréal) mettent au point Archie, un service permettant de rechercher des fichiers dans Internet.  Premier fournisseur d'accès commercial «pur Internet», The World, à offrir l'accès par ligne téléphonique commutée; formation de CA*net par dix réseaux régionaux constituant la dorsale canadienne.  À une conférence sur l'interopérabilité, on fait la démonstration d'un grille-pain activé à distance grâce au protocole SNMP ((Simple Network Management Protocol).

Grand déblocage commercial en 1991, la Commercial Internet eXchange (CIX) Association est formée après que la National Science Foundation ait levé les restrictions sur l'utilisation commerciale d'Internet.  Les outils de recherche WAIS et Gopher font leur apparition, de même que le logiciel de protection des données PGP (Pretty Good Privacy) de Philip Zimmerman, pendant qu'en Suisse, au CERN, Tim Berners-Lee conçoit le World Wide Web.

En 1992, l'Internet Society (ISOC) obtient sa charte constituante; le nombre d'ordinateurs reliés à Internet atteint le million, Veronica, un outil de recherche gopher vient rejoindre son petit ami Archie.  L'expression néologique «surfing the Internet» est introduite par Jean Armour Polly; Brendan Kehoe publie «Le Zen et l'art de l'Internet».

Puis, en bref, 1993 marque l'arrivée de la Maison Blanche en ligne, de même que celle des Nations Unies.  Aux États-Unis on adopte la Loi sur l'infrastructure de l'information, le fureteur Mosaic fait son apparition, et le Web explose avec un taux annuel de croissance de 341 634 %.

Enfin, en 1994, les dix domaines les plus importants sont .com, .edu, .uk, .gov, .de, .ca, .mil, .au, .org et .net.  La première station de radio «pur Net» arrive, ainsi que les premières galeries commerciales.  Canter & Siegel, un cabinet d'avocats de l'Arizona effectue la première campagne de spam d'envergure.  Et par un froid matin d'automne, les Chroniques de Cybérie voient le jour.  Le premier numéro est envoyé par courrier électronique à quelque cinq «abonnés».

Pour Jean-Claude Guédon, le phénomène le plus significatif récemment est la montée des logiciels libres, «ossature fondamentale d'Internet, sans lesquels Internet serait tout autre.  Linux constitue le symbole le plus visible de tout cela, mais Apache, Free BSD et tout le mouvement FSF et GNU se tient derrière ce vaste mouvement.»

Pour ce qui est du livre de Jean-Claude Guédon, «La planète cyber : Internet et cyberespace» publié chez Gallimard, la première édition est épuisée.  Mais, bonne nouvelle, l'auteur nous a dit être en train de mettre la dernière main à la deuxième édition.  À surveiller.

Voilà donc une biographie très sommaire du réseau que vous utilisez.  Par contre, ceux et celles qui souhaitent en savoir davantage peuvent consulter, sur le site de l'Internet Society, les nombreux textes de la section consacrée à l'histoire d'Internet, de même que le site de l'UCLA sur le 30e anniversaire d'Internet.
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