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Le courriel a trente-trois ans

Publié le 2 octobre 2001 dans
Les Chroniques de Cybérie

Comme le temps passe.  On ne peut attribuer de date précise à la naissance du courriel, mais on s'entend pour parler de l'automne 1971.  La messagerie électronique arrive avec Ray Tomlinson, un diplômé du MIT à l'emploi de la société Bolt Beranek and Newman (BBN), un sous-traitant du gouvernement américain pour le projet ARPANET.  Tomlinson met au point un petit programme, SNDMSG (send message - envoyer un message) qui fonctionne localement sur un ordinateur.  Avec SNDMSG, les chercheurs qui travaillent sur un même ordinateur peuvent s'y laisser des messages dans des répertoires désignés.  SNDMSG, comme d'autres programmes du genre à l'époque, n'est en fait rien de plus qu'un pigeonnier, un babillard pour les chercheurs qui se partagent l'utilisation d'une même machine.

Tomlinson travaillait parallèlement sur un protocole de transfert de fichier, le CPYNET à l'aide duquel on pouvait copier simultanément un fichier sur les quinze ordinateurs interconnectés qui composaient alors ARPANET.  C'est alors que l'idée vint à Tomlinson : si on pouvait échanger des fichiers entre ordinateurs, pourquoi pas adresser des messages en texte?

Adresser, certes, mais à quelle «adresse»? Tomlinson retient alors l'arobase, @, pour séparer le nom du destinataire de celui de l'ordinateur sur lequel il est inscrit.  Les avantages sont manifestes.  D'une part, l'@ ne fait pas partie des noms communs ou propres et ne peut donc, sur le plan de la syntaxe, porter à confusion.  D'autre part, il comporte une puissante symbolique car @, en anglais, se prononce «at», c'est-à-dire «chez» ou «à» en français.  C'est ainsi que tomlinson@bbn-tenexa devint la première adresse de courrier électronique de l'histoire : BBN pour le nom de l'employeur de Tomlinson, tenexa en raison du système d'exploitation Tenex qu'utilisait alors BBN.  Notons l'absence de suffixe de domaine (.com, .net, ou autre) qui ne devait apparaître que quelques années plus tard.

En modifiant légèrement le programme SNDMSG, Tomlinson se créa donc deux boîtes aux lettres électroniques sur deux ordinateurs situés côte-à-côte chez BBN et réussit à «adresser» un message d'un ordinateur à un autre.  Et le contenu de ce premier courriel de l'histoire? «QWERTYUIOP», soit la deuxième rangée des touches sur un clavier anglais.

Jerry Burchfiel, un collègue de Tomlinson chez BBN confiait en entrevue à la revue Forbes, en 1998, que l'inventeur du courrier électronique se voulait discret sur ce qu'il venait de mettre au point.  «Lorsqu'il me l'a montré, il m'a dit “n'en parle à personne, nous sommes censés travailler sur autre chose”» raconte-t-il.

Mais les craintes de Tomlinson furent vite dissipées lorsque Larry Roberts, un des directeurs de la DARPA (organisme gouvernemental de tutelle d'ARPANET) adopta le courrier électronique pour toutes ses communications officielles avec les chercheurs.  Ces derniers, tributaires de Roberts et de la DARPA pour leurs budgets de recherche, n'eurent d'autre choix que de se mettre au courrier électronique.  Deux ans plus tard, une étude révélait que le courrier électronique représentait 75 % du trafic sur ARPANET.

Il faudra attendre 1975 pour que John Vittal conçoive MSG, le premier logiciel intégré de gestion du courrier électronique à inclure les fonctions d'envoi, de réponse, de renvoi et de classement des messages.  La première liste d'échange (modérée) voit aussi le jour cette année là, MsgGroup, ainsi que la première liste de discussion «non technique», SF-Lovers, qui traite de science-fiction.

Autour de ce trente-troisième anniversaire, pour les férus d'histoire, rappelons notre texte de septembre 1999, «Internet a trente ans, biographie sommaire».  Bruno Giussani nous proposait en début d'année «L'histoire secrète du signe @», un texte fort intéressant sur l'origine de l'arobase et ses diverses significations culturelles.  Enfin, comme toujours, le site @robase, tout sur le courrier électronique, et en français.
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