11.3.04

US Press Torpedoes Aristide

«The most extraordinary part of the coup in Haiti was not the fact that the Bush Administration was directly involved in the deposing of a democratically elected leader. No, that type of criminal behavior is almost a requirement of the office at this point in time. The real surprise is that not one major newspaper in the country has spoken out in favor of restoring Aristide to power. [...] The media has responded with such frightening uniformity that even skeptics must be shocked

Ce commentaire de Mike Whitney, publié dans Counterpunch, est une des rares critiques adressées aux grands médias dans leur couverture de la crise haïtienne. Il poursuit en écrivant que la similarité étonnante dans la description des détails sur le coup d’État, et les omissions prévisibles de toute implication des États-Unis, auraient eu de quoi impressionner les rédacteurs en chef de la Pravda.

Whitney s’en prend aux grands médias étasuniens, mais n’y aurait-il pas dans nos médias québécois une attitude semblable à celle qu’il déplore chez nos voisins du sud?

À l’égard des faits, Denise Bombardier dans Le Devoir du samedi 6 mars résume bien l’ensemble de clichés que l’on a pu lire ou entendre dans nos médias : «Aristide, l’ex-prêtre formé à la démocratie, premier président élu, a lui-même sombré dans la corruption et la violence et s’est en peu de temps transformé en chef exécuteur des meurtres et tortures si caractéristiques du régime depuis plus de cent ans.» Même au Québec, où on est beaucoup moins enclin aux litiges juridiques qu’ailleurs, on intenterait une poursuite pour bien moins s’il ne s’agissait d’un président haïtien en exil forcé.

Il y a aussi des attitudes que l’on pourrait qualifier de généralement méprisantes à l’endroit des Haïtiens. Par exemple, le 10 février dernier, René Mailhot parlait au micro de Marie-France Bazzo du degré de politisation des Haïtiens, et disait qu’en somme «les Haïtiens sont très politisés, ils n’ont que ça à faire». Vraiment?

Puis, il y a le non dit, les réalités passées sous silence, mais qui pourraient mieux éclairer la situation, aider à la comprendre. MADRE, un organisme de défense des droits des femmes et enfants a publié un dossier d’information très étoffé sur l’historique de la crise. Par exemple, pourquoi ne nous a-t-on pas dit que les États-Unis avaient bloqué une enveloppe d’aide totalisant 650 millions de dollars US (le budget annuel de l’État haïtien est de 361 millions de dollars) à la suite des élections contestées en 2000? Ah oui, ces élections «frauduleuses» sans supervision internationale...

Pourrait-on souligner que la Coalition internationale des observateurs indépendants (International Coalition of Independent Observers, ICIO) était sur place à surveiller le déroulement des élections? Citons du dit rapport : «In conclusion, despite democratic barriers such as the traditional political system, scrutiny from the international community - particularly the United States - that was often unreasonable, and the challenges presented by severe illiteracy, poverty and substandard infrastructure, two elections were held successfully, both with a large voter turn out rate.»

Parlons aussi des bourdes journalistiques. Le journaliste Étienne Leblanc dans son reportage «La désillusion des jeunes Haïtiens de Montréal» diffusé à l’émission «Désautels» (Première chaîne de Radio-Canada) le mardi 24 février interviewait de jeunes Haïtiens d’ici. Mais que venait donc faire, sans mise en contexte, un extrait du discours de départ de Jean-Claude Duvalier prononcé dans la nuit du 6 au 7 février 1986? J’ai reconnu l’extrait, qui figure dans mes archives personnelles, j’étais à Port-au-Prince lors de cette «longue nuit». Et d’enchaîner, toujours sans préciser l’origine de cet extrait sonore, avec une question à savoir sur qui rejeter la responsabilité de la situation actuelle, alors qu’on ne parle que du président Aristide depuis le début du reportage.

Le public québécois a été fort mal servi par ses médias durant cette crise, et continue de l’être. Mais si, entre les faits inventés, les réalités passées sous silence, les attitudes méprisantes et les bourdes, on nous a présenté une image fausse de la situation en Haïti, les médias ne font-ils pas face à une crise de crédibilité lorsqu’ils nous parlent, ou nous parleront, d’autres points chauds du globe?
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