6.12.04

Congrès FPJQ : relance du débat sur le statut de journaliste, et choc de cultures

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) tenait son congrès annuel en fin de semaine dernière à Québec. Pour le nouveau président (élu par acclamation) Alain Gravel, il faut relancer le débat sur le statut des journalistes.

On lit dans Le Soleil : «La débat n'a rien de nouveau, admet M. Gravel. Même s'il n'a pas encore d'opinion tranchée sur le débat, il se dit déjà opposé à l'idée d'une corporation ou d'un ordre des journalistes. “Ça restreindrait trop l'accès à la profession. Ce qui est intéressant dans ce métier, c'est que les gens viennent de tous les secteurs.”»

Et dans Le Devoir : «Je suis tout à fait disposé à reprendre cette discussion, indique Alain Gravel. Techniquement, il m'apparaît difficile de créer un ordre professionnel, ce qui voudrait dire un examen uniforme pour accéder au métier de journaliste, alors que c'est une profession ouverte où les gens viennent de partout. Mais, à la lumière de menaces qui pèsent sur notre métier, avec la confusion des genres, la mainmise des relations publiques, ou encore la concentration des médias et la convergence, on peut discuter des façons de mieux encadrer la profession.»

Une année chargée pour le nouveau président, si on tient compte des nombreux autres dossiers dans lesquels la FPJQ s’investit (présence aux tribunaux, dossier des radios poubelles, accès à l’information gouvernementale, etc.), et nous lui souhaitons courage et énergie.

Un autre des dossiers importants selon nous, question de perspective, est celui de l’attitude des journalistes face aux blogues et aux blogueurs. Certains journalistes (dont moi) publient des blogues, mais bon nombre de blogues sont publiés par des gens qui ne sont pas journalistes, et qui n’ont aucune prétention que ce soit à l’être. Il semble qu’il y ait là matière à confusion dans l’esprit de plusieurs.

Mario Asselin est directeur d’un établissement d’enseignement et anime le projet des Petits carnetiers du journal Le Devoir qui encadre de très jeunes blogueurs. Il écrit : «En ce qui me concerne, cette expérience me prouve que les jeunes y prendront goût, assurément. Alors, la question n'est peut-être pas tellement de savoir si les journalistes du Québec utiliseront d'une manière ou d'une autre les carnets Web, mais plutôt de savoir pendant combien de temps encore, pourront-ils ignorer le phénomène?»

Il semble bien que consciemment ou inconsciemment, une bonne partie de la classe journalistique québécoise soit en phase de déni face aux blogues. Clément Laberge, un de nos meilleurs spécialistes québécois en technopédagogie, était invité à participer au congrès à une table ronde sur les blogues. Ils nous fait part sur son site des notes préparatoires intitulées «Blogueurs ou blagueurs», et terminait celles-ci en disant : «Je n'ai évidemment pas de leçon à vous donner... Vous connaissez évidemment mieux votre univers que moi... Je ne peux que suggérer à quoi les carnets pourraient vous être utiles dans l'immédiat... Mais ce que je sais, hors de tout doute, c'est que pour garder confiance dans les médias pour lesquels vous travaillez, j'ai besoin de savoir de savoir que vous comprenez ce qui se passe dans l'univers des carnets et que vous savez y puiser des renseignements.»

Dans ses réflexions post-FPJQ Laberge semble déçu : «J'ai beau essayer de me convaincre du contraire depuis deux jours, je n'y arrive pas. Il m'apparaît tout bonnement incompréhensible qu'un journaliste ne connaisse pas l'existence des carnets et, pire encore, celle des fils xml-rss. Qu'il ne fasse pas appel aux ressources de cet univers, soit, c'est dommage, mais qu'il en ignore jusqu'à l'existence, ça non... vraiment, je ne comprends pas! Dans le cas des responsables de salles de rédaction (rédacteurs en chef, éditeurs, etc.) c'est tout bonnement inacceptable.»

La polyvalente Martine Pagé animait au congrès des journalistes un atelier sur les blogues (ses notes de référence) sont ici. Elle a suggéré l’idée d’un carnet ou blogue collectif spécialement consacré aux... carnets et blogues et au journalisme. Selon Martine, qui commente chez Laberge (et aussi sur son blogue), «Pour ce qui est de l'idée du carnet collectif, il y a de plus en plus de ressources sur le Web, même en français, concernant les relations entre le journalisme et le blogue, mais je crois qu'il est pertinent de se donner un espace québécois consacré à ce sujet.» Et Laberge qui renchérit, «S'ils y a des intéressés (écrivez-moi!), je me propose d'offrir gratuitement (via Opossum) l'hébergement, une interface de base et des accès pour les contributeurs potentiels.»

Gâtés, nos journalistes, non? Ils se font offrir gratos par les blogueurs un carnet/espace d’information et de discussion sur les blogues, alors que, si besoin il y a, tout cela pourrait être très adéquatement financé par le budget de perfectionnement professionnel des entreprises de presse. Comprenez-moi, je ne suis pas contre l’idée, bien au contraire, c’est seulement que, présenté de cette façon...

Je n’étais malheureusement pas au congrès. J’ai par contre suivi attentivement par médias et blogues interposés les enjeux dont on a discuté. En ce qui a trait aux blogues et à la perception dont en ont les journalistes, je pense que c’est un choc de cultures.

Il y a quelques années, presque au début de l’arrivée d’Internet grand public au Québec, deux cultures se sont affrontées. Il y avait les «puristes» du Net, ceux qui croyait à la profondeur du contenu et aux valeurs communicationnelles et académiques du réseau dans un cadre technique quasi minimaliste. Dans l’autre camp, les «multimédia», pour qui il importait d’enrichir les présentations Web, de les animer par tous les moyens techniques disponibles, souvent sans égard à la profondeur du contenu. Les deux camps se sentaient menacés. Les puristes craignaient que le fond se perde dans la forme; les multimédia avaient peur que l’on accuse un retard ou que l’on cesse d’innover sur le plan de la forme. Graduellement, les deux tendances se sont rapprochées, mais non sans qu’il n’y ait eu de longs (et parfois pénibles) débats.

Dans le débat blogues et journalisme, j’ai l’impression de revivre un peu ce choc entre deux cultures, mais à cette différence que les blogueurs ne se sentent pas menacés par les journalistes, alors qu’on ne peut présumer l’inverse.

Les blogueurs aimeraient peut-être un peu moins de cynisme à leur endroit, c’est vrai. Comme Laberge écrit en clin d’oeil, «Un journaliste qui demande, lapidaire: “oui, mais c'est quoi la différence entre citer ma belle-soeur et citer un blogueur?”... voulant probablement laisser entendre que pareils quidams ne méritent pas son attention (ou celle de ses lecteurs). Disons d'abord que c'est pas très gentil pour sa belle-soeur... mais surtout, quoi penser d'un pareil mépris quand on connaît les énergies que les médias mettent à faire des “micros-trottoir/vox-pop”... M'enfin, la peur de la nouveauté sans doute!»

Sans doute. Ça me rappelle une conférence en 1997 pour laquelle le directeur des communications avait refusé les accréditations d’usage aux représentants de la presse en ligne. «N'importe qui sur la Rive-sud ou à Brossard peut s'inventer un média en ligne, pour nous ça ne veut rien dire» avait-il déclaré.

Un débat à suivre.
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