6.1.05

Journalisme participatif : un document fondateur

Commentant la nouvelle orientation professionnelle de Dan Gillmor il y a quelques jours, je parlais de ce qu’il considère une expérience à suivre en matière de journalisme participatif, soit celle du quotidien News & Record (Greensboro, Caroline du Nord). Le journal vient de lancer une série de blogues pour se rapprocher de son lectorat et faire du journal, tant dans l’imprimé qu’en ligne, une agora où la collectivité pourra s’exprimer et réfléchir, mais aussi devenir source de nouvelles et participer à la gestion du médium.

Reprenons brièvement l’historique de la démarche du News & Record. Comme l’explique John Robinson, l’éditeur du quotidien, tout a commencé l’été dernier alors qu’on a demandé au chef de la section des nouvelles locales, Mark Sutter, d’engager une recherche/réflexion sur l’avenir des journaux. Ses conclusions ont fait l’objet de nombreux échanges entre les membres de la rédaction du journal, et en décembre on a confié à Lex Alexander, journaliste, le mandat de rédiger une série de recommandations pour faire du quotidien un médium adapté au journalisme participatif. Le document de Alexander est maintenant diffusé sur son blogue, et aussi disponible en format Word.

Les recommandations de Alexander portent sur les pratiques journalistiques et le contenu; son mandat ne comprenait pas l’analyse des moyens techniques, ni le plan d’affaires du projet de refonte du quotidien.

Première constatation : le lectorat du journal est en baisse. À cet égard, la situation du quotidien n’est pas unique, tous les journaux accusent une baisse de leur lectorat. (À titre d’exemple, faut-il rappeler que le Washington Post perd 4 000 abonnés par mois, tendance qui va en s’accélérant selon Adam Penenberg de Wired News.) Évidemment, cette baisse de lectorat (et d’abonnés), entraîne un fléchissement des recettes publicitaires.

«Notre auditoire s’éloigne de l’imprimé au profit d’Internet» écrit Alexander, «et certains de nos lecteurs les plus scolarisés et financièrement à l’aise quittent en emportant avec eux le potentiel de revenus publicitaire. Si nous voulons survivre comme entreprise vouée à la nouvelle locale, à l’information et au dialogue, nous devons réagir en affectant de l’effectif et des ressources. Mais ceci implique davantage que de reproduire en ligne notre produit imprimé. Ça signifie comprendre la culture Internet, et plus particulièrement les blogues, et comprendre comment nous pouvons tirer profit du réseau pour mieux informer le public.»

Les suggestions sont nombreuses : inviter des blogueurs aux réunions de la rédaction, toujours proposer des liens Internet dans les articles, transformer la rubrique nécrologique en blogue avec un moteur de recherche et une possibilité de commentaires, agir comme agrégateur de blogues locaux, exiger que les journalistes lisent les commentaires, construire des wikis locaux, numériser toutes les archives et les rendre accessibles sans frais, etc. Bref, selon Alexander, il faut inverser la tendance, et créer un journal sur Internet avec une version papier.

Jay Rosen qui anime l’influent blogue PressThink se réjouit de la teneur des recommandations, même s’il formule des réticences à l’égard de certaines d’entre elles. Par exemple, Alexander recommande de dresser un profil des journalistes qui contiendrait, entre autres, des informations sur leurs affiliations politiques et religieuses, et ce dans un souci de transparence pour les lecteurs. «Plus délicat à faire que semblent le croire ceux qui le recommandent car il y a ici une question de droits» écrit Rosen, «en matière de transparence, je commencerais par demander aux journalistes d’expliquer qui ils sont, d’où ils viennent, quel est leur bagage d’expérience, et de leur laisser le choix de divulguer des informations plus personnelles.»

Le débat est lancé sur le texte des recommandations de Lex Alexander, comme en fait foi la section des commentaires sur PressThink. Dan Kennedy du Boston Phoenix affirme que la qualité d’un journal repose tant sur ce qui s’y retrouve dans le contenu que sur ce qui a été filtré ou exclu comme information, d’où l’importance de contrôles rédactionnels serrés et l’incompatibilité avec l’esprit des blogueurs.

Faux débat, pour Rosen, et loin de ce que suggère Alexander. «Le concept d’un journal entièrement asservi au contrôle des chefs de rédaction est en péril, non pas parce que le blogueurs ont horreur des chefs de rédaction, mais bien parce que ceux-ci ont horreur d’apprendre, d’apprendre sur le Web, sur le fossé qui les sépare de ceux qu’on appelait avant ‘le lectorat”, sur leurs lecteurs, et aussi d’apprendre des blogueurs.»

Un très beau débat en perspective.
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