28.3.04

L’universitaire, le marchand et le pirate

L’universitaire, c’est Lawrence Lessig, professeur de droit à l’Université Stanford, et fondateur du Center for Internet and Society. Le marchand, dans ce cas-ci, c’est celui qui détient les droits sur un produit commercialisable de création. Le pirate, c’est vous et moi qui pouvons nous accaparer de ce produit et du fait même lui nier ses droits. Cette dernière prémisse est, du moins, l’attitude qu’adopte l’industrie de la musique un peu partout, le Québec n’y faisant pas exception.

ImaEn octobre dernier, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) s’engageait à prendre des «mesures concrètes» pour contrer la gratuité «face au phénomène de l’appropriation sans droit de la musique (téléchargement illégal sur Internet)», entre autres, «à faire tout en son pouvoir pour que les fournisseurs d’accès Internet contribuent financièrement à la création de contenu canadien, contenu dont ils facilitent grandement l’accès.» Déjà, il y a problème avec cette formule. Si on force les fournisseurs d’accès à contribuer financièrement à la création, ils refileront les coûts à leurs clients, que ces derniers téléchargent ou non des fichiers musicaux. Dans son communiqué sur les statistiques sur le piratage de musique, et s’appuyant sur les données de l’étude NETendances 2003, l’ADISQ affirmait qu’au Québec en 2003, «près d’un million d’adultes ont écouté ou téléchargé de la musique en ligne soit 17 % des adultes québécois. En mars 2003, cette proportion a atteint un sommet de 20 %. De plus, chez les adolescents québécois (12-17 ans) cette proportion a atteint 70 % en 2003.» C’est donc dire qu’on pénaliserait 80 % des utilisateurs adultes, et 30 % des ados, avec une hausse de tarifs. Et sans compter l’ensemble des 40 % de branchés québécois qui ne disposent pas d’une connexion à haut débit, le poids des fichiers musicaux faisant obstacle à l’échange.

Le marchand est plus pragmatique. Une des doléances du public est que l’on doive parfois acheter un album complet, même si ce n’est qu’une ou deux chansons qui nous intéressent. Archambault a compris et offre maintenant, à la carte, les pièces individuelles à un dollar. Cette formule est d’ailleurs retenue par un nombre croissant de disquaires «zéro surface», Wal-Mart s’étant joint à iTunes (Apple), Virgin et autres, et une féroce concurrence s’annonce.

Lawrence LessigL’universitaire, pour sa part, aimerait qu’on prenne le temps de réfléchir à toute la question des oeuvres dites culturelles. Lawrence Lessig vient de publier un livre, Free Culture, dans lequel il soumet une donnée révélatrice sur l’attitude de la Recording Industry Association of America (RIAA) qui mène aux États-Unis la lutte contre le piratage de la musique. «Tenons pour acquis que la RIAA a raison, et que la cause de la diminution de la vente des disques compacts est attribuable à l’échange de fichiers sur Internet. Mais voilà où le bât blesse : au cours de la même période durant laquelle la RIAA estime qu’il s’est vendu 830 millions de CD, elle évalue que 2,1 milliards de CD ont été téléchargés gratuitement; bien qu’il y ait eu 2,6 fois le nombre de CD échangés que vendus, les revenus n’ont diminué que de 6,7 %. Il y a trop de facteurs qui jouent simultanément pour expliquer de manière formelle ces données, mais on ne peut échapper à une conclusion. L’industrie de la musique ne cesse de répéter qu’il n’y a pas de différence entre télécharger et voler un CD, mais ses propres données la contredisent. Si je vole un CD, il y a un CD de moins à vendre. Chaque CD volé est une vente perdue. Mais sur la base des données fournies par la RIAA, il est clair qu’il n’en va pas de même pour les téléchargements. Si chaque téléchargement équivalait à un vol [...] l’industrie aurait connu une baisse de ses ventes de 100 % l’an dernier, et non de 6,7 %. Si un ratio de 2,6 téléchargements pour chaque vente implique une baisse de 6,7 % des revenus de vente, il y a donc une différence énorme entre télécharger et voler un CD. Ce sont là, peut-être quelque peu exgérés, les torts qu’on impute au téléchargement, mais tenons-les pour vrais. Quels sont les avantages? L’échange de fichiers peut imposer des coûts à l’industrie de la musique. Mais quelle valeur vient équilibrer ces coûts?» (Op.cit. P.71)

Lessig nous invite à réfléchir non seulement aux statistiques, mais à l’essence même de la culture, à ses «produits», à l’utilisation que nous en faisons. Et tout comme son titre l’indique le livre est téléchargeable gratuitement en format PDF.
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