21.11.04

Journalisme et blogues, retour en arrière

BloguesIl est intéressant de voir avec un certain recul l’évolution du thème «journalisme et blogues», en fait, si évolution il y a. Par exemple, à l'occasion du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (à Québec, les 3, 4 et 5 décembre prochains), on abordera en discussion la question à savoir «Les blogues sont-ils en train de redéfinir l'information?», puis il y aura un atelier pratique sur «Les blogues, une nouvelle source d'information à découvrir». Je relisais certains textes écrits sur le sujet du temps des Chroniques, et il semble que le contexte, ou plutôt les perceptions, on très peu évolué du côté des journalistes, alors que c’est dans le camp des blogueurs que les idées et la maîtrise de la technique ont progressé.

Je reproduis ici avec peu de modifications (sauf pour la suppression des adresses caduques) un extrait de la chronique du 9 avril 2002.

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Journalisme en ligne et blogues

Commençons par le tour d'horizon du journalisme en ligne tel que pratiqué en Europe que nous propose J.D. Lasica du Online Journalism Review.  La France et la Suisse ne font pas partie des cas étudiés par Lasica, la Belgique francophone n'est que brièvement mentionnée pour «Le Soir», l'Europe de l'Est est exclue car l'édition en ligne en est à ses premiers balbutiements, mais on trouve des portraits sur l'Autriche, le Danemark, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas, l'Espagne et la Suède.

Lasica observe que les traditions journalistiques de chacun des pays laissent leurs empreintes sur les médias en ligne.  Il cite Mark Deuze, de l'École de communication d'Amsterdam, qui perçoit même des différences d'approche entre pays du nord et du sud de l'Europe : en Europe du Nord, les investissements et les plate-formes exploitées semblent être davantage le résultat d'un effort concerté, alors qu'en Europe du Sud, les programmes de formation et le fonctionnement des salles de rédaction relèvent davantage de l'initiative de quelques groupes d'individus.  Selon Deuze : «La formation des journalistes dans les pays du sud de l'Europe met l'accent sur son rôle en tant que maître des mots et artiste, alors que dans le nord la tradition se veut plus professionnelle et corporatiste, ce qui est bien moins amusant.»

Lasica conclut que les journalistes nord-américains auraient intérêt à regarder du côté de l'Europe où, semble-t-il, on est davantage enclin à l'innovation dans les contenus en ligne, dont les blogues.

Eh puis les blogues.  Plus une semaine ne passe sans que dans la presse spécialisée en communication, médias et journalisme, on aborde la question de ces journaux d'opinion en ligne qui se sont multipliés avec une vitesse phénoménale depuis quelques mois (voir à cet égard notre article dans Multimédium). 

Il y a eu cet article de John Hiler dans Microcontent News (publication sur les blogues, les webzines et l'édition personnelle), et largement commenté dans l'univers blogue, intitulé «Borg Journalism: We are the Blogs.  Journalism will be Assimilated».  Le journalisme aspiré par le phénomène blogue? Ironiquement, ce journaliste spécialisé dans la tendance blogue se voit déplorer que ceux et celles qui animent ces sites personnels (et collectifs) lui dérobent ses meilleurs sujets et suivis à donner à ses articles.  Par contre, il cite Dan Gillmor du San Jose Mercury News qui a adopté d'emblée le modèle et qui faisait part de ses quatre principes de base face aux blogues et au journalisme en ligne.

1.  Mes lecteurs en savent davantage que moi;

2.  Ce n'est pas une menace, c'est plutôt une occasion à saisir;

3.  Ensemble, nous pouvons créer un espace d'échange qui se situe entre un séminaire et une conversation, ce qui profitera à tout le monde;

4.  Tout ceci est rendu possible par l'interactivité et les technologies de la communication (courriel, blogues, forums de discussion, sites Web).

Cette citation de Gillmor n'est pas sans rappeler celle de l'animateur radio et communicateur Jacques Languirand que nous vous rapportions en mars 1999 : «Mon métier de communicateur aura toujours été pour moi l'occasion de m'instruire.  [...] Sans doute parce que je pratique un merveilleux métier qui me permet de m'instruire en public.  Tout le monde éprouve le besoin de plaire, d'être aimé.  J'ai découvert que je pouvais plaire - relativement - en m'instruisant en public...  Le secret est de susciter l'intérêt et de l'entretenir.  Mais j'aime bien aussi amuser la galerie.  Je demeure sans doute un homme de spectacle.  Toute communication, du reste, tient du spectacle.  Mais je ne cherche pas pour autant à être drôle.  On dit que je le suis à l'occasion.  Cela vient sans doute de ce que je m'instruis en m'amusant - ou que je m'amuse en m'instruisant...».  Vivement le retour en ondes de son émission.

Mais revenons à l'article de John Hiler et à sa conclusion : sans aucun doute, le phénomène des blogues est un élément nouveau très fort qui redéfinira ce que signifie être journaliste : «Si vous gagnez votre vie en écrivant des articles, il serait dangereux que vous ignoriez les blogues.»

Parlons maintenant d'un second article, celui de Henry Copeland publié dans Pressflex sous le titre «Talk is cheap and so is blogging» (facile de parler, facile de bloguer).  Copeland explique à sa manière la difficulté de compréhension du phénomène blogue par les journalistes traditionnels : «Comme un enfant d'un an qui découvre le concept d'autrui, le journaliste traditionnel qui écrit sur les blogueurs est incapable de définir cet “autre” sauf par une version édulcorée de lui-même.» Il reprend aussi la liste des reproches formulés aux blogues dans un récent article du Boston Globe : les blogues ne s'adressent pas à un large public, ils manquent de sérieux et d'objectivité, la qualité rédactionnelle laisse à désirer, ils sont truffés de détails personnels sans intérêt, etc.

Copeland prend la défense des blogues et estime que, comme c'est le cas pour le courriel ou les SMS, l'ensemble est plus grand que la somme des parties, que la «blogosphère» (néologisme attribué à Bill Quick) est plus que la somme des blogues.  De plus, si un nouvel ordre informationnel et communicationnel est en train de s'instaurer, il ne le fait pas en négation du précédent, pas plus qu'en ressassant vilement ses composantes, mais la société est encore en période d'apprentissage sur l'utilisation des nouveaux médias.

Enfin, la journaliste Norah Vincent aborde dans le Los Angeles Times un aspect plus politique des blogues d'actualité et soutient qu'ils irritent au plus haut point le camp libéral aux États-Unis (on ne saurait parler de gauche).  Et pourquoi? «Les blogues suscitent la colère car ils constituent des options sérieuses aux publications imbues d'elles-mêmes comme le New York Times, le Los Angeles Times ou le Washington Post et leurs satellites dont la couverture est tout aussi partiale que celle des blogueurs.  Ces derniers ont au moins l'honnêteté d'avouer leur partialité et n'ont aucune prétention à l'objectivité.»

Bref, le phénomène des blogues suscite un vif débat tant sur le fond que sur la forme, et surtout sur son avenir.  Il semble avoir pour cible principale la presse imprimée et ses dérivés Web, laissant presque intacts les autres médias.  Et c'est d'ailleurs sur ce terrain qu'il peut efficacement concurrencer les médias traditionnels en raison de son interactivité, ce qui fait dire au journaliste blogueur James Lileks, «le journal est une conférence, le Web est une conversation». 

En complément d'information, une courte liste des journalistes et blogueurs que nous lisons à l'occasion, dont celui du collectif «La Tribu du verbe» et celui tout récent d'Élie Charest, «One, Archie St.»
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