14.3.04

Assiste-ton à une reprise de 1991?

En septembre 1991, le général Raoul Cedras mène un coup d’État et renverse le président Jean-Bertrand Aristide. Le chercheur Laurent Jalabert de l’Université des Antilles et de la Guyane, dans son ouvrage Les violences politiques dans les États de la Caraïbe insulaire (1945 à nos jours), dresse un sombre bilan de la période Cedras.

«Autant les précédents coups d’État n’étaient suivis que de répressions ponctuelles et axées sur des objectifs précis, autant le putsch de septembre 1991 est le point de départ d’une répression systématique contre les opposants et contre les manifestants. Selon la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (rapport du 14 février 1992), dans les 48h00 qui suivent le coup d’État, on aurait assisté à plus de 1 500 assassinats. Toujours selon la même commission, toutes les caractéristiques de la répression se développent : exécutions sommaires ou extrajudiciaires (3 010 cas officiellement), disparitions, tortures, viols… un “véritable terrorisme d’État” difficile à quantifier (on parlerait d’au moins 5 000 morts entre septembre 1991 et septembre 1994). Selon le HCR, le nombre d’exils forcés avant l’intervention des Nations-Unies serait d’au moins 55 000 personnes (30 000 en République Dominicaine, 20 000 sur la seule base américaine de Guantanamo à Cuba), certainement bien davantage.»

En 1993, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme précise ces données : «d'octobre 1991 à août 1992, le nombre d'exécutions sommaires a atteint 3 000 dont 89 % ont eu lieu à Port-au-Prince [...] 5 096 cas de détentions illégales d'octobre 1991 à novembre 1992.»

En 1994, les États-Unis sous l’égide des Nations Unies réinstallent le président Aristide. Les faits précités sont déjà connus et documentés, mais plutôt que de poursuivre Raoul Cedras et de le tenir à tout le moins partiellement responsable de ces exactions, le gouvernement des États-Unis lui offre un «parachute doré» d’un million de dollars, en plus de louer trois de ses propriétés immobilières pour un an, payé à l’avance. (Los Angeles Times, 14 octobre 1994)

Le 29 février 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 1529 autorisant le deploiement immediat d’une force multinationale intérimaire en Haïti pour trois mois pour, entre autres, «Faciliter l’instauration de conditions de sécurité et de stabilité dans la capitale haïtienne et ailleurs dans le pays [...] Faciliter la fourniture d’une assistance internationale à la police et à la Garde côtière haïtiennes afin d’instaurer et maintenir la sécurité et l’ordre publics et de promouvoir et protéger les droits de l’homme».

Que se passe-t-il aujourd’hui en Haïti? Les grands médias ont retiré leurs correspondants et laissé sur place quelques «antennes» dans la capitale. Quand les mercenaires sont entrés au pays, les journalistes étaient partout : Gonaïves, Cap-Haïtien, Saint-Marc, etc. Maintenant, on n’entend parler que de ce qui se passe à Port-au-Prince.

Or, des rapports inquiétant commencent à filter des provinces, notamment de la région de Cap-Haïtien.

Le 9 mars, l’Agence haïtienne de presse (AHP) rapporte ce qui suit : «De nouveaux groupes de citoyens du Cap-Haïtien réfugiés à Port-au-Prince ont critiqué jeudi le silence observé par les organismes haïtiens de droits humains sur le sort de présumés partisans de Fanmi lavalas qui auraient été kidnappés puis jeté à la mer à l'intérieur d'un container par les rebelles qui ont pris le contrôle de la ville du Cap-Haïtien le 22 février. Ces citoyens qui ont sollicité l'anonymat pour des raisons de sécurité estiment irresponsable le fait que certains secteurs veuillent faire passer un tel drame sous silence. Plusieurs autres habitants de la deuxième ville du pays avaient appelé mardi Amnesty international et Human Rights Watch à diligenter une enquête autour de cette affaire. Ces personnes, disaient-ils, arrrêtées après l'incendie du commissariat de police auraient été enfermées plusieurs jours dans un container avant d'être basculés à la mer à l'intérieur du container. Selon les mêmes informations, le jour de cettte attaque plusieurs policiers et des partisans de Fanmi lavalas auraient été assassinés.»

Le 12 mars, l’agence Pacific News Service diffuse le témoignage du maire de Milo, collectivité de 50 000 habitants près de Cap Haïtien. Il dit avoir été contraint de prendre le maquis pour échapper à la répression menée par des hommes en tenue militaire contre les personnes associées au parti lavalassien. Au Cap Haïtien, on enregistrerait une cinquantaine de morts par jour. Ceux qui ne sont pas tués sont enfermés dans des conteneurs, la prison ayant été incendiée et détruite. De dire le maire : «Je ne peux comprendre comment un groupe de militaires dont l’institution a été démantelée aient accès à de l’équipement lourd et sophistiqué. Ils disposent de deux hélicoptères et de deux avions. Les hélicos servent à déplacer leurs troupes, et munis de puissants projecteurs, à traquer la nuit les gens qui ont pris le maquis.» Selon certaines informations, des événements similaires se produiraient dans le Plateau central et en Artibonite.

D’où la question : assiste-t-on à une reprise de 1991?
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