12.5.04

À quoi nous prépare-t-on?

Photos de restes de quatres mercenaires occidentaux suspendus à un pont. Images de séances de torture et d’humiliation; le secrétaire d’État à la Défense des États-Unis nous previent que le pire reste à venir. Quelque part en Irak on décapite un citoyen des États-Unis, Nick Berg, entrepreneur en télécommunications, et on brandit sa tête en guise de trophée. À Gaza, des soldats israéliens sont charcutés par des milices, on se dispute les restes. Et on nous promet de renchérir demain soir à l’émission «60 Minutes II» à la chaîne CBS, cette même émission qui, il y a deux semaines, diffusait la première série d’images de la prison d’Abu Ghraib.

On épiloguera longtemps sur le rôle que joue la technologie dans la diffusion de ces images, et sur l’effet probable si elle avait existé à Verdun en 1916 ou à Dien Bien Phu il y a cinquante ans.

Certes, on ne nous montre pas tout. Relativement peu d’images ont circulé sur les fosses communes de Mazar-I-Sharif en Afghanistan où, selon certains rapports des centaines de combattants afghans, fusillés ou laissés à suffoquer dans des conteneurs par les forces étasuniennes, sont enterrés (voir à cet égard l’émission Disclosure de la CBC et la liste de liens afférents). L’assassinat de Nick Berg rappelle vaguement celui du journaliste Daniel Pearl, une affaire malheureusement vite oubliée. Curieux aussi de constater que «nos» victimes ont des noms, et «les leurs» n’ont que des sexes et des âges.

Mais revenons à ce qu’on ne peut que qualifier d’«escalade» de l’imagerie de violence dont on est témoin depuis quelques jours. L’effet net est de polariser et de durcir les positions. Chez les Irakiens, on le comprendra, les photos de prisonniers maltraités à Abu Ghraib suscitent colère et indignation. Aux États-Unis, l’effet est partagé. Les anti-guerre s’en servent pour dénoncer l’aventure irakienne de George Bush; la droite déclare de manière simpliste, comme si c’était une justification, que les présumées victimes ne sont que des assassins et des terroristes.

Soulignons au passage que dans son rapport de février dernier (format PDF) sur les prisons en Irak, le Comité international de la Croix rouge écrivait : «Certains agents du renseignement des forces de la coalition ont confié au CICR qu’entre 70 % et 90 % des personnes privées de leur liberté en Irak ont été arrêtées par erreur».

On décèle chez les auteurs des sévices imposés aux détenus irakiens, et ce sans vouloir entrer dans le détail, une volonté manifeste d’humilier et de terroriser. Y aurait-il un autre effet à cette stratégie de torture et de diffusion d’images à la limite du soutenable, et dont la cible serait la conscience collective occidentale? D’où la question : à quoi nous prépare-t-on? C’est comme si la banalisation de ce genre de violence ne servait qu’à nous conditionner pour ce qui reste à venir.

Comme dit Cabrel...

Ajout, 13 mai 2004.

Et comme si le flot continu de photos et de révélations troublantes n’était pas suffisant, certains cherchent à en rajouter. Le Boston Globe, dans son édition du 12 mai, a publié un article sur un conseiller municipal, Chuck Turner, qui disait disposer de photos de soldats étasuniens violant des femmes irakiennes. Turner a dévoilé ces photos lors d’une conférence de presse, accompagné de Sadiki Kambon, militant du centre d’information pour les Afro-américains (Black Community Information Center). Ce dernier disait les avoir reçues d’un certain Akbar Muhammad, un représentant de la Nation de l’Islam. Le Globe a publié une photo de Turner et Kambon qui étalaient les photos pour la presse, mais où les détails était clairement visibles. Trois hauts responsables de la rédaction en ont autorisé la publication. La journaliste du Globe, Donovan Slack, avait communiqué avec le ministère de la Défense dont le porte-parole mettait en garde l’utilisation de photos circulant sur Internet. Or, comme le rapporte le WorldNetDaily, ces photos sont fausses. Il s’agit de photos piquées sur un site Web de pornographie extrême.
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