18.12.04

Blogues et métaphores

Danah BoydDanah Boyd, étudiante au doctorat en communication à l’université de Berkeley (Californie), dans un mémoire (format PDF) qu’elle présentera à la conférence sur l’écologie des médias en juin prochain, se penche sur les métaphores utilisées pour décrire l’univers des blogues, et sur la façon dont elles peuvent en communiquer une image déformée qui n’aide en rien sa compréhension par les non-initiés. «Alors que la presse tente de couvrir le phénomène, il est clair que le mot “blogue” n’est pas en soi un terme descriptif et que, par voie de conséquence, les mots blogues, blogueurs et bloguer sont intégrés à des constructions conflictuelles et problématiques» écrit-elle.

À la source de ces métaphores, elle examine dans un premier temps comment les fournisseurs d’outils d’édition définissent leurs services. Blogger, un des premiers services à voir le jour, a introduit la notion d’«édition automatique» (push-button publishing). Xanga se définit comme une collectivité de journaux personnels en ligne. «Un puissant service d’hébergement qui offre aux utilisateurs des fonctions avancées pour publier et partager immédiatement de l’information (carnets de voyage, journaux personnels, albums numériques) sur le Web» sert à Typepad pour se décrire. Diaryland et LiveJournal ont intégré à leur raison sociale les concepts de journal personnel (diary, journal).

Notons qu’en français on a eu aussi droit à nos propres métaphores élargissant le champ notionnel. D’abord un débat sur les blogues par opposition aux journaux (le blogueur diariste) et/ou carnets (le blogueur carnetier). On a vu l’apparition du «joueb» (contraction de jouet et Web). Un service a pris le nom de «haut et fort» présumant ainsi du ton que sa clientèle adopterait. Je n’ai pas participé à ces débats, et ne tiens pas à les relancer ici, souhaitant seulement noter au passage que la tendance métaphorique n’est pas réservée à la blogosphère anglo-saxonne.

Pour Boyd, l’emploi par les fournisseurs de services de métaphores empruntées à l’édition ou à la tenue de journaux ne tient pas compte de la collectivité dans laquelle un blogue s’inscrit, du contenu, de la pratique, et j’ajouterais du but visé. La presse traditionnelle a recours aux mêmes métaphores et met constamment l’accent, selon Boyd, sur les notions de journal personnel et de journalisme amateur. Les blogueurs eux-mêmes utilisent des métaphores pour décrire ce qu’ils font et parlent parfois de «passer un billet», de créer un «signet social» ou de «prendre des notes sur le terrain».

Elle écrit : «Les descriptions métaphoriques sont d’une grande utilité pour les non-initiés qui tentent de comprendre le phénomène, ou pour les nouveaux blogueurs qui essaient de se définir par rapport à ce que les autres font. Mais au fur et à mesure que nous absorbons le phénomène blogue, les blogueurs trouvent que les métaphores portent à confusion, sont trompeuses et font problème. Tout comme définir le courriel en fonction de la poste traditionnelle néglige des aspects inhérents du courriel, l’utilisation de métaphores pour définir les blogues échoue à bien en saisir l’essence.»

Nombreux sont les blogueurs à qui Boyd a parlé pour établir sa recherche qui s’expriment en généralités sur le phénomène blogue, et ne préciseront les termes que pour décrire ce qu’ils font individuellement. Avec le temps, l’emploi de métaphores s’estompe chez les blogueurs, mais pas chez ceux qui tentent d’appréhender le courant social et technologique dont ils sont le moteur. Il n’y a aucun mal, selon Boyd, à utiliser des métaphores, sauf qu’elles ne communiquent qu’une image partielle de la réalité.

Certains blogues relèvent carrément du journalisme, et on y trouve des contenus supérieurs en qualité et en pertinence à ce qu’on peut lire dans des journaux ou périodiques, ou entendre ou voir dans les médias électroniques. Nombreux sont les blogues, aussi, qui sont des formes évoluées sur le plan technologique du journal personnel. L’auditoire sera plus restreint, le ton plus intime, on ne documente pas sa vie en temps réel devant une foule de 50 000 étrangers.

Mais ces deux formes de blogue, pour ne parler que de celles-là, on davantage en commun que ce qui pourrait les diviser selon Boyd : «En prenant un peu de recul par rapport au contenu et en se penchant davantage sur la pratique, on constate qu’il y a des lieux communs, et pas uniquement des divisions. Les blogueurs produisent avec assiduité du contenu pour lequel ils sont passionnés, à l’intention d’un lectorat qu’ils sentent disposés à accepter leurs propos. Ce faisant, ils construisent des représentations numériques d’identités et des artefacts qui agissent comme histoire cognitives. Ils valorisent la tension qui peut exister entre ce qui est public et ce qui est intime, entre le formel et l’informel, entre l’oralité et la textualité.»

Boyd décrit l’influence du chercheur Walter Ong dans la définition de la textualité et de l’oralité en se basant sur leurs caractéristiques propres dans le discours psychologique et culturel. Il a également cerné la notion d’oralité secondaire qui, selon la perspective, s’installerait avec toute nouvelle technologie de communication médiée par ordinateur.

Le fait de bloguer se situe à la limite d’autres pratiques communicationnelles, et on résiste difficilement à l’envie d’employer la métaphore de nouvelle frontière. Mais pour bien analyser le phénomène des blogues, nous devons selon Boyd nous éloigner des comparaisons avec des pratiques connues et regarder du côté des tensions évoquées plus haut, de l’altérité et de l’oralité secondaire, et surtout scruter ce en quoi consiste actuellement, sur le plan liminal, l’action de bloguer.
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