6.3.05

Journalisme participatif : culture ou masse critique?

Si on est témoins de certains exemples du potentiel du journalisme participatif, force est de constater qu’ils se limitent pour le moment à la blogosphère anglo-saxonne. C’est l’essentiel d’une analyse de l’affaire Gaymard en France par le journaliste Tarik Krim, Le traitement de l’affaire Gaymard montre la limite des blogs.

Dans Editor & Publisher, une publication spécialisée en journalisme, le chef de la rédaction Greg Mitchell revient sur un de ces exemples récents de journalisme participatif, le Gannongate, dans son texte Inside The 'Gannon' Case: How Blogs Broke It Wide Open . Bref rappel de l’affaire : certains blogues d’actualité à large rayonnement ont mobilisé des centaines de leurs lecteurs pour faire la lumière sur un faux journaliste et une fausse agence de presse qui recevait un traitement privilégié de la Maison-Blanche.

Sceptique sur la question du journalisme participatif, Mitchell dit avoir suivi l’évolution du Gannongate depuis le premier jour et être étonné des résultats plus que probants de cette forme de journalisme distribué. «C’est certain que dans la blogosphère il y a encore beaucoup de recherche boiteuse et de commentaires gratuits ou offensants. Mais ce qui m’étonne le plus c’est la quantité de ressources que les blogues à grande diffusion (par opposition aux blogues plus modestes) peuvent mettre à contribution dans une affaire comme celle-ci.»

Selon Mitchell, la raison pour laquelle les organismes de presse ne peuvent réussir des coups d’éclat comme la Gannongate relève de leur timidité à se lancer dans de telles opérations, mais aussi de l’ampleur des ressources qu’elles nécessitent. Pour rivaliser avec les blogues, une chaîne comme Gannett devrait affecter à son journal USA Today l’équivalent d’une salle de rédaction locale au complet.

Revenons à l’affaire Gaymard. Tarik Krim se dit déçu de l’absence des blogues dans cette affaire : «Non seulement le traitement de cette affaire est une vraie victoire pour la presse traditionnelle (aucun scoop lancé par un blog), mais il démontre que l’influence du numérique sur la politique intérieure en France reste anecdotique.[...] Je remarque simplement que le blog en France n’est pas un blog d’investigation, pas un blog d’opinion, juste un blog de commentaire, sorte de chambre d’écho des médias classiques et de l’information. Le blog arrivera-t-il à casser un tabou et se faire une place dans le débat politique en France?» On pourrait tirer les mêmes conclusions, et se poser les mêmes questions au Québec.

Est-ce une question de culture des médias qui explique que le journalisme participatif fonctionne aux États-Unis et ne semble pas décoller en Francophonie? On pourrait en douter. Il s’agirait davantage selon moi d’un problème de masse critique de l’auditoire des blogues francophones.

La démographie n’arrange rien, certes. Les populations francophones combinées de la France, de la Belgique, de la Suisse et du Québec arrivent à peu près au tiers de celle des États-Unis. Le taux de branchement des États francophones, bien qu’il soit toujours en hausse, est légèrement inférieur à celui des États-Unis. Remarquons aussi la nature «nationale» des dossiers dans lesquels les blogueurs étasuniens se sont investis. Si la comparaison vaut pour les pays francophones, cela signifie que les Français blogueraient sur les dossiers français, les Suisses sur les dossiers suisses, les Québécois sur les dossiers québécois. Il y aurait donc fragmentation et des efforts, et de l’auditoire.

Or, aux États-Unis, il y a les facteurs linguistique et national qui permettent d’atteindre une masse critique. Par exemple, le blogue Daily Kos, un de ceux qui a mené la charge dans le Gannongate, enregistre plus de 350 000 visites par jour, pour plus de 465 000 pages vues (voir les statistiques.) Peu de blogues ou même de sites d’actualité francophones atteignent cette masse critique qui permet de lancer un chantier de journalisme participatif.

Mais l’expérience du journalisme participatif reste à suivre. Reconnaissons que le phénomène est très récent et que l’articulation de ses processus relève toujours de l’expérience/erreur. Qu’on pense ici, au Québec, au scandale des commandites, au CHUM ou aux PPP, ce ne sont tout de même pas les sujets qui feraient défaut.
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