4.4.05

Commission Gomery, Internet et blogues

Rebondissement dans la saga de la Commission Gomery qui enquête sur le programme de commandites et des activités publicitaires du gouvernement fédéral. Le 29 mars dernier, le commissaire John Gomery décrétait un interdit de publication faisant suite à trois requêtes présentées par les procureurs de témoins convoqués par la Commission, mais qui font aussi l'objet d'une mise en accusation directe du procureur général du Québec pour de multiples accusations de fraude et de conspiration en vertu du Code criminel.

Le motif : «Les trois requérants soutiennent qu'il leur sera impossible d'obtenir un procès équitable à cause de l'attention que les médias porteront à leur comparution devant la Commission, étant donné que le jury constitué pour les juger aura inévitablement été influencé par cette publicité médiatique.»

La décision du juge Gomery précisait les suivantes : «L'expression "non-publication" utilisée dans cette décision désigne une interdiction de publication au sens du paragraphe 486(4.9) du Code criminel qui prévoit qu'il "est interdit à quiconque de publier ou de diffuser... tout élément de preuve, renseignement ou observation présentés lors d'une audience", c'est-à-dire, ici, une audience de la Commission. Mon interprétation de cette disposition est que “diffuser” désigne également toute diffusion par Internet.»

Samedi dernier, un blogue d’actualité d’allégeance conservatrice tenu par un résidant du Minnesota a publié de nombreux détails sur les révélations d’un témoin qui comparaissait deux jours auparavant devant la Commission. Ce témoignage est évidemment visé par l’interdit de publication. Le responsable du site enjoint ses lecteurs à la prudence : «Veuillez tenir compte que cette information ne provient que d’une seule source, bien que j’ai confiance en elle.»

L’interdit de publication ne signifie pas que les audiences soient à huis clos. Les journalistes et le public peuvent y assister. Il est simplement interdit de diffuser le contenu des témoignages. L’auteur du blogue aurait donc obtenu l’information d’une des nombreuses personnes ayant assisté à l’audience.

Un site Web indépendant canadien d’actualité, maintenu par un rédacteur technique ontarien et ex-membre des Forces armées canadiennes, inclut un lien vers le blogue étasunien qui diffusait les révélations du témoin qui a comparu devant la Commission.

Ce lundi, le London Free Press publie un article sur toute cette affaire. Si le responsable du site canadien refuse à faire quelque commentaire, celui du site étasunien défend le principe de la liberté de la presse. Quant Alan Shanoff du service du contentieux de Sun Media (propriétaire du Free Press), il estime que la diffusion du nom de l’un ou l’autre des deux sites, ou encore de leurs adresses Web, pourrait entraîner des accusations d'outrage au tribunal.

Aussi ce lundi, dans le Globe and Mail, on parle en référence aux révélations faites par le blogue étasunien d’un «témoignage explosif» qui aurait donné lieu à de nombreuses rumeurs d’une élection précipitée pour devancer l’impact de la diffusion officielle des témoignages, et de rencontres politiques secrètes à Ottawa au cours de la fin de semaine.

Jane Taber du Globe écrit : «Bien que les politiciens de l’opposition et leur personnel nient les rumeurs de rencontres secrètes et de possibles votes de non confiance, il est évident que la plupart des politiciens à Ottawa connaissent la teneur du témoignage de la semaine dernière, même des menus détails. Des transcriptions circulent entre membres du personnel, on s’en parle au cellulaire ou par courriel.»

Entre temps, selon la Presse canadienne, «le juge John Gomery a accordé au Parti libéral le statut de participant à la commission d'enquête sur le programme fédéral des commandites qu'il préside. Le PLC avait déjà le statut d'intervenant mais ses avocats pourront dorénavant contre-interroger les témoins devant la commission.» Cette demande faisait suite à la diffusion du contenu des témoignages incriminants pour le Parti sur le blogue étasunien.

L’affaire est complexe et ce sont les questions de juridiction et d’extraterritorialité du Web qui refont surface. Le blogueur étasunien n’est pas tenu de respecter l’interdit de publication, mais le responsable du site Web canadien qui publie l’hyperlien du blogue est passible d’accusations d'outrage au tribunal. Que dire alors des indices contenus dans les articles du Free Press et du Globe à partir desquels il est très simple pour quiconque de retracer l’adresse du blogue étasunien via Google ou BlogPulse?

Un autre volet de la question consiste à savoir si la Commission Gomery risque de souffrir de la diffusion non autorisée de détails relatifs à un témoignage. La fuite donnerait-elle raison à ceux qui réclamaient un huis clos total de ses audiences, privant ainsi le public de son droit de savoir? De plus, qui a vraiment intérêt à entraver la poursuite des travaux de la Commission?

J’ai l’impression qu’on va assister à un large débat autour de cette affaire.
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