22.2.06

Haïti : Hip-Hop et «Option belge»

On en apprend chaque jour davantage sur les fins détails des récents événements en Haïti. Deux articles dignes de mention, l’un porte sur les images de bulletins de vote dans une décharge publique diffusées à la télévision, l’autre sur ce que les diplomates appellent «l’option belge».

En novembre dernier, le chanteur hip-hop d’origine haïtienne Wyclef Jean se portait acquéreur de la chaîne de télévision locale Télémax pour la somme rapportée de 2,7 millions de dollars. Jean faisait partie au milieu des années quatre-vingt-dix du très populaire groupe The Fugees, formation musicale alliant hip-hop, soul et influences antillaises qui mit un terme à ses activités en 1997. Wyclef poursuivit après une carrière solo, tout comme les autres membres du groupe.

Wyclef JeanDans un entretien qu’il a accordé au blogue du Star Pulse News, le musicien originaire de Croix-des-Bouquets raconte qu’il a été informé par un appel téléphonique de New York de la présence des bulletins de vote dans la décharge publique. C’est alors qu’il a fait dépêcher sur les lieux une équipe de tournage de Télémax, et qu’il a fait diffuser en boucle durant des heures, sans commentaire, les images des bulletins de vote ainsi laissés dans une décharge publique. Par la suite, la cohorte de journalistes locaux et étrangers ont suivi. L’impact de la diffusion de ces images a été énorme dans la suite des choses, tant pour le public que pour les responsables onusiens et électoraux. Il aura cependant fallu que l’information vienne de New York. Étrange.

Puis, le report des «votes blancs» aux candidats, au pro-rata des votes dûment comptabilisés, qui a tant fait jaser. Devant l’impossibilité pour Préval d’obtenir 50 % des voies au premier tour (48,7 %), et à la suite de la diffusion par les médias de preuves d’irrégularités, on est parvenu à dégager un compromis pour sortir de l’impasse, éviter un second tour, et accorder la victoire à René Préval.

Il y avait un nombre très élevé de «votes blancs» (91 219 au dernier compte, 4,36 %), c’est-à-dire de bulletins sur lesquels le scrutateur ne peut pas reconnaître l'intention ou la volonté politique de l'électeur. Le compromis négocié par les dirigeants politiques du parti de René Préval, des membres du gouvernement intérimaire, du Conseil électoral, de la force de «stabilisation» des Nations Unies, de l’organisation des États Américains, et des ambassadeurs du Chili, du Brésil, des États-Unis, de la France et du Canada a consisté à répartir les votes au prorata des votes exprimés en faveur des candidats, ce qui accordait à Préval 51,15 % des votes (depuis révisé à 51,21 %).

Cet exercice «créatif» a été contesté par les adversaires de Préval, bien que la plupart reconnaissaient qu’en pratique la victoire lui revenait. Or, Carol J. Williams du Los Angeles Times nous apprend que cette pratique de report des votes blancs n’est pas si inusitée que l’on aurait voulu faire croire (voir 'Belgian Option' Helped Avert Crisis in Haiti), et qu’elle a été désignée par les diplomates en poste d’«option belge» comme possibilité de sortie de crise car c’est une pratique électorale acceptée en Belgique et étudiée en France, et ce pour nombre de raisons. L’article de Williams est le meilleur que j’ai lu pour son compte rendu des négociations complexes et tendues qui ont mené à ce compromis.

CEPPar ailleurs, soulignons que le Conseil électoral provisoire (CEP) a repris depuis hier l’actualisation de sa page de résultats et que l’on a désormais accès en plus des résultats de la présidentielle, au fur et à mesure de leur publication, aux résultats de l’élection des sénateurs. La seule question qui me tracasse est de savoir pourquoi sur le logo du Conseil il est écrit «provisoires» avec un «s»...
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