7.3.06

Haïti : le difficile cheminement de l’information

Dans la foulée des événements qui ont mené à la confirmation de la victoire de René Préval à l’élection présidentielle (voir Haïti : La suite des choses et la dette bolivarienne), on apprenait le 21 février la «fuite» aux États-Unis du directeur général du Conseil électoral provisoire (CPE) Jacques Bernard (Radio-Canada : Haïti : Le directeur du Conseil électoral fuit le pays). «Jacques Bernard aurait quitté le pays pour se rendre aux États-Unis après que sa ferme, située près de Port-au-Prince, eut été pillée et incendiée par des inconnus, samedi» selon ces sources.

Certaines autres sources s’appuyaient sur des confirmations officielles : «La ferme familiale du directeur général de l'organisme chargé de chapeauter les élections présidentielle et législatives en Haïti a été saccagée au cours de la fin de semaine. Un porte-parole de l'ONU, David Wimhurst, a confirmé hier à La Presse que la ferme de Jacques Bernard, située à Thomazeau, dans le centre-sud du pays, avait été prise d'assaut par des inconnus qui ont mis le feu avant de prendre la fuite en volant du matériel.» (La Presse : La ferme d'un responsable électoral brûlée en Haïti).

Avant sa «fuite», Jacques Bernard se disait victime d’actes d’intimidation et d’agressions verbales motivées par le dépouillement du scrutin, la lenteur de la publication des résultats et les mesures qu’il entendait prendre pour enquêter «sur les allégations de fraude entourant l'élection présidentielle».

Mais Jacques Bernard est de retour en Haïti comme nous l’apprend une agence de presse : «Un haut responsable électoral qui a fui le pays en raisons de menaces est rentré au pays pour aider à l’organisation du second tour des élections nécessaires à la formation d’un gouvernement a annoncé ce lundi le Conseil électoral haïtien. Jacques Bernard, directeur général du controversé conseil électoral, est arrivé dimanche dans la capitale Port-au-Prince deux semaines après avoir quitté pour les États-Unis.[...] Bernard avait fui après que des opposants eurent pillé sa ferme et que des diplomates l’eurent prévenu que des membres de gangs projetaient de prendre sa voiture en embuscade alors qu’il quittait le centre de dépouillement du scrutin» (les italiques sont de moi, voir Associated Press : Top official for elections back in Haiti ).

Autre précision sur l’escapade de Bernard en terre étasunienne, «Pendant son séjour aux États-Unis, Jacques Bernard est intervenu à un séminaire international sur Haiti, organisé au Carnegie Endowment for International Peace à Washington[...] À l’issue de ce séminaire, les États-Unis et la République Dominicaine auraient appuyé le retour de Jacques Bernard à Port-au-Prince dans la perspective de l’aboutissement du processus électoral» (Alterpresse : Haïti Élections : Jacques Bernard à nouveau sur le terrain).

Le Carnegie Endowment for International Peace est l’une des nombreuses cellules de réflexion (think tanks) qui contribue à façonner la politique extérieure des États-Unis, et est la société éditrice de la revue Foreign Policy. Dans son numéro de juillet/août 2005, on pouvait lire dans cette revue un commentaire éclairant : «Le Congo, Haïti et le Soudan sont les récipiendaires de ce que l’on pourrait appeler le “maintien de la paix à rabais” (peacekeeping on the cheap). Dans aucun de ces pays la force multinationale n’est suffisamment puissante pour imposer son autorité sur le pays.».

Par ailleurs, on apprend d’une autre agence de presse que «Dans des échanges avec des responsables de la MINUSTAH [Force de stabilisation des Nations Unies en Haïti] ou lors de rencontres avec des personnalités américaines à Washington, Jacques Bernard avait conditionné son retour au CEP à la révocation d'un groupe de 3 conseillers électoraux[...] Au Conseil électoral même, certains s'interrogent sur le rôle dévolu à Jacques Bernard.» (Agence haïtienne de presse : Jacques Bernard revient au CEP : beaucoup y voient une forme de provocation, 6 mars).

Or, ce qui vient compliquer l’interprétation de l’affaire Jacques Bernard, en plus de la confirmation d’un porte-parole de l’ONU du saccage de la ferme de l’intéressé par des opposants, des mises en garde de diplomates qui seraient au courant des projets des gangs armés, c’est qu’il n’y aurait pas eu de saccage à la dite ferme. «Des reportages effectués sur une ferme du directeur exécutif du Conseil électoral Jacques Bernard dans la région de Thomazeau par des équipes de journalistes et des étudiants révèlent qu'aucun acte de pillage et de sabotage n'aurait été perpétré sur les lieux.[...] Les tracteurs ainsi que d'autres engins non utilisés depuis des années sont encore intacts. Seule une petite ampoule manquait à un tracteur, ont constaté les visiteurs. Des chèvres, des chiens et d'autres animaux couraient ça et là sur la ferme désaffectée.[...] De leur côté, des habitants de la zone et des gardiens des fermes avoisinantes, ont indiqué n'être pas au courant que des actes de sabotage aient été perpétrés sur la ferme de M. Bernard. “Si un quelconque acte de vandalisme avait été enregistré dans le voisinage, tout le monde en aurait été au courant”, ont-ils affirmé.» (Agence haïtienne de presse : Aucun acte de sabotage n'a été perpétré sur la ferme de Jacques Bernard à Thomazeau, 6 mars).

Comme on dit là-bas, ak pasyans, wa wè tèt foumi.
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