4.8.06

Israël/Liban : Tuer le messager?

Layal NajibLe 23 juillet dernier, sur la route entre Cana et Siddiqine (près de la ville de Tyr, 90 kilomètres au sud de Beyrouth), la photojournaliste Layal Najib a été tuée par l’explosion d’un missile israélien près de son véhicule.  Elle travaillait pour le compte du magazine libanais Al-Jaras (La Cloche) et pour de nombreuses agences de presse dont l’AFP.  L’organisme Reporters sans frontières a réagi : «Il est inacceptable que l’armée israélienne prenne aussi peu de précautions pour éviter de tuer ou de blesser des civils, dont les professionnels des médias font partie.  Reporters sans frontières demande au gouvernement israélien de mener une enquête sur l’origine des tirs qui ont tué Layal Najib.  Nous ne nous contenterons pas des explications d’usage de Tsahal qui affirmerait qu’il s’agit d’une cible militaire liée au Hezbollah.» La veille, un technicien de la LBC (Lebanese Broadcadsting Corporation), Suleiman Chidiac, avait été tué lors de l’attaque par Tsahal d’une station de transmission. 

La Fédération internationale des journalistes a condamné ces attaques, de même que certains autres incidents graves impliquant des membres des médias dans la bande de Gaza.  Son secrétaire général, Aidan White, a demandé à toutes les parties au conflit de protéger les journalistes, mais aussi à Israël de faire la lumière sur ces graves incidents et d’autres énumérés dans une lettre adressée au lieutenant-général Dan Halutz, chef d’état-major de Tsahal. 

«Israël doit faire enquête sur tous ces incidents récents et doit mettre fin a ce qui commence à ressembler à un ciblage.  La perception effroyable est celle de soldats ouvrant le feu sur des journalistes non armés et intimidant les journalistes arabes pour les empêcher de rapporter les événements en territoires palestiniens et au Liban.  Il est impératif que nous ayons des réponses au sujet de ces incidents, sinon l’impression de ciblage persistera» a-t-il déclaré.

La FIJ a inclus dans la liste des incidents graves les attaques contre les installations de la chaîne de télévision Al-Manar que l’on sait appuyée par le Hezbollah.  C’est alors que l’Association israélienne des journalistes a décidé de se retirer de la FIJ. 

Dans une lettre adressée à la FIJ et dont le Jerusalem Post fait état, l’Association a accusé Aidan White de «lâcheté» pour ne pas avoir retiré sa condamnation d’Israël et déclaré qu’il devrait avoir honte d’associer un outil de propagande du Hezbollah à une «presse libre».  Selon le porte-parole de l’Association, Yaron Enosh, «Al-Manar est financé par les mêmes gens qui nous tirent dessus.  Ce ne sont pas des journalistes, ce sont des terroristes, et je ne veux pas être membre d’une organisation qui compte des terroristes.»

Dans cette dispute entre associations de journalistes, il semble que le torchon brûlant depuis un certain temps, l’association israélienne accusant depuis trois ans la fédération internationale de condamner Israël à répétition et de passer sous silence certaines exactions commises par le Hezbollah à l’endroit de membres de la presse.

La FIJ n’est pas la seule à accuser Israël de cibler les journalistes.  Le Comité pour la protection des journalistes s’est dit inquiet de rapports alléguant de nombreuses attaques de Tsahal contre des équipes et des installations des chaînes de télévision LBC, Al-Jazeera, Al-Arabiya et Al-Manar, bien que ces installations et véhicules aient été clairement identifiés TV ou PRESS.

Le directeur exécutif du CPJ, Joel Simon, s’est dit troublé par ces allégations et a exigé une enquête immédiate.  «Les journalistes ont le droit de travailler dans les zones de conflits et ont droit à la même protection que tous les autres civils, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être délibérément ciblés.»

Le capitaine Jacob Dallal, porte-parole de Tsahal, a pour sa part déclaré : «Nous ciblons les routes parce que le Hezbollah utilise ces routes, mais en aucun cas ne ciblons-nous les civils, ce qui inclut les médias.  Les journalistes qui travaillent dans ces zones savent qu’ils prennent des risques.»

Chasse ouverte aux journalistes? Lawrence Pintak, directeur du centre en journalisme électronique Adham à l’université américaine du Caire a publié dans le Columbia Journalism Review une analyse pertinente sur le ciblage des journalistes qui n’a rien de nouveau, mais qui s’accentue. 

Correspondant de la chaîne de télévision étasunienne CBS à Beyrouth dans les années quatre-vingt, il a été obligé de fuir le pays à cause de menaces de mort de la part de milices syriennes.  Son cameraman a été littéralement coupé en deux, son preneur de son tué et son chauffeur rendu invalide après qu’un blindé israélien eut fait feu directement sur eux.  Plusieurs de ses collègues ont été pris en otage par le Hezbollah ou ses alliés.

Il écrit : «Ce qui a changé au cours des dernières années c’est le degré auquel les médias sont devenus spécifiquement et systématiquement une cible “légitime” en cas de guerre.  À Beyrouth dans les années quatre-vingt, nous étions des cibles à l’enlèvement parce que nous étions les derniers étasuniens en ville.  Maintenant les reporters sont ciblés parce qu’ils sont des reporters.»

En outre, écrit Pintak, «La sale petite cachotterie de ce conflit, et dont les médias étasuniens parlent peu, c’est que tous les reporters en Israël font l’objet d’une stricte censure par les militaires.»

La guerre est dangereuse, soit, et les journalistes connaissent les risques.  Mais de préciser Pintak, «Il y a une grosse différence entre être atteint par un fragment d’obus ou une balle perdue et être délibérément bombardé, enlevé ou décapité (le sort qu’a connu Daniel Pearl du Wall Street Journal aux mains de militants islamistes au Pakistan).

On dit que le secrétaire-général des Mations Unies Kofi Annan aurait en main un projet de loi internationale qui ferait du ciblage des journalistes par toute organisation armée un crime de guerre.  Les événements qui se déroulent actuelle au Proche-Orient pourraient souligner l’urgence d’adopter une telle loi.

Mais de conclure Pintak, «Ne soyons pas naïfs.  L’ONU n’a pas réussi à se protéger elle-même.  Son QG à Bagdad a été détruit par une voiture piégée, quatre de ses observateurs ont été tués lors d’une attaque israélienne sur leur base au Sud-Liban, ses bureaux à Beyrouth et Gaza ont été pillés la fin de semaine dernière.  Même Les responsables de massacres font rarement face à la justice internationale.  Ce n’est pas une résolution de l’ONU qui mettra fin aux attaques contre les journalistes par des forces gouvernementales ou non gouvernementales.  Mais ce serait au moins un message symbolique à l’endroit de ceux qui veulent museler la presse.»
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