4.6.04

Tiananmen, 15 ans déjà

Le monde se souvient, et les mères réclament le droit au deuil. Et si on en croit Amnesty International, «Les morts et les arrestations qui ont eu lieu à l'occasion de ces manifestations n'ont fait l'objet d'aucune véritable enquête. Amnesty International a dénombré plus de 50 personnes qui seraient encore détenues pour avoir participé aux manifestations, mais il ne s'agit que d'une fraction du nombre réel que les autorités n'ont jamais communiqué. [...] Les corps de certaines des victimes ont été découverts dans des tombes dépourvues d'inscription au centre de Pékin. Au moins 30 manifestants ont disparu sans laisser de trace pendant la nuit du 3 juin 1989, ils sont probablement morts. Alors que les chances de retrouver leurs corps diminuent, leurs familles subissent un véritable traumatisme.»

Soulignons cependant deux aspects moins traités de cet anniversaire. La «première» technologique de la diffusion d’images numériques, et l’interprétation qu’on a pu en faire.

TiananmenEn 1981, la société Sony mettait au point son premier prototype de la Mavica (Magnetic Video Camera) qui enregistrait des photos sur disquettes. La technologie n’était pas encore celle des appareils photo numériques d’aujourd’hui, mais la porte était ouverte. En juin 1989, une équipe de la chaîne CNN a utilisé une Mavica pour saisir des photos de la répression armée sur la Place Tiananmen, et les a transmises à son bureau chef par lignes téléphoniques déjouant ainsi les censeurs chinois. Avec le remous provoqué récemment par la diffusion d’autres images numériques, dans un contexte bien différent, on l’admettra, il est bon de se rappeler que l’épisode Tiananmen a marqué le début d’une nouvelle ère en journalisme. D’autre part, l’image certainement la plus associée aux événements de juin 1989 est en fait un cadre tiré d’une séquence filmée qui, elle aussi, a fait le tour du monde en un temps record. Le pouvoir d’évocation est puissant : un homme seul, non armé, face aux blindés. Les groupes de défense des droits de la personne se sont tous appropriés l’image symbole. Mais il convient de noter que les autorités chinoises ont également fait grande utilisation de cette même image, l’interprétant à leur avantage. Les médias occidentaux qui ont publié cette image l’accompagnaient de légendes exprimant la détermination et le courage des manifestants chinois à résister pacifiquement à la répression. En revanche, pour les médias gouvernementaux chinois, la photographie illustrait la grande retenue dont faisaient preuve les militaires chargés de «rétablir l’ordre». Si une image vaut mille mots, on reconnaîtra que tout réside dans le choix de ces mots.
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