22.10.04

L’inattendue prise de position de Marc L. Bazin

On apprenait le 21 octobre de l’AHP que Marc-Louis Bazin, chef du Mouvement pour l'Instauration de la Démocratie en Haïti (MIDH), avait adressé de sévères critiques au premier ministre intérimaire Gérard Latortue.

En 1982, Bazin (recommandé par le FMI) a brièvement occupé le poste de ministre des Finances sous Jean-Claude Duvalier avant de quitter le pays pour retourner à ses activités à la Banque mondiale. Après la chute de Duvalier en 1986, il rentre au pays et fonde le MIDH.

À l’élection présidentielle de 1990, il est le principal opposant de Jean-Bertrand Aristide et bénéficie de l’appui inconditionnel des États-Unis. Le 15 décembre 1990, la veille du scrutin, l’ex-président des États-Unis Jimmy Carter (qui dirigeait une mission de surveillance de l’élection) et l’ex-représentant des États-Unis aux Nations Unies Andrew Young rencontrent Aristide. Ils sont porteurs d’une lettre qu’ils lui demandent de signer et dans laquelle il reconnaît Marc Bazin comme président élu. Ceci se passe la veille de l’élection, alors que personne n’a encore voté. Le lendemain, les électeurs choisissent Aristide dans une proportion de 67 %, Bazin ne récolte que 14 % des voix exprimées.

Par la suite, Young a tenté d’expliquer le geste disant qu’il s’agissait d’une garantie que les États-Unis voulaient avoir car ils craignaient que si Bazin remportait l’élection, Aristide ne reconnaîtrait pas le résultat. (Voir Occupying & Obscuring Haiti de Mark Dow dans New Politics, vol. 5, no. 2, hiver 1995).

En septembre 1991, Aristide est renversé par une junte militaire qui dirigera le pays jusqu’en 1994. De juin 1992 à juin 1993, Bazin, désigné par la junte, occupe le poste de premier ministre et a pour mandat de former un «gouvernement de consensus». Certains observateurs ont prétendu que cette nomination visait à apaiser le Département d’État à Washington. Rappelons que c’est à cette époque que sévit le FRAPH (Front pour l’avancement et le progrès d’Haïti), organisme para-militaire financé par la CIA. Le bilan est lourd : 4 000 morts, 300 000 «réfugiés internes» et 60 000 «boat-people».

Or, c’est ce même Marc Bazin qui, le 21 octobre 2004, déclare sur les ondes d’une radio locale que Gérard Latortue a cru que le pouvoir qu'il détient lui a été donné par le groupe d’opposition dit des «184» pour appliquer leur politique consistant dit-il à faire la chasse aux partisans de Jean-Bertrand Aristide.

Pour citer l’AHP, «Le responsable du MIDH a précisé qu'il ne voyait pas d'inconvénient à ce que M. Latortue ait des préférences pour le leader des 184 André Apaid, mais il se devait de tenir balance égale entre les deux groupes, au lieu de se faire l'instrument de l'un au détriment de l'autre. [...] Le leader du MIDH a critiqué ceux qui avaient laissé entendre que la présence d'Aristide constituait un blocage au développement du pays. [...] Marc Bazin rappelé par ailleurs aux tenants du pouvoir actuel que le peuple haïtien n'a jamais donné mandat à un quelconque secteur pour faire partir le président Aristide. "Si la population avait estimé que M. Aristide ne répondait plus à ses aspirations, elle aurait pu l'exprimer à travers des élections", a fait savoir Marc Bazin, estimant que la population a des comptes à régler avec les secteurs qui ont pris sur eux la responsabilité de renverser le président Aristide.»

Comme on le sait, le gouvernement Latortue essuie de sévères critiques pour le manque de sécurité en Haïti. Par ailleurs, on apprenait que Gérard Latortue avait apporté quelques changements à son cabinet, que l'ancien général Hérard Abraham conservait son poste de ministre de l'Intérieur et des Collectivités territoriales, mais que la sécurité nationale ne relèvait plus de sa compétence mais bien de celle de David Paul Bazile, lui aussi ancien militaire, nommé secrétaire d’État à la Sécurité publique.

Mais la question est la suivante : si la situation continue de dégénérer, et que Latortue doive jeter l’éponge, se pourrait-il que Marc Bazin cherche à le remplacer en se présentant comme un candidat de «consensus»?
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