2.4.04

Jugement von Finkenstein, prise 2

La décision du juge Konrad von Finckenstein de la Cour fédérale du Canada (voir l’entrée précédente) a, comme on s’y attendait, fait beaucoup parler. Quelques commentaires et observations supplémentaires.

Si la plupart des commentateurs et observateurs ont traité de l’aspect «piratage» de la décision, il est bon de rappeler qu’à l’origine il s’agissait d’une demande, de la part des membres de la Canadian Recording Industry Association, de divulgation de données personnelles d’abonnés de services d’accès Internet. On tiendra pour preuve de l’importance dans cette cause de l’aspect «vie privée, protection des renseignements personnels» de ce que révèle une lecture attentive de la décision. Dans les quelque 34 pages du texte, composé pour une bonne part d’annexes justificatives et de citations de jurisprudence, le mot «copyright» (droit d’auteur) est utilisé 31 fois, mais le mot «privacy» (vie privée) y figure 21 fois. Il s’agissait donc d’un élément clé de la cause telle que présentée.

À l’article 27 de la décision, page 14, le juge écrit : «J’ai peine à voir la différence entre une bibliothèque qui installe une photocopieuse dans une pièce remplie d’oeuvres protégées, et un utilisateur qui dépose une copie personnelle d’une oeuvre protégée dans un répertoire partagé sur un service P2P.» Il conviendrait ici de préciser que des organismes de gestion collective des droits de reproduction et de distribution de redevances existent au Canada, c’est-à-dire Copibec pour le Québec et Access Copyright pour le reste du Canada.

Ces organismes gèrent tant la reproduction sur support papier par des moyens traditionnels comme la photocopie et la télécopie, que celle faite sur support électronique (cédérom, banque de données, Internet). Dans le cas de Copibec, chaque année, plus de 200 000 déclarations de photocopie sont traitées par le personnel de la société de gestion, et depuis sa création en 1997, elle a versé plus de 21 millions de dollars à des milliers d’auteurs, d’éditeurs et d’artistes en arts visuels. L’ensemble des bibliothèques publiques de même que les entreprises spécialisées dans la confection de revues de presse sont maintenant sous licence avec Copibec.

Revenons à l’ouvrage de Lawrence Lessig, Free Culture, dont je parlais il y a quelque temps. Lessig détermine (chapitre 5) quatre motifs principaux pour lesquels certaines personnes s’adonnent à l’échange de fichiers : la substitution à l’achat d’un CD; l’essai d’un produit avant l’achat; l’accès à des contenus non protégés ou dont les ayant droit décident de distribuer sans frais; l’accès à des contenus qui sont protégés par le droit d’auteur, mais qui ne sont plus disponibles sur le marché.

Cette dernière pratique soulève une question intéressante, soit celle d’oeuvres protégées mais disparues du marché. Si je veux me procurer la version du «Tango des roses» chantée par Corinna Mura dans le film Casablanca (1942), est-ce que je risque d’être poursuivi même si l’oeuvre n’est plus disponible sur le marché?

Enfin, y aurait-il des artistes plus «piratables» que d’autres? À la radio (du moins celle que j’écoute), il y a eu nombre de commentaires et de tribunes téléphoniques à la suite de la décision von Finkenstein. Or, il est étrange d’entendre des commentaires du genre «Moi, pirater les gros groupes américains, j’ai pas de problème. Mais Richard Desjardins, jamais!» Il y aurait donc dans l’opinion publique une catégorie d’artistes qu’on peut pirater sans problème. Débat éthique à l’horizon.
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