2.4.04

L’effet zéro du piratage

Deux chercheurs universitaires étasuniens, Felix Oberholzer du Harvard Business School et Koleman Strump du campus Chapel Hill de la University of North Carolina, viennent de publier une étude, The Effect of File Sharing on Record Sales: An Empirical Analysis (format PDF) selon laquelle l’échange de fichiers musicaux sur Internet aurait un effet nul sur les ventes de disques, contrairement à ce qu’affirment les acteurs de l’industrie de la musique.

Il y aurait eu, au cours des années quatre-vingt-dix, une hausse artificielle des volumes de ventes de disques attribuable au remplacement d’oeuvres sur vinyle par des versions sur disques compacts. Même sans téléchargement de fichiers, une baisse du volume de ventes était à prévoir une fois passée la période de «remplacement». Sur ce dernier point, Oberholzer et Strump citent la recherche de Stan Liebowitz de l’Univesité du Texas publiée en 2003, Will MP3 downloads Annihilate the Record Industry? (format PDF). Liebowitz affirme également que l’industrie a connu des creux avant de n’être confrontée au phénomène d’échange de fichiers. Il lie étroitement la performance du secteur de la musique enregistrée au revenu réel disponible per capita, et illustre clairement le parallélisme des courbes statistiques : une période de baisse de 1978 à 1982, une croissance quasi nulle de 1984 à 1987, puis une reprise en 1995.

Oberholzer et Strump estiment que s’il y a eu baisse des ventes, le téléchargement d’oeuvres musicales y serait pour peu de chose. Il y a d’autres produits susceptibles d’être échangés eu égard aux possibilités d’Internet (films, logiciels, jeux video) et pourtant ces secteurs n’ont pas connu de baisse des ventes. La diminution des ventes pourrait être attribuable à une foule de causes notent-ils : une situation macroéconomique défavorable (argument de Liebowitz); une réduction du nombre de nouveaux albums publiés; une plus grande concurrence d’autres formes de divertissement comme les jeux et les DVD (les budgets personnels ne sont pas extensibles à l’infini); une diminution de la variété de styles musicaux proposés; une possible réaction du public à l’endroit des pratiques de l’industrie de la musique.
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Jugement von Finkenstein, prise 2

La décision du juge Konrad von Finckenstein de la Cour fédérale du Canada (voir l’entrée précédente) a, comme on s’y attendait, fait beaucoup parler. Quelques commentaires et observations supplémentaires.

Si la plupart des commentateurs et observateurs ont traité de l’aspect «piratage» de la décision, il est bon de rappeler qu’à l’origine il s’agissait d’une demande, de la part des membres de la Canadian Recording Industry Association, de divulgation de données personnelles d’abonnés de services d’accès Internet. On tiendra pour preuve de l’importance dans cette cause de l’aspect «vie privée, protection des renseignements personnels» de ce que révèle une lecture attentive de la décision. Dans les quelque 34 pages du texte, composé pour une bonne part d’annexes justificatives et de citations de jurisprudence, le mot «copyright» (droit d’auteur) est utilisé 31 fois, mais le mot «privacy» (vie privée) y figure 21 fois. Il s’agissait donc d’un élément clé de la cause telle que présentée.

À l’article 27 de la décision, page 14, le juge écrit : «J’ai peine à voir la différence entre une bibliothèque qui installe une photocopieuse dans une pièce remplie d’oeuvres protégées, et un utilisateur qui dépose une copie personnelle d’une oeuvre protégée dans un répertoire partagé sur un service P2P.» Il conviendrait ici de préciser que des organismes de gestion collective des droits de reproduction et de distribution de redevances existent au Canada, c’est-à-dire Copibec pour le Québec et Access Copyright pour le reste du Canada.

Ces organismes gèrent tant la reproduction sur support papier par des moyens traditionnels comme la photocopie et la télécopie, que celle faite sur support électronique (cédérom, banque de données, Internet). Dans le cas de Copibec, chaque année, plus de 200 000 déclarations de photocopie sont traitées par le personnel de la société de gestion, et depuis sa création en 1997, elle a versé plus de 21 millions de dollars à des milliers d’auteurs, d’éditeurs et d’artistes en arts visuels. L’ensemble des bibliothèques publiques de même que les entreprises spécialisées dans la confection de revues de presse sont maintenant sous licence avec Copibec.

Revenons à l’ouvrage de Lawrence Lessig, Free Culture, dont je parlais il y a quelque temps. Lessig détermine (chapitre 5) quatre motifs principaux pour lesquels certaines personnes s’adonnent à l’échange de fichiers : la substitution à l’achat d’un CD; l’essai d’un produit avant l’achat; l’accès à des contenus non protégés ou dont les ayant droit décident de distribuer sans frais; l’accès à des contenus qui sont protégés par le droit d’auteur, mais qui ne sont plus disponibles sur le marché.

Cette dernière pratique soulève une question intéressante, soit celle d’oeuvres protégées mais disparues du marché. Si je veux me procurer la version du «Tango des roses» chantée par Corinna Mura dans le film Casablanca (1942), est-ce que je risque d’être poursuivi même si l’oeuvre n’est plus disponible sur le marché?

Enfin, y aurait-il des artistes plus «piratables» que d’autres? À la radio (du moins celle que j’écoute), il y a eu nombre de commentaires et de tribunes téléphoniques à la suite de la décision von Finkenstein. Or, il est étrange d’entendre des commentaires du genre «Moi, pirater les gros groupes américains, j’ai pas de problème. Mais Richard Desjardins, jamais!» Il y aurait donc dans l’opinion publique une catégorie d’artistes qu’on peut pirater sans problème. Débat éthique à l’horizon.
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1.4.04

Musique sur Internet : Et le juge a dit...

Que l’on ne pouvait forcer les fournisseurs de services Internet (FSI) à identifier des utilisateurs soupçonnés d’échanger des fichiers musicaux.

CD, coaxialL’affaire remonte au 11 février dernier. Un groupe de sociétés membres de la Canadian Recording Industry Association (CRIA) exige de la Cour fédérale que cinq FSI (Bell/Sympatico, Rogers, Shaw, TELUS et Vidéotron) divulguent l’identité de 29 utilisateurs ayant téléchargé par l’intermédiaire des services KaZaA et iMesh plus d’un millier de fichiers musicaux sur lesquels elles détiennent des droits. Ils entendent, avec ces données, jumeler des pseudonymes d’utilisateurs des services d’échange poste-à-poste (P2P) à des adresses IP et obtenir des FSI les données nominatives de ces abonnés. Les sociétés (BMG, Warner, Sony, Universal, EMI, etc.) allèguent que cette forme d’échange enfreint leurs droits en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Les procureurs des FSI ont cependant soulevé, comme on s’y attendait, de nombreuses objections.

Le seul point sur lequel plaignants et mis en cause se sont entendus est celui de l’application dans la présente cause des dispositions de la Loi sur la Protection des renseignements personnels et les documents électroniques contenues en son article 7(3)c) soit que :

«7.(3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :...

c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;
»

Or le juge n’a pas ordonné aux FSI de divulguer les données pouvant permettre d’identifier les présumés contrevenants à la Loi sur le droit d’auteur. D’ailleurs, la lecture de la décision du juge Konrad von Finckenstein (fichier PDF, en anglais, extraits traduits librement en attente de la version officielle) révèle de sérieuses failles dans la cause telle que présentée par les procureurs de la CRIA.

Après avoir cerné le cadre juridique de la cause, le juge écrit :

«[43] En vertu des précédentes, il est clair dans mon esprit que les plaignants n’ont pas :
- établi de cause prima facie (la preuve dans leur affidavit est déficiente, ils n’ont pas établi un lien de cause à effet entre les pseudonymes P2P et les adresses IP, et n’ont pas soumis de preuve prima facie de violation);
- établi qu’à toutes fins pratiques les FSI étaient l’unique source pour identifier les utilisateurs de pseudonymes P2P;
- établi que l’intérêt public l’emportait sur les questions de vie privée dans la divulgation des données, eu égard à l’âge des données.»

Les plaignants avaient chargé la société de services anti-piratage MediaSentry d’enquêter sur l’échange de fichiers musicaux sur lesquels ils ont des droits. C’est le directeur général de MediaSentry, Gary Millin, qui a témoigné des résultats de l’enquête, mais le juge a qualifié son témoignage de «ouï-dire» car les informations qu’il rapportait venaient de ses employés, lui-même n’ayant pas participé directement à l’enquête. Le juge écrit : «Il semble clair que d’autres employés de MediaSentry auraient été mieux à même de présenter les affidavits sous serment et de répondre en connaissance de cause au contre-interrogatoire».

De plus, Millin a décrit devant le juge la technique de MediaSentry nommée MediaDecoy qui consiste à rendre disponible de «faux fichiers» musicaux sur les services d’échange. Ils présentent les caractéristiques de fichiers musicaux, mais sont inopérants, donc source de frustration et élément que l’on veut dissuasif pour les utilisateurs. Toutefois, Millin a avoué ne pas avoir écouté de fichiers présumément piratés pour voir s’il s’y trouvait des fichiers MediaDecoy, et que cette fonction ne s’inscrivait pas dans le cadre du mandat que la CRIA lui avait confié.

Le juge von Finckenstein a également critiqué la preuve liant le pseudonyme Geekboy@KaZaA au numéro IP 24.84.179.98 affecté au FSI Shaw Communications. Il déclare que rien dans les éléments présentés par MediaSentry ne vient établir un lien entre le pseudonyme et l’adresse IP au moment des faits constatés, et qu’il serait «irresponsable pour le tribunal d’ordonner la divulgation du nom de l’abonné de l’adresse IP et de l’exposer à des poursuites.»

Le juge a cité la décision de la Commission du droit d’auteur du 12 décembre 2003 selon laquelle le téléchargement pour utilisation privée d’une oeuvre musicale ne constitue pas une violation du droit. Aucune preuve n’a été faite que les utilisateurs visés par la demande de divulgation avaient diffusé ou distribué des oeuvres protégées; ils n’avait fait que déposer des oeuvres dans des répertoires de services P2P. «Le simple fait de placer une copie dans un répertoire partagé sur un ordinateur accessible par un service P2P ne constitue pas un acte de distribution. Avant qu’il y ait distribution, il doit y avoir un geste direct par le propriétaire d’un répertoire partagé, comme l’envoi de copie ou une annonce à l’effet qu’elle est disponible.

Dans la présente cause, il n’y a eu aucune preuve à cet effet. Les plaignants n’ont réussi à prouver que les présumés contrevenants avaient rendu disponibles des copies sur leurs répertoires partagés. Le droit exclusif de rendre disponible une oeuvre est inclu dans le Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (CRNR/DC/95 Rev.), mais ce traité n’a pas été mis en oeuvre par le Canada, et ne fait donc pas partie du cadre juridique canadien en matière de droit d’auteur. Bref, pas de crime, pas de divulgation des données personnelles des utilisateurs.

Selon Richard Pfohl, conseiller juridique de la CRIA, l’association entend se pourvoir de son droit d’appel.

Que comprendre de ce jugement? La plainte de la CRIA a été deboutée, certes, et il n’est toujours pas illégal d’échanger des fichiers de musique en vertu de la jurisprudence et du droit canadiens. Cependant, si la plainte a été rejetée par le juge von Finckenstein, c’est en grande partie à cause de la faiblesse de la preuve présentée par les procureurs de la CRIA.
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31.3.04

Les gagne-petit enrichissent les gros

La BBC nous apprenait dimanche dernier que selon une étude la Banque interaméricaine de développement (BID), les travailleurs latino-américains expatriés envoient annuellement à leurs familles et leurs proches dans leurs pays d’origine 38 milliards de dollars. Ces envois d’argent viennent principalement des États-Unis (31 milliards) et du Japon (3 milliards).

Les principaux bénéficiaires sont le Mexique (13,2 milliards) et le Brésil (5,2 milliards). La BID estime que le chiffre de 38 milliards est probablement une sous-estimation des sommes réelles, certains experts parlent de 150 milliards. Néanmoins, la somme de 38 milliards dépasse celle des investissements directs et de l’aide publique au développement dans les pays récipiendaires. La difficulté d’établir des données précises repose sur le recours par un grand nombre de travailleurs à des réseaux de transfert informels pour réaliser des économies.

La BID observe toutefois que sur des transferts de 38 milliards, six milliards (22,8 %) ont été versés à titre de frais de transfert à des institutions financières et des banques. Le chiffre se passe de commentaire.

Par ailleurs, l’analyste des affaires latino-américaines du Miami Herald, Andres Oppenheimer, traite de la question de ces transferts sous un autre angle : la récupération politique.

Au Salvador se tenaient des élections il y a une dizaine de jours. On prévoyait une chaude lutte entre la gauche (Front national de Libération Farabundo Marti) représentée par Shafick Handal et la droite (ARENA, souvenez-vous de Roberto d’Aubuisson) avec à sa tête Tony Saca. Quelques jours avant le vote, l’ARENA a lancé une campagne publicitaire télévisée dont l’essentiel du message était : l’élection d’un gouvernement de gauche nuira aux relations du Salvador avec les États-Unis; les travailleurs salvadoriens seront expulsés; il n’y aura donc plus de transferts d’argent vers le Salvador. On parle ici d’une somme annuelle de 2,2 milliards. Le résultat est probant, le coude à coude entre les deux partis s’est transformé en une victoire de l’ARENA qui a recueilli 58 % des voix exprimées.

Résumons-nous. Des millions de travailleurs immigrants, souvent sans papiers, triment dur dans des économies prospères en occupant des emplois dont personne ne veut. De leurs maigres salaires, ils parviennent à envoyer à leurs familles et proches dans leurs pays d’origine au moins 38 milliards de dollars par année. Nos banques prélèvent en frais de services 22,8 % de cet argent durement gagné. En Amérique latine ce phénomène des transferts sert de levier politique à des partis de droite dont les programmes ne contiennent aucune mesure sociale et qui prônent l’ultra-libéralisme.

Et ensuite, on se demande pourquoi...

Ajout, 12h45.

Sur le thème des transferts au Salvador, le vénézuélien Henry Nava, directeur national du syndicat national des travailleurs, et observateur lors des élections au Salvador. «But the principal terror is based on the theme of remittances and repatriation for Salvadorians. Remittances are the money that Salvadorians who live outside send to their families and, to explain, this small country maintains itself with these remittances because neo-liberalism has failed so much that it hasn't even been able to develop an economic system in which the country can sustain itself with its own income. Then imagine a campaign for more than two months, everyday, “if the FMLN win the elections you won't have access to your remittance, vote for a secure country”.»

Et toujours de la BBC, mais cette fois sur l’importance des transferts pour le Mexique : «Remittances from Mexicans in the US have become one of Mexico's most important sources of income, second only to oil and surpassing the traditional tourism industry. According to Roberto Suro, director of the Pew Hispanic Center in Washington "remittances have probably benefited Mexico more than Nafta" (the North American Free Trade Agreement between Canada, the US and Mexico).»
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29.3.04

...et ça recommence à Radio-Canada!

Communiqué en date de ce matin, émis par le Syndicat des communications de Radio-Canada : «Ce matin, deux ans presque jour pour jour après un lock-out de neuf semaines à la SRC, un avion encercle la Maison de Radio-Canada en tirant une banderole portant la mention : “Radio-Canada : discrimination contre le Québec”. [...] La convention collective des 1400 membres du Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN), représentant les employés en ondes et les employés de production de la société d’État au Québec et à Moncton, a pris fin le dimanche 28 mars. Les négociations avec les porte-parole du syndicat et de l’employeur ont commencé au début janvier et se poursuivent cette semaine, avec la présence d'un conciliateur.»

Et en plus, on annonce un nouveau blogue sur http://avectoutesnosforces.typepad.com.
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28.3.04

L’universitaire, le marchand et le pirate

L’universitaire, c’est Lawrence Lessig, professeur de droit à l’Université Stanford, et fondateur du Center for Internet and Society. Le marchand, dans ce cas-ci, c’est celui qui détient les droits sur un produit commercialisable de création. Le pirate, c’est vous et moi qui pouvons nous accaparer de ce produit et du fait même lui nier ses droits. Cette dernière prémisse est, du moins, l’attitude qu’adopte l’industrie de la musique un peu partout, le Québec n’y faisant pas exception.

ImaEn octobre dernier, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) s’engageait à prendre des «mesures concrètes» pour contrer la gratuité «face au phénomène de l’appropriation sans droit de la musique (téléchargement illégal sur Internet)», entre autres, «à faire tout en son pouvoir pour que les fournisseurs d’accès Internet contribuent financièrement à la création de contenu canadien, contenu dont ils facilitent grandement l’accès.» Déjà, il y a problème avec cette formule. Si on force les fournisseurs d’accès à contribuer financièrement à la création, ils refileront les coûts à leurs clients, que ces derniers téléchargent ou non des fichiers musicaux. Dans son communiqué sur les statistiques sur le piratage de musique, et s’appuyant sur les données de l’étude NETendances 2003, l’ADISQ affirmait qu’au Québec en 2003, «près d’un million d’adultes ont écouté ou téléchargé de la musique en ligne soit 17 % des adultes québécois. En mars 2003, cette proportion a atteint un sommet de 20 %. De plus, chez les adolescents québécois (12-17 ans) cette proportion a atteint 70 % en 2003.» C’est donc dire qu’on pénaliserait 80 % des utilisateurs adultes, et 30 % des ados, avec une hausse de tarifs. Et sans compter l’ensemble des 40 % de branchés québécois qui ne disposent pas d’une connexion à haut débit, le poids des fichiers musicaux faisant obstacle à l’échange.

Le marchand est plus pragmatique. Une des doléances du public est que l’on doive parfois acheter un album complet, même si ce n’est qu’une ou deux chansons qui nous intéressent. Archambault a compris et offre maintenant, à la carte, les pièces individuelles à un dollar. Cette formule est d’ailleurs retenue par un nombre croissant de disquaires «zéro surface», Wal-Mart s’étant joint à iTunes (Apple), Virgin et autres, et une féroce concurrence s’annonce.

Lawrence LessigL’universitaire, pour sa part, aimerait qu’on prenne le temps de réfléchir à toute la question des oeuvres dites culturelles. Lawrence Lessig vient de publier un livre, Free Culture, dans lequel il soumet une donnée révélatrice sur l’attitude de la Recording Industry Association of America (RIAA) qui mène aux États-Unis la lutte contre le piratage de la musique. «Tenons pour acquis que la RIAA a raison, et que la cause de la diminution de la vente des disques compacts est attribuable à l’échange de fichiers sur Internet. Mais voilà où le bât blesse : au cours de la même période durant laquelle la RIAA estime qu’il s’est vendu 830 millions de CD, elle évalue que 2,1 milliards de CD ont été téléchargés gratuitement; bien qu’il y ait eu 2,6 fois le nombre de CD échangés que vendus, les revenus n’ont diminué que de 6,7 %. Il y a trop de facteurs qui jouent simultanément pour expliquer de manière formelle ces données, mais on ne peut échapper à une conclusion. L’industrie de la musique ne cesse de répéter qu’il n’y a pas de différence entre télécharger et voler un CD, mais ses propres données la contredisent. Si je vole un CD, il y a un CD de moins à vendre. Chaque CD volé est une vente perdue. Mais sur la base des données fournies par la RIAA, il est clair qu’il n’en va pas de même pour les téléchargements. Si chaque téléchargement équivalait à un vol [...] l’industrie aurait connu une baisse de ses ventes de 100 % l’an dernier, et non de 6,7 %. Si un ratio de 2,6 téléchargements pour chaque vente implique une baisse de 6,7 % des revenus de vente, il y a donc une différence énorme entre télécharger et voler un CD. Ce sont là, peut-être quelque peu exgérés, les torts qu’on impute au téléchargement, mais tenons-les pour vrais. Quels sont les avantages? L’échange de fichiers peut imposer des coûts à l’industrie de la musique. Mais quelle valeur vient équilibrer ces coûts?» (Op.cit. P.71)

Lessig nous invite à réfléchir non seulement aux statistiques, mais à l’essence même de la culture, à ses «produits», à l’utilisation que nous en faisons. Et tout comme son titre l’indique le livre est téléchargeable gratuitement en format PDF.
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