28.12.04

Susan Sontag 1933-2004

Susan Sontag par Annie LeibovitzOn apprend le décès à New York de l’essayiste et romancière étasunienne Susan Sontag. L’annonce a été faite par une clinique de cancérologie de Manhattan. Madame Sontag aura marqué une époque de la littérature par des essais profonds et percutants, notamment sur l’importance de l’image dans nos sociétés dans «Sur la photographie» (1977) et «La douleur des autres». Proche de la photographe Annie Leibovitz, elle avait écrit le texte d’accompagnement de son célèbre livre «Women» publié en 1999.

Le 17 septembre 2001, elle écrivait dans le New Yorker un article (retrouvé ici grâce à la bienveillance de Lise Willar) sur les attentats du 11 septembre qui lui valut d’être taxée d’anti-américaine et de recevoir des menaces de mort. «Toutes les voix autorisées à suivre l’événement semblent s’être liguées pour mener une campagne destinée à infantiliser le public. Où peut-on entendre qu’il ne s’agissait pas d’une attaque “lâche” contre la “civilisation”, la “liberté”, l’“humanité” ou encore “le monde libre”, mais d’une attaque menée contre les États-Unis, autoproclamée première superpuissance mondiale, en répercussion à certains intérêts, certaines actions de l’Amérique?»

Un an plus tard, l’écrivain Russell Banks commentait les propos de Sontag dans le magazine littéraire de L’Express : «Le problème n’est pas que Susan Sontag se soit trompée. Je pense que son analyse était assez juste, mais elle n’a pas exprimé suffisamment de douleur et d’admiration pour les policiers et les pompiers tués. Elle n’a pas modéré. En d’autres termes, elle n’a pas montré son “américanisme”, sa carte de membre à la tribu. Elle a simplement critiqué la tribu.»

Et critiquer la tribu, elle continua de le faire jusqu’à tout récemment. Lorsqu’a éclaté l’affaire des photos de la prison d’Abou Ghraib, elle écrit un long texte dans le quotidien The Guardian (version française) intitulé «Qu’avons-nous fait?» : «Ce fut tout d’abord un déplacement de la réalité des faits vers les photographies elles-mêmes. La réaction initiale de l’administration fut de dire que le Président était choqué et éprouvait du dégoût à la vue de ces images - comme si la faute ou l’horreur venait des images elles-mêmes et non de ce qu’elles dépeignent. Il y eut également le soin mis à éviter l’emploi du mot “torture”. Les prisonniers ont peut-être bien été victimes de “mauvais traitements”, et finalement “d’humiliations” - mais c’était le maximum que l’on puisse admettre.»

Le départ de Susan Sontag laissera un vide en cette époque où de moins en moins d’intellectuels osent, justement, «critiquer la tribu».
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