29.7.05

Haïti : Amnesty International s’inquiète, l’ONU en période de déni

Dans un rapport publié ce 28 juillet, Amnesty International dresse un constat sévère à l’endroit du «gouvernement de transition», de la Police nationale et de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) en ce qui a trait à la violence qui règne dans le pays.

«Depuis que le gouvernement de transition a pris ses fonctions début mars 2004, aucun effort sérieux n’a été fait pour s’attaquer au problème du désarmement, malgré une forte augmentation de la violence et des décès par armes à feu.[...] Le gouvernement de transition semble de plus en plus clément à l’égard des anciens militaires et des autres groupes illégaux liés à l’ancienne opposition, tandis qu’il poursuit avec acharnement les factions soupçonnées de soutenir l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.[...] Il est apparu en outre que les autorités haïtiennes toléraient certains groupes armés illégaux, tels que les anciens rebelles et les anciens militaires et leurs acolytes, tandis qu’elles poursuivaient les bandes armées présumées favorables à Jean-Bertrand Aristide.»

Concernant la circulation des armes en Haïti, on apprend du rapport de AI que «Des recherches menées en 2004 et 2005 par le programme Small Arms Survey, basé à Genève, montrent que, en Haïti, près de 170 000 armes se trouvent entre les mains de particuliers, de divers groupes armés et bandes criminelles, de services de sécurité et de responsables de l’application des lois. Selon le rapport de Small Arms Survey, il n’existe pas à ce jour de registre complet, précis et actualisé des armes à feu; il existait bien un registre national, mais il a été abandonné, bien que des permis de port d’armes aient été accordés début 2005. Les chiffres officiels donnés dans le rapport indiquent que, en 2001, la police nationale avait enregistré 20 300 armes possédées légalement par des civils.»

Pour ce qui est des rapports qu’entretient la MINUSTAH avec la Police nationale, AI constate qu’il s’agit d’une alliance douteuse, du moins sur le plan des perceptions de la population. «Le soutien dont la MINUSTAH pouvait jouir au sein de la population haïtienne s’amenuise avec chaque violation commise en toute impunité par la police nationale. Ce soutien a aussi diminué chez les habitants des quartiers défavorisés et chez les partisans du mouvement Lavalas - actuellement la principale force politique en Haïti - car la MINUSTAH a pour mission d’aider la police nationale, qui continue de commettre des violations généralisées contre ces deux catégories de population.»

En plus de ces «violations généralisées» contre la classe des démunis et les militants du président dûment élu Jean-Bertrand Aristide, rappelons que huit membres de la Police nationale ont récemment été arrêtés pour leur implication dans ce nouveau fléau que connaît le pays, soit les enlèvements pour rançon (voir le billet Haïti : enlèvements et violences onusiennes).
De plus, comme le rapportait l’Agence haïtienne de presse le 4 juillet dernier, au début du mois, la Police nationale serait un véritable foyer de corruption. «Un responsable du groupe des 184, Charles Henri Baker, a critiqué le premier ministre intérimaire Gérard Latortue qui, a-t-il dit, dénonce la corruption comme n'importe quel citoyen, alors que son rôle est de prendre des dispositions contre les corrupteurs et les corrompus. Gérard Latortue avait dénoncé la semaine dernière l'émission de 2 000 chèques à l'ordre de policiers fictifs. Selon lui, 6 000 chèques sont émis tous les mois alors que la PNH dispose d'un effectif de 4 000 policiers.» Pas de quoi inspirer confiance dans cette police composée entre autres, comme le souligne AI, d’anciens militaires (les Forces armées d’Haïti ont été officiellement dissoutes il y a dix ans).

Quant à la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), et à l’intervention meurtrière du 6 juillet dernier (voir également le billet Haïti : enlèvements et violences onusiennes), l’ONU adopte une attitude prudente. Dans un communiqué (format PDF) émis le 7 juillet, la MINUSTAH a nié avoir ciblé des civils, mais que des opérations dans des quartiers à haute densité de population comportent toujours des risques qu’il y ait des victimes civiles, et qu’elle regrettait toute atteinte à la sécurité des civils.

Selon des témoins indépendants sur place (Médecins sans frontières, journalistes locaux, délégation de syndicalistes étasuniens), l’opération aurait fait au moins 23 morts alors que la MINUSTAH ne reconnaît que 6 victimes, des «bandits» selon le porte-parole.

Kevin Pina, un journaliste en poste en Haïti, commente aujourd’hui dans le quotidien britannique The Independent : «Bon nombre de témoins ont déclaré que les victimes ont été tuées par les forces de l’ONU, la Police nationale n’était même pas présente. J’estime renversant que l’ONU n’ait pas dans une telle mission pris soin d’être accompagnée de médecins et d’ambulances, ce qui serait une précaution élémentaire que l’on soit à la recherche de bandes criminelles ou de civils. Il est révélateur que tant de victimes aient été tirées à la tête. Je crois que l’absence d’ambulances s’explique par le fait qu’ils ne tiraient pas pour blesser, ils tiraient pour tuer.»

Hier le responsable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, Jean-Marie Guehénno, déclarait à la suite d’une séance d’information à huis clos du Conseil de sécurité : «Il est difficile pour la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) d'opérer dans des environnements urbains», indiquant que dans l'idéal il faudrait des capacités spéciales dont elle est dépourvue, telles que des équipes d'intervention spéciales pour capturer des chefs de gangs. «Ce n'est pas tant une question d'avoir des troupes robustes», a-t-il ajouté en réponse à l'évocation de la possibilité du transfert de troupes canadiennes et françaises. Il faut des équipements de nuit, du personnel entraîné. Selon M. Guehénno, «les pays fournisseurs de troupes sont conscients du problème», a-t-il indiqué, ajoutant que la tenue d’élections à l’automne était toujours «possible».

En complément d’information, dans l’hebdomadaire Haïti Progrès, un article qui dérange, Les Canadiens ont-ils été impliqués dans un massacre en Haïti? : «Pierre Pettigrew, en tant que ministre des Affaires extérieures ne saurait tout ignorer des activités criminelles menées par ses troupes en Haïti le jour même du coup d’État du 29 février 2004 et par la suite, comme en rendait compte Anthony Fenton dans plusieurs articles et celui ci dessous, daté du 8 septembre 2004, dont nous vous présentons la traduction de l’anglais. “Le 29 juillet, le commandant du contingent militaire canadien en Haïti, le lieutenant-colonel Jim Davis, reconnaissait au cours d’une téléconférence fort animée par les médias qu’au moins 1 000 personnes avaient été tuées à Port-au-Prince depuis le 29 février. Il reconnaissait aussi que les forces d’occupation avaient pris part à un massacre de 40 à 60 civils Lavalas dans le quartier du Bélair le 12 mars.[...] Il y a encore beaucoup de questions en suspens quant au rôle joué par le Canada dans la planification et l’exécution de ce changement illégal du régime d’un dirigeant populaire démocratiquement élu (et de plus de 7 000 autres fonctionnaires élus), et les assassinats politiques qui sont perpétrés pour faire taire la voix des masses haïtiennes tandis qu’on pave la voie pour de prétendues "élections libres et honnêtes". Le silence général entourant ces faits dans les milieux politiques canadiens doit être rompu, ces faits doivent être divulgués publiquement, et il faut qu’une enquête approfondie sur ces horribles questions se tienne.» À lire.
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