15.4.06

Le prix des choses

La semaine dernière, le journaliste Seymour Hersh publiait dans les pages du New Yorker un article percutant sur les velléités présumées de George Bush de provoquer un «changement de régime» en Iran (voir The Iran Plans, traduction en français ici). Le prétexte serait l’enrichissement d’uranium par l’Iran, de l’uranium qui servirait à assembler des engins nucléaires. Mais pour porter un coup fatal au programme nucléaire iranien (s’il existe), les forces armées étasuniennes devront, selon Hersh et ses informateurs, utiliser elles-mêmes l’arme nucléaire, avec les conséquences que l’on suppose.

On lisait hier dans Libération que «L'Iran a décidé qu'il était un pays nucléaire, qu'il ne reviendrait jamais en arrière et a choisi de le faire le jour même de la visite à Téhéran de Mohamed le-Baradei, le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). C'est le président Mahmoud Ahmadinejad qui a fixé hier la ligne officielle dans une déclaration à l'agence officielle Irna.[...] Dès lors, la mission d'le-Baradei, venu pour convaincre les dirigeants iraniens de suspendre l'enrichissement d'uranium, semble de pure forme, d'autant qu'elle avait été précédée par l'annonce de la maîtrise de cette technologie.» (Voir Le-Baradei se heurte au mur du nucléaire en Iran.)

Disons que le président Ahmadinejad ne fait rien pour calmer les esprits. Le Monde rapporte que «Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, persiste et signe. Israël est condamné à "disparaître", a-t-il déclaré, vendredi 14 avril, à l'occasion d'une conférence que la République islamique organise pour la troisième fois, en solidarité avec le peuple palestinien.[...] Mahmoud Ahmadinejad reprenait ainsi un des thèmes favoris de ses discours depuis son accession à la présidence en août 2005. Israël doit être "rayé de la carte" et l'Holocauste est "un mythe", avait-il déclaré dès octobre 2005, totalement indifférent au tollé que ses déclarations avaient soulevé en Occident.» (Voir Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, réitère ses "doutes" sur l'Holocauste.)

Et comme on sait qu’Israël dispose de l’arme atomique sans pour autant l’avouer, il n’y a rien de rassurant dans toutes ces tentatives d’intimidation de part et d’autre. Le 25 avril 2004, on lisait dans Le Matin que «Ariel Sharon, le Premier ministre israélien, reconnaît que son pays possède un programme d’armement nucléaire. C’est la première fois qu’un officiel de l’État hébreu confirme ce que la communauté internationale sait depuis quarante ans. Depuis que la France lui a fourni durant les années 1960 un réacteur nucléaire, tous les experts militaires étrangers s’accordent pour dire qu’il dispose de 100 à 200 ogives nucléaires.» (Voir Ariel Sharon confirme qu’Israël est une puissance nucléaire.)

Et puis l’Irak où la situation ne cesse de dégénérer, et on a assisté à une «révolte des généraux». Dans Le Monde, on lisait hier «Même à l'époque du Vietnam, l'armée américaine n'avait rien connu de tel. En quelques semaines, six généraux à la retraite, dont trois, jeudi 13 avril, ont réclamé la démission du secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld. Le porte-parole de George Bush a réaffirmé que la confiance du président demeure "forte" envers son ministre, un homme qui a effectué "du bon travail" et conduit deux guerres, en Afghanistan et en Irak. Selon l'un des officiers, le général John Batiste, qui commandait la 1re division d'infanterie lors des opérations en Irak de 2004 à 2005, il ne s'agit en rien d'un mouvement coordonné. "Dans une démocratie, les officiers supérieurs ont une obligation de parler", a-t-il affirmé, jeudi, sur la chaîne de télévision publique PBS.[...] L'actuel chef d'état-major, le général Peter Pace, a répondu, mercredi, que les militaires "avaient eu et avaient toujours" toutes les occasions de donner leur avis. "Honte à nous si nous ne l'avons pas fait", a-t-il ajouté.» (Voir Six généraux réclament la démission de Donald Rumsfeld.)

Parlons maintenant du prix des choses. Je n’avais pas consulté depuis un certain temps le site Cost of War du National Priorities Project qui estime en temps réel le coût, pour les contribuables étasuniens, de l’opération irakienne. En ce 15 avril, on frôle les 275 milliards de dollars.

C’est un chiffre dont on a peine à mesurer l’ampleur réelle, une abstraction. Mais dans le concret, voici ce que l’on aurait pu réaliser avec cette somme.

Accorder à 13 250 000 étudiants une bourse d’étude de quatre ans dans une université.

Financer pour 11 ans le programme mondial de lutte contre la faim.

Financer complètement le programme mondial de lutte au SIDA pour 27 ans.

Assurer l’immunisation de base de tous les enfants de la planète pour 91 ans.

Ajoutons à ces 275 milliards le coût imposé aux autres États présents en Afghanistan et en Irak., et on atteint des sommes incroyables.

Et c’est aussi sans compter les 2 400 soldats étasuniens morts au combat, les 17 000 blessés, et les 35 000 victimes irakiennes civiles. (Voir Casualties in Iraq: The Human Cost of Occupation).

Et on songe à utiliser l’arme nucléaire contre l’Iran?
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