16.8.06

Les armées privées de Washington

Jeremy Scahill de l’hebdomadaire The Nation signe un article dans le numéro du 28 août (accessible sur le site Web), Mercenary Jackpot qui mérite d’être souligné. 

En 2004, le State Department a lancé un appel à soumission dans le cadre de son programme Worldwide Personal Protective Service (WPPS).  Il s’agissait pour le ou les entrepreneurs sélectionnés d’assurer au besoin la protection de «certains responsables de haut niveau de gouvernements étrangers», un besoin découlant des «troubles persistants au Proche-Orient, et des efforts de stabilisation entrepris par les États-Unis en Bosnie, en Afghanistan et en Irak.» Le State Department déclarait que le gouvernement des États-Unis était incapable, à long terme, d’assurer ces services à l’aide de son effectif d’agents spéciaux, il qu’il fallait donc attribuer un contrat en impartition.

L’appel à soumission s’est soldé par l’attribution de contrats à un petit nombre d’entreprises, dont DynCorp, Triple Canopy et Blackwater USA.  L’enveloppe prévue devait totaliser 229,5 millions de dollars sur cinq ans.

Dyncorp a été fondée en 1946 par un petit groupe d’anciens pilotes militaires comme service de fret aérien et portait alors le nom de California Eastern Airways.  En 2002, l’entreprise rapportait des revenus de 2,3 milliards de dollars, et occupait le 13e rang des fournisseurs militaires.  En vertu du Plan Colombie (éradication de la coca), DynCorp dispose d’un effectif de 307 employés et d’une flotte de 88 avions pour vaporiser des défoliants sur les plantations.  En 1999, un de ses propres employés a dénoncé la pratique du personnel de DynCorp en Bosnie consistant à acheter et vendre des jeunes filles à des fins de prostitution, à s’adonner au trafic d’armes (voir le dossier de CorpWatch). 

Triple Canopy a été créée en septembre 2003.  Début 2004, l’entreprise se voit accorder un contrat de six mois pour protéger les locaux du gouvernement provisoire en Irak, contrat d’une valeur de 90 millions de dollars.  Depuis le 4 novembre 2005, c’est elle qui assure la protection de la «zone verte» à Bagdad.  Elle compte parmi ses administrateurs Dan Bannister, un ex-premier dirigeant de Dyncorp (voir le dossier de SourceWatch).

Blackwater USA offre des services d’entraînement tactique et de consultation en sécurité.  Elle dispose d’une aire d’entraînement de 6 000 acres en Caroline du Nord.  Mais elle est aussi très présente en Irak.  Les quatre combattants civils étasuniens tués à Fallujah le 31 mars 2004 étaient des employés de Blackwater.  Selon certaines sources, des effectifs de Blackwater ont combattu aussi à Najaf, quelques jours après l’incident de Fallujah.  Blackwater utilisait même ses propres hélicoptères pour réapprovisionner ses commandos sur le terrain (voir le dossier SourceWatch).

Selon Jeremy Scahill qui a eu accès à des documents récents, au 30 juin 2006, avec à peine deux ans en cours de contrat (initialement prévu pour cinq ans), Blackwater à elle seule aurait reçu 321,7 millions de dollars, soit plus de 100 millions de plus que prévu pour cinq ans.  Le State Department refuse d’expliquer l’écart.

Le General Accounting Office (vérificateur des comptes de l’État) s’inquiète d’ailleurs de la montée en flèche du recours aux armées privées.  Dans un rapport publié en juin dernier, le GAO déclarait : «Il y a croissance de l’industrie privée dans le secteur de la sécurité en Irak.  Dans notre rapport de 2005, nous rapportions que le ministère de la Défense estimait qu’une soixantaine d’entreprises employant environ 25 000 personnes étaient présentes en Irak.  En mars 2006, le directeur de l’association des entreprises privées de sécurité en Irak a estimé qu’il y avait maintenant 181 entreprises disposant d’un effectif de 48 000 employés (voir GAO Actions Still Needed to Improve the Use of Private Security Providers , format PDF). 

Mais le dossier n’est pas au menu des grands médias étasuniens.  La représentante démocrate de l’Illinois Jan Schakowsky entend pour sa part demander des éclaircissements sur ces contrats et déclare : «Nous devons savoir pourquoi l’administration Bush continue de signer des chèques en blanc à Blackwater et d’autres pendant que le congrès et le grand public ne sont pas informés de cette question.»
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