4.8.05

Des élections sont-elles possibles en Haïti?

«Il faut rapidement surmonter les obstacles majeurs sur le plan technique, politique et de la sécurité sinon il faudra reporter les élections municipales et locale prévues pour octobre, et les législatives et présidentielle pour novembre.»

Cette constatation qui relève de l’évidence est formulée par la cellule de réflexion bruxelloise sur la prévention et la résolution de conflits, International Crisis Group (ICG), dans un rapport en date du 3 août 2005 intitulé Can Haiti Hold Elections in 2005?.

Les auteurs du rapport se penchent notamment sur le processus électoral : «La loi électorale n’a été adoptée que le 3 février 2005, l’inscription des électeurs a débuté en avril, mais à la fin juillet bon nombre de centres d’inscription n’étaient toujours pas ouverts. Au 28 juillet, alors que la période d’inscription doit se terminer le 9 août, environ 870 000 électeurs s’étaient inscrits, soit environ le cinquième du nombre total estimé de personnes aptes à voter, et aucun d’eux n’avait encore reçu la carte d’identité nationale requise pour voter. Aucun parti n’a encore répondu à toutes les exigences pour présenter des candidats; le CEP [Ndlr. Conseil électoral provisoire] devra prolonger la date limite pour l’inscription ou modifier les conditions permettant aux partis politiques de participer au scrutin.»

Les différents secteurs de la société civile campent sur leurs positions, tout comme le gouvernement intérimaire, sans être enclins au compromis. Selon l’ICG, «L’absence de compromis est bien illustrée par le gouvernement de transition qui utilise ses pouvoirs pour persécuter les anciens leaders et militants de Lavalas [Ndlr. parti politique de Jean-Bertrand Aristide], comme Yvon Neptune [Ndlr. premier ministre sous Aristide], la plupart du temps sans qu’il n’y ait d’accusations portées ou de procès. Il est vital de corriger ce déni de justice si on veut convaincre les modérés de Lavalas de s’éloigner des radicaux et de participer aux élections.»

Dans le dossier justice, soulignons une dépêche de l’Agence haïtienne de presse en date du 2 août : «L'ancien numéro 2 du FRAPH, Louis Jodel Chamblin, a été remis en liberté ce mardi 2 août. C'est le responsable du Comité de Défense des Droits des Haïtiens (CDPH), Ronald St-Jean, qui en a fait l'annonce mardi en fin de journée sur la radio privée Solidarité.[...] L'ancien numéro 2 du FRAPH qui avait pris une part active dans la lutte armée pour renverser le président Jean-Bertrand Aristide, s'était rendu à la justice après avoir eu des entretiens avec les plus hautes autorités du pays dont l'ancien ministre de la justice Bernard Gousse. Le FRAPH et les anciennes Forces armées d'Haïti sont accusés d'implication dans l'assassinat de plus de 3 000 partisans du président Aristide lors du coup d'état contre ce dernier de septembre 1991 à octobre 1994. Lors des assises criminelles spéciales organisées en août 2004, Louis Jodel Chamblin avait été acquité dans le cadre du dossier de l'assassinat du père Jean-Marie Vincent assassiné justement au cours de cette même période. Une décision qui avait été vivement contestée par des organismes de droits de l'homme.»

Mais revenons à la question de la tenue d’élections. On peut faire porter le blâme de la situation décrite par l’ICG à l’insécurité qui paralyse le pays, au manque de moyens des autorités pour organiser le scrutin, et à bien d’autres facteurs.

Mais s’il n’y a qu’un cinquième des personnes aptes à voter qui se sont inscrites sur les listes électorales, n’est-ce pas à cause de l’inutilité perçue de l’exercice électoral?

En décembre 1990, les Haïtiens votent massivement pour porter Jean-Bertrand Aristide à la présidence. En septembre 1991 Aristide est renversé par un coup d’État militaire. Il revient en 1994 sous la protection des forces armées étasuniennes. En 1995 c’est René Préval, un proche, qui lui succède, mais son mandat est perturbé par une opposition réticente à tout compromis. Puis en novembre 2000, Aristide est reporté au pouvoir pour un second mandat non consécutif.

En février 2004, Aristide est de nouveau contraint à quitter le pays, cette fois sous la pression de groupes rebelles armés, sans que n’interviennent Washington, Paris et Ottawa pour prêter main forte à un chef d’État démocratiquement élu, bien au contraire.

Pour l’Haïtien moyen, à quoi servent les élections si à chaque fois qu’il va voter et élit une personne qui, croit-il, pourrait améliorer son sort, des forces occultes à l’intérieur et à l’extérieur du pays viennent brouiller les cartes?
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