3.8.05

Haïti : Et maintenant, les mercenaires...

Après les allégations récentes de campagne systématique d’enlèvements orchestrée par les partisans du président Jean-Bertrand Aristide (voir le billet Haïti : enlèvements et violences onusiennes), viennent maintenant les rumeurs concernant la présence en sol haïtien de mercenaires sud-africains.

Dans un article en date du 2 août (Haiti : «Il ne faut jamais sous-estimer les mercenaires sud-africains»), le journaliste Pierre Gotson écrit : «“Il ne faut jamais sous-estimer les mercenaires sud-africains”, a commenté ce 2 août, Francois L’Écuyer, un spécialiste canadien de l’Afrique du Sud, après la révélation de l’éventuelle présence sur le sol haïtien d’agents sud-africains afin d’entreprendre des activités subversives.[...] En ce qui concerne le dossier haïtien, récemment, des médias faisaient état de la présence sur l’île de mercenaires sud-africains engagés pour des opérations de déstabilisation par une firme de sécurité ayant fourni des “bodyguards” à l’ex-président Jean-Bertrand Aristide pendant sa présidence.»

L’affaire n’est pas nouvelle. Dans son édition du 4 juillet, le quotidien de Port-au-Prince Le Matin publiait un article selon lequel «une dizaine de mercenaires auraient été recrutés en Afrique du Sud (où se trouve exilé le président Aristide), “à dessein de semer le chaos en Haïti où des élections sont prévues en novembre et décembre prochains”.» (Voir la dépêche de l’AHP); «Le Journal Le Matin a publié un nom complet et 9 prénoms qui correspondraient aux mercenaires qui seraient envoyés d'Afrique du Sud. La photo d'un individu en tenue vert-olive et portant cagoule a également été publiée sans que le journal ne précise s'il s'agit de l'un des 10 mercenaires.»

L:e 5 juillet, le service BBC Monitoring reprenait les mêmes informations (South African mercenaries to spread chaos in Haiti - radio), mais citait cette fois une radio locale de Port-au-Prince, Radio Vision 2000.

Ce qui est important de savoir c’est que Réginald Boulos, entre autres président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Haïti, bénéficiaire pour ses nombreux projets de l’aide de l’USAID, est également le président du Conseil d'administration du journal Le Matin, et co-propriétaire avec André Apaid (chef du Groupe des 184 qui a mené la lutte pour le renversement de Jean-Bertrand Aristide) de Radio Vision 2000.

Si l’affaire des mercenaires refait surface en ce début août, c’est que le service d’information sud-africain News24 faisait état d’allégations de présence de mercenaires en Haïti (SA mercenaries off to Haiti?). En fait, News24 attribuait ces allégations à une radio et un journal local de Port-au-Prince, les mêmes que nous citons plus haut. L’élément nouveau qu’apporte News24 est que la South African Special Forces League, une association de soutien et de services aux anciens combattants (et ex-mercenaires), avait fait parvenir à ses membres un courriel au sujet d’Haïti. On mentionne au conditionnel la présence possible d’agents dans un petit mais très controversé pays de la Caraïbe (sans nommer Haïti). Le message officiel de l’organisme à ses membres est qu’il condamne avec véhémence toute action mercenaire, et que si certains de ses membres sont engagés dans une telle action, ils doivent abandonner l’opération quelles que soient les promesses qui leur ont été faites.

Pourquoi alors revenir, comme le fait Pierre Gotson en citant François L’Écuyer, sur ces rumeurs de mercenaires sud-africains en Haïti? Pourquoi ne pas parler des mercenaires qui ont combattu aux côtés des insurgés pour renverser Jean-Bertrand Aristide début 2004?

Bref, outre les affirmations véhiculées par des médias dont Réginald Boulos est propriétaire, si Gotson, L’Écuyer ou quiconque détient des preuves sur la présence de mercenaires sud-africains en Haïti, et des liens entre eux et les partisans de Jean-Bertrand Aristide, qu’ils les fournissent. Sinon, la situation est déjà suffisamment complexe et confuse et on peut fort bien se passer de ces spéculations controuvées.

Soulignons que c’est ce même François L’Écuyer qui a contribué a répandre l’hypothèse selon laquelle les partisans de Jean-Bertrand Aristide avaient lancé l’automne dernier l’«Opération Bagdad». Il écrivait en juin 2005 : «En septembre 2004, les Chimères, gangs fidèles au président Aristide et armés par lui, ont lancé l’opération Bagdad. L’objectif avoué est de déstabiliser le pays, chasser les forces occupantes et rendre impossible la tenue de nouvelles élections, prévues pour l’automne 2005.» (Voir Militarisation de la paix en Haïti in Alternatives.)

On accusait les promoteurs de l’Opération Bagdad d’avoir procédé à des décapitations d’agents de police. L’hypothèse ne tenait pas la route faute de faits vérifiables (voir le billet Présumées décapitations en Haïti du 17 octobre dernier) et j’écrivais à ce sujet «les autorités gouvernementales n’ont pas publié le nom des policiers décapités. Le gouvernement a systématiquement refusé les demandes de journalistes indépendants et de groupes de droits de la personne d’examiner les corps. Aucune vérification indépendante n’a donc été faite sur les allégations de décapitation. Ce qui équivaut à une campagne de désinformation bien montée (recours au mot “terroriste” et déclinaison de “Bagdad” dans le discours) qui sert les intérêts du gouvernement intérimaire et de ceux qui, à Washington, Paris et Ottawa le soutiennent.»

Et il semble en être de même des rumeurs sur les mercenaires.
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