8.8.05

Les détournements d’Aristide?

Jean-Michel Caroit, correspondant du quotidien Le Monde à Santo Domingo signe ce 9 août un article intitulé En Haïti, deux rapports révèlent le système de corruption mis en place par l'ex-président Aristide. Caroit écrit : «Deux rapports officiels décrivent, preuves à l'appui, le système de corruption qu'avait mis en place l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, exilé en Afrique du Sud. Les détournements de fonds ont porté sur au moins 55 millions de dollars, selon ces enquêtes engagées à la demande du gouvernement provisoire de Port-au-Prince, au pouvoir depuis le renversement de M. Aristide en février 2004.»

La première enquête, de source politicienne, est celle dirigée par l’ancien sénateur Paul Denis qui préside la Commission d'enquête administrative. Cité par Caroit, ce dernier déclare : «L'État haïtien dispose d'un ensemble de preuves pour attaquer en justice les personnes impliquées dans ces fraudes graves, en particulier le commanditaire principal de ces crimes, Jean-Bertrand Aristide.» Si Paul Denis a répété ces affirmations à différents médias locaux et étrangers, il se fait toutefois avare de détails sur les preuves.

La seconde enquête nous paraît plus sérieuse, mais certains passages révélateurs sont étrangement passés sous silence par Caroit. L’information initiale au sujet de cette enquête est venue d’un article de Jacqueline Charles du Miami Herald en date du 4 août (Report: Aristide diverted millions). L’enquête a été menée par l'Unité centrale de renseignement financier (UCREF), un organisme mis sur pied par le gouvernement intérimaire après le départ précipité d’Aristide l’an dernier et dirigé par Jean-Yves Nol, vérificateur comptable d’expérience sans affiliation politique connue selon le Herald.

Si Caroit affirme que «Par le biais de la Fondation Aristide, une partie des sommes détournées servait à financer les "oeuvres sociales" de la présidence ou était distribuée aux "organisations populaires", les milices du régime qui ont sombré dans le trafic de drogue et dans la criminalité», Jacqueline Charles est autrement plus nuancée et ne parle que d’allégations, mais donne aussi un portrait très différent de la situation.

On apprend du Herald que le rapport de 69 pages de l’UCREF est confidentiel, et qu’il est daté du mois d’avril. Il a été déposé en juin devant un magistrat haïtien comme première étape dans une éventuelle poursuite contre Aristide. Le Herald dit en avoir obtenu une copie et l’avoir fait authentifier par trois personnes qui elles aussi sont en possession du document, dont Jonas Petit, un proche d’Aristide qui vit maintenant dans le sud de la Floride.

En outre, le rapport «ne dit pas qu’Aristide, en exil en Afrique du Sud, a reçu quelque argent pour son utilisation personnelle, pas plus qu’il n’explique totalement comment des entreprises privées ont utilisé les fonds publics» que l’on soupçonne d’avoir été détournés, «Mais il prétend que ces versements violaient la réglementation haïtienne en matière de dépenses publiques et la loi sur le blanchiment d’argent.»

Voici ce que le rapport de l’UCREF établit. Trois entreprises factices ont reçu 18,6 millions de dollars en fonds publics. De ces sommes, environ six millions de dollars ont été versées à des organismes : la Fondation Aristide pour la Démocratie créée en 1996 pour soutenir les mouvements populaires qui mettait sur pied en 2001 une faculté universitaire de médecine pour étudiants démunis avec l’aide de professeurs cubains; l’orphelinat Lafanmi Selavi (La famille c’est la vie) remonte à 1986 alors qu’Aristide était toujours prêtre; l’organisme Se Pa’n (C’est pour vous), un programme de distribution d’aliments lié au parti Lavalas.

La première entreprise, VJLS Computer Services and Accessories, a reçu 14,5 millions de dollars au cours des trois ans ayant fait l’objet de l’enquête. De cette somme, elle a versé 2,6 millions à Se Pa’n, à la fondation, à l’orphelinat et à l’université. Quisqueya Store, autre société factice, a reçu 2,3 millions de dollars en fonds publics et a versé 523 000 $ à Se Pa’n, l’université et la fondation. Le troisième entreprise fantôme, COCSOBFO, aurait été une coopérative paysanne de la localité de Leogane qui aurait reçu environ 1,8 million de dollars pour en redistribuer 568 000 à l’université, à la fondation et à l’orphelinat.

Le rapport de l’UCREF fait l’objet de vives critiques de la part de Jonas Petit qui l’associe à une chasse aux sorcières. L’avocat de Miami Ira Kurzban, proche conseiller d’Aristide, rejette les accusations de corruption et affirme que pas un sou dépensé par l’administration Aristide n’allait pas à aider les couches défavorisées.

Par ailleurs, le président du Barreau de Port-au-Prince, Gervais Charles, dit que bien des éléments du rapport sont véridiques, mais que le travail a été bâclé tant dans la substance que dans la présentation des faits.

Bref, on a dit avoir découvert des irrégularités, outre les versements aux oeuvres sociales on ne sait pas où est allé l’argent, on ne dit pas qu’Aristide a reçu quelque argent pour son utilisation personnelle, mais on trouve dans les page du Monde un article portant en titre la mention «deux rapports révèlent le système de corruption mis en place par l'ex-président Aristide.»

Il n’est pas question ici d’absoudre sans confession l’administration Aristide, mais comme j’écrivais précédemment «la situation est déjà suffisamment complexe et confuse et on peut fort bien se passer de ces spéculations controuvées.» S’il y a preuve, qu’on les amène et qu’on procède.
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