10.8.05

Relève de la garde (diplomatique) en Haïti

On apprend de l’Agence haïtienne de presse (AHP) que l’ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince, James B. Foley, a été rappelé à Washington. «Un ancien diplomate qui a déjà travaillé en Haïti dans les années antérieures, Timothy Michael Carney le remplacera provisoirement comme chargé d'affaires. Le département d'État américain ne devrait pas faire connaître de si tôt le nom du successeur de James Foley, celui-ci n'étant pas arrivé au terme de son mandat en Haïti. Des sources proches de l'administration américaine ont assuré que la position du gouvernement américain n'a pas changé et qu'il continuera de supporter le régime intérimaire et l'organisation des élections annoncées pour la fin de l'année. Selon les mêmes milieux, Messieurs Noriega et Foley ont joué un rôle important en Haïti au cours de ces deux dernières années, notamment dans le départ précipité de Jean-Bertrand Aristide.»

Assiste-t-on à un coup de balai de la part de l’administration Bush dans les postes stratégiques de sa politique envers l’Amérique latine et Haïti? Une nouvelle passée presque inaperçue, mais ayant des incidences énormes, est en effet la démission de Roger F. Noriega, adjoint au Secrétaire d’État pour les affaires de l’hémisphère occidental. Sa démission est intervenue deux ans, jour pour jour, après sa nomination à ce poste le 29 juillet 2003. Il demeurera en poste jusqu’en septembre.

Au lendemain de sa démission, le New York Times a attribué le mécontentement de Noriega à la nomination de Caleb McCarry, attaché politique républicain au Congrès, au poste de «coordonnateur de la transition» à Cuba (quel bel aphorisme), ce qui retirait à Noriega la responsabilité principale du dossier cubain.

Michelle Karshan du Haiti Action Committee écrit (Roger Noriega, the Architect of the Rule of Terror in Haiti, Quits State Department) : «L’obsession vindicative de Noriega à l’égard des présidents Aristide et Chavez [Ndt. Hugo Chavez, président du Venezuela] l’a mené à être l’architecte, à tout le moins, du coup d’État contre le président Aristide[...] Avant le coup, Noriega avait lancé une offensive sur plusieurs front contre le gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, appuyant les opérations clandestines du International Republican Institute en Haïti, malgré les promesses du département d’État à la même époque d’interdire les activités de l’IRI en Haïti.»

Pour sa part, le journaliste d’enquête Anthony Fenton souligne les liens étroits qu’entretenaient Noriega et les politiciens canadiens en charge du dossier d’Haïti, et qui influait (comme d’habitude) sur la position canadienne en matière d’affaires extérieures (Les Latortue ont-ils kidnappé la démocratie en Haïti?). «Au pire du “fléau des enlèvements” [Ndt. début juin] , une délégation de haut rang, composée de Noriega, de l'envoyé spécial du Canada en Haïti Denis Coderre et de Daniel Parfait de France, se rendait en Haïti. Concernant la manifestation d'appui à Latortue, Coderre a dit: “Nous sommes ici ensemble, pour envoyer un message clair: Nous voulons que les élections aient lieu à temps.”» Citant le Miami Herald du 10 juin, Fenton poursuit : «Les propos de Noriega reflètent le sentiment de nombreux Haïtiens qui considèrent que les gardiens de la paix sont trop passifs face à la campagne d'enlèvements, détournements de voitures et fusillades.»

«Lors d'une session du comité parlementaire sur les Affaires étrangères le 14 juin, Pettigrew [Ndt. Pierre Pettigrew, ministre canadien des Affaires étrangères] et Coderre ont été appelés à échanger les points de vue sur les droits humains en Haïti avec les membres du comité. Coderre a dû être impressionné par le langage contre-insurrectionnel de son ami Noriega, car il en a fait l'étalage en partageant son éclair de génie à propos de l'existence d'“une stratégie urbaine pour tenter de déstabiliser la situation.”»

Et Fenton de conclure : «En attendant que le monde apprenne que c'est un réseau d'enlèvements mené par le gouvernement (voir le texte de son article), comme tout l'indique clairement, Haïti est condamnée à subir des “fléaux” continuels, apparemment inexplicables. Tôt ou tard les gangsters vont être punis, les prisonniers politiques libérés et la démocratie rétablie, mais d'ici là, il y a, pour reprendre le mot préféré de Coderre et Pettigrew, beaucoup de “propagande” à éclaircir.»

(Anthony Fenton est journaliste d'enquête et co-auteur (avec Yves Engler) du livre à paraître : Canada In Haiti: Waging War Against the Poor Majority, Fernwood/Red Press.)
|