9.8.06

États-Unis : Lieberman perd et accuse des hacktivistes

Le sénateur démocrate sortant de l’État du Connecticut Joe Lieberman a échoué dans sa tentative d’être désigné lors d’une élection primaire comme candidat de son parti à l’élection de novembre prochain.  Il a été défait par un nouveau venu en politique, l’homme d’affaires Ned Lamont.  L’affaire pourrait sembler usuelle si elle ne comportait la confirmation d’une nouvelle force politique, soit celle des blogues.

Je vous parlais en avril dernier du livre Crashing the Gate: Netroots, Grassroots and the Rise of People-Powered Politics de Jerome Armstrong et Markos Moulitsas Zúniga (voir Blogues et militantisme) et j’écrivais : «D’une part, certains politiciens démocrates considèrent les blogueurs politiques comme des amateurs mal informés des véritables enjeux et des rouages politiques.  Ils sont un peu embarrassés par ce militantisme sur lequel ils n’ont aucun pouvoir direct.  D’autres (et ici on a envie d’inclure certains journalistes) les perçoivent comme une menace à leur chasse gardée.  Les auteurs soumettent que ni les uns, ni les autres ne peuvent ignorer les blogues qui influenceront le débat politique d’une manière ou d’une autre.»

Ce qui est arrivé au Connecticut hier est un exemple frappant de cette nouvelle sphère d’influence que constituent les blogues.  À cet égard, voir Qui lit les blogues sur la politique? du 1er mai 2006.

Évidemment, il y a la question de l’orientation politique des deux candidats qui s’est manifestée sur une seule question, soit l’implication des États-Unis en Irak.  Lieberman a toujours été un farouche va-t-en-guerre.  Mais cette position s’effrite peu à peu chez les politiques étasuniens.  La semaine dernière, on lisait dans le New York Times que bien que Lieberman était démocrate, il était devenu «l'un des alliés les plus utiles de l'administration Bush, alors que le président tente de recourir à la guerre contre le terrorisme comme une excuse pour les changements radicaux imposés à ce pays.» Pour sa part, s’il est élu en novembre, Lamont entend exiger des comptes de l’administration Bush sur sa gestion de la crise irakienne et des questions de sécurité nationale.

Mais l’influence des blogues est indissociable de la victoire de Lamont.  Il a été désigné par les blogueurs progressistes, le mouvement netroots, comme un des candidats à appuyer dans le présent cycle électoral pour renouveler le parti démocrate, et reprendre le contrôle du sénat et de la chambre des représentants.  Le réseau informel des blogues a donc mis tout son poids derrière Lamont, tant sur le plan de la diffusion de son message que sur celui des conseils stratégiques, avec le résultat que l’on connaît. 

De déclarer Perry Bacon du magazine Time, cette campagne envoie un message très fort : dans un État à tendance libérale comme le Connecticut, les candidats démocrates qui ne portent pas attention au netroots le font à leur péril (voir The Unmaking of a Senator: How Bloggers Pulled It Off, Time, 9 août 2006.)

Mais l’élection d’hier a été marquée par une sérieuse accusation : Lieberman a accusé le clan Lamont d’avoir attaqué son site Web, bloquant ainsi l’accès à des informations destinées aux électeurs et paralysant son service de courriel.  Selon le New York Times (Charges of Dirty Tricks on Web Feed Speculation in the Blogosphere), les responsables de la campagne de Lieberman ont déclaré croire que «c’est l’action d’une attaque coordonnée de la part de nos opposants politiques.» Le clan Lamont a répliqué en disant que «si le site Web du sénateur Lieberman a été victime de hacking, nous n’avons rien à y voir, nous dénonçons cette action, et nous conseillons avec insistance les responsables à cesser immédiatement cette action.»

Le blogueur redchokerherring commente l’article du Times : «Nulle part dans cet article n’est-il fait mention que Lamont a offert les services de son gourou technique pour venir en aide aux gens de Lieberman.  Tout comme le démenti et la dénonciation du hack (s’il s’agit vraiment d’un hack).  On a bien sûr entendu Joe [Lieberman] demander que Lamont fasse une telle déclaration, et quand il l’a fait tout a été passé sous silence.»

Un des gourous techniques de Lamont, c’est Tim Tigris, jeune homme dans la fin vingtaine qui gère l’ensemble des opérations blogues de la campagne sur Internet.  Il a déclaré au New Haven Independent que les responsables des opérations Internet de Lieberman avaient fait preuve d’amateurisme et que leur site Web n’avait pu gérer l’accès d’achalandage en cette journée de scrutin (Hacking Charge: Was The Lieberman Camp Web-Clueless To The End?).

«Ils utilisent un serveur mutualisé partagé avec 72 autres sites.  Ils paient 15 $ par mois pour 10G de bande passante.  Nous avons consommé 10G de bande passante nous-mêmes au cours des dernières 24 heures» a-t-il déclaré, ajoutant que le coût de l’hébergement et des services Internet de la campagne de Lamont s’élevaient à 1 500 $ par mois.

Dan Geary de Geary Internet Services basé à Las Vegas est responsable des opérations Internet pour le clan Lieberman et conteste les chiffres avancés par Tigris.  Il affirme avoir accès à 200G par mois par l’intermédiaire d’un fournisseur d’accès de Dallas, Server Matrix.  Cette société n’a pas retourné les appels des journalistes du Times qui cherchaient à obtenir des éclaircissements.

Quoi qu’il en soit, la police fédérale (FBI) et le procureur général de l’État du Connecticut ont été saisis de l’affaire et devront déterminer s’il y aura matière à enquête.
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