8.9.06

L’«irakisation» de l’Afghanistan

Le professeur Juan Cole, spécialiste des questions du Proche-Orient, décrit comment la situation en Afghanistan commence à ressembler à celle qui prévaut en Irak. Attentats suicides, affrontements de troupes étrangères avec des insurgés, augmentation du nombre de victimes civiles (voir The Iraqization of Afghanistan, 8 septembre 2006).

Cependant, Cole décrit une réalité souvent occultée par les médias traditionnels, soit que les questions énergétiques sont au coeur de la présence des États-Unis et des troupes de l’OTAN en Afghanistan. Pour bien comprendre cet aspect géostratégique du conflit, je vous suggère de vous procurer quelques bonnes cartes à la cartothèque Perry-Castañeda.

Le contrôle du territoire afghan est la seule manière réaliste d’amener par pipeline (toujours en projet selon cette carte du Monde diplomatique, et dont le tracé passe par Kandahar) le gaz naturel du Turkménistan au nord vers le Pakistan et l’Inde au sud. L’acheminement des ressources turkmènes servirait à dissuader l’Inde, dont les besoins en énergie sont énormes et croissants, de s’adresser à l’Iran pour répondre à ses besoins énergétiques.

Mais comme la situation se dégrade en Afghanistan, et que l’issue de l’intervention internationale est incertaine, l’Inde pourrait être intéressée au gaz iranien des très riches gisements gaziers de Yadavan et à la construction d’un pipeline qui passerait par la province du Balouchistan. On sait que l’Iran arrive en seconde position au niveau mondial pour les réserves de gaz (derrière la Russie) avec 29 100 Gm 3, soit un peu moins de 20 % du total mondial (voir Enerdata).

Juan Cole souligne qu’il y a actuellement une embellie dans les relations entre Delhi et Téhéran, et que le premier ministre indien Manmohan Singh, au début de l’été, a communiqué avec le président Mahmoud Ahmadinejad pour le sensibiliser à la nécessité d’accélérer la construction du pipeline (voir Ahmadinejad : l'Iran prêt à conclure l’accord gazier avec l'Inde et le Pakistan, IRNA, 29 avril 2006).

La Chine, aussi, joue un rôle important sur cet échiquier. Il y a un peu moins de deux ans, le groupe chinois Sinopec a signé un contrat de développement et d’exportation de gaz naturel de 70 milliards de dollars avec l’Iran et un autre contrat d’importation de 150 000 barils par jour pour une durée de 25 ans (voir China, Iran sign biggest oil & gas deal, China Daily News, 31 octobre 2004).

Bref, résume Cole, en quittant l’Afghanistan pour l’Irak, et en confiant à d’autres (dont les Canadiens) la tâche de faire la lutte aux Talibans, avec les risques de chaos qui se manifestent aujourd’hui, l’administration Bush semble avoir scellé le sort du pipeline du Turkménistan vers le sud en territoire afghan. Autre conséquence : l’Iran est davantage en mesure d’échapper à des sanctions internationales pour son programme nucléaire car elle profite de solides relations avec la Russie, l’Inde et la Chine (voir The ties that bind China, Russia and Iran, Asia Times, 4 juin 2005.

C’est pour Bush comme la fable d’Ésope du chien qui porte la viande dit Cole.

Un chien tenant un morceau de viande traversait une rivière. Ayant aperçu son ombre dans l'eau, il crut que c'était un autre chien qui tenait un morceau de viande plus gros. Aussi, lâchant le sien, il s'élança pour enlever celui de son compère. Mais le résultat fut qu'il n'eut ni l'un ni l'autre, l'un se trouvant hors de ses prises, puisqu'il n'existait même pas, et l'autre ayant été entraîné par le courant.
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