30.6.05

Trois polars, trois styles

Selon une étude menée sur le marché de l’édition en France en 2003, sur près de 100 millions de romans vendus, le policier représentait 15,6 millions, dont près de 13 millions en format poche. En 2003, le chiffre d'affaires global du roman était de 423,5 millions d'euros dont 62 millions d'euros pour le policier, 38,1 millions pour les Poches. Le genre fait recette.

Au Canada, la récente étude sur la lecture et achat de livres pour la détente du ministère du Patrimoine canadien révèle que la catégorie dite «Espionnage, suspense, détective, aventure» se classait au premier rang des préférences de 24 % des femmes et de 14 % des hommes.

Pour ma part, j’ai habituellement peu le temps de lire des polars, et il me faut attendre la pause estivale pour m’y adonner. J’en ai lu trois récemment, trois très différents.

Dans le polar, et ceci s’applique à tous les autres genres d’écriture, tout tient au style. Et qu’est-ce que le style? Le thème même a inspiré certains grands. «Le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées» (Buffon). «Le style n’est qu’une manière de penser» (Flaubert). «Le style, c’est l’oubli de tous les styles» ou encore «Le style, c’est le mot qu’il faut» (Jules Renard).

Trois polars lus récemment, donc, et trois styles.

Journal d’un tueur sentimental de Luis Sepúlveda, traduit de l’espagnol par Jeanne Peyras, Editions Métaillé, 1998. Dans ce livre, l’auteur chilien fait dans le bref, 75 pages en gros caractères, une heure de lecture tout au plus. Comme journal aussi, c’est succinct, l’action se déroule sur une période de six jours. Écrit à la première personne, on ne connaît jamais le prénom ou le nom de ce tueur à gages, ni ceux de la Française dont il s’est amouraché, ni celui de son employeur, seule sa cible fait exception. Si bref et si concis est ce récit qu’on a peine à en décrire la trame sans dévoiler l’issue, sauf pour dire qu’on se retrouve en enfilade d’hôtels, d’avions, et de coups de téléphone pour une conclusion pour le moins abrupte. Le style est froid, contrairement à certains autres ouvrages de Sepúlveda, et le déroulement simpliste. Dommage.

La peau du tambour de Arturo Pérez-Reverte, traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Quijano, Éditions du Seuil, 1997. Lorenzo Quart, le père Lorenzo Quart, est agent au service de l’Instituto Per Le Opere Esteriore (IOE) du Vatican, officiellement l’Institut pour les oeuvres extérieures, mais mieux connu comme le bras armé du Saint-Office, le service de renseignement du Vatican, «la main gauche de Dieu», «le service des sales affaires».

Un hacker s’introduit dans le système informatique central du Vatican et dépose un message dans la boîte de courriel personnelle du Saint-Père. Surnommé Vêpres par les services informatiques du Saint-Siège qui sont incapables de repérer l’origine de la communication, le pirate dit vouloir attirer l’attention du pape sur une petite église de Séville, construite au XVIIe siècle, et qui est l’objet de la convoitise de spéculateurs fonciers. «Une église qui tue pour se défendre...» écrit Vêpres. C’est l’église Nuestra Señora de las Lágrimas, Notre-Dame des Larmes, où deux morts suspectes se sont produites en peu de temps. L’IOE est saisie de l’affaire, et Quart hérite de la mission de l’éclaircir.

Ce n’est pas un roman de techno-fiction comme pourrait le laisser croire l’entrée en matière. Ce qui est au centre du roman c’est plutôt l’enquête à dimension très humaine que mènera Quart à Séville, les rencontres qu’il y fera, les tentations auxquelles il sera confronté. Comme disait La Bruyère, «Tout est tentation à qui la craint», et c’est le cas de Quart quant il fait la rencontre d’une aristocrate andalouse.

Le style de Pérez-Reverte, du moins en traduction, est efficace et alerte. En plus de généreuses précisions historiques sur la ville de Séville et de belles descriptions de la ville, l’auteur ouvre la porte sur les arcanes du Vatican. Après tout, que faisait Quart en mission pour l’IOE au Panama au moment de l’invasion étasunienne et de la chute de Noriega, et à Sarajevo aux plus sombres moments de la guerre civile? Des feux de souvenirs qui viendront hanter Quart par les chaudes nuits sévillanes.

S’il y a problème, c’est dans la lenteur du développement. Bien que le style soit vif, l’action progresse trop lentement, laissant le lecteur à piétiner lors de redites trop nombreuses des personnages et des redondances dans leur description. Certains passages auraient eu intérêt à tomber sous le crayon bleu de l’éditeur. S’il fait un peu plus de 450 pages, on aurait pu en tirer un excellent ouvrage qui en aurait compté la moitié. De plus, si l’ensemble du sujet est minutieusement ficelé, même s’il est trop suremballé, la fin m’a parue un peu simpliste.

La Muraille invisible de Henning Mankell, traduit du suédois par Anna Gibson, Éditions du Seuil, 2002. Si dans La peau du tambour l’informatique est accessoire au récit, elle occupe une place centrale dans le roman de Mankell. Décès d’un consultant en informatique devant un guichet bancaire automatique, enquête à un logis qui lui servait de bureau, découverte d’une chambre secrète, recours à un jeune hacker pour percer le mystère de l’ordinateur du disparu, et cyber ballades dans les grands réseaux informatiques de la haute finance sont au menu. Les descriptions techniques (réseaux, matériel, etc.) de Mankell sont réalistes, mais les non initiés apprécieront leur simplicité.

Dans le concret, l’action se déroule à Ystad (Suède) où Kurt Wallander est inspecteur de police. Il enquête sur le décès du consultant, même si tout porte à croire qu’il soit décédé de causes naturelles, mais aussi sur l’assassinat crapuleux d’un chauffeur de taxi par deux jeunes filles. Peu à peu, son enquête fait converger les deux événements et il découvre un vaste complot visant à saboter les rouages de l’économie mondiale. À l’image des réseaux qu’il utilise, «l’ennemi se révèle omniprésent, omnipotent et invisible.». Évidemment. Wallander et ses adjoints, avec l’aide du hacker repenti, parviendront à déjouer le complot.

Le récit est bien mené, sans longueur, et le personnage principal est bien campé et nous paraît sympathique. Proche de la retraite, c’est un enquêteur dont l’expérience se conjugue à un solide instinct qui ne lui nuira pas dans ce monde nouveau pour lui des réseaux informatiques..

Il y a plusieurs années, j’ai lu au sujet d’un criminel québécois en fuite qui avait trouvé refuge en Oregon et s’y était installé sous un nom d’emprunt dans une petite collectivité rurale. Il vécut ainsi durant quelques années sans être embêté jusqu’au jour où les sherrifs locaux se présentèrent à sa porte pour l’arrêter. Curieux à savoir qu’est-ce qui avait pu trahir son identité, l’enquêteur responsable de son arrestation lui confia que c’était son habitude de parler de la météo et d’y accorder beaucoup d’importance. Le limier, auquel le fugitif avait toujours paru suspect, avait découvert qu’il s’agissait d’un trait caractéristique aux Québécois. Il avait alors communiqué sa description à divers corps policiers du Québec pour en conclure que cet outsider était bel et bien l’homme recherché.

On comprend cette propension des Québécois à parler du temps qu’il a fait, qu’il fait et qu’on prévoit qu’il fera. Au printemps, on peut connaître une chute de 20 degrés en 12 heures. Sur une base annuelle, on doit composer avec des écarts de 75 degrés.

J’ignore s’il en est de même en Suède, mais tout au long de La Muraille invisible l’auteur nous renseigne d’une manière bien sentie sur le temps qu’il fait au moment où l’action se déroule. Sympathique, et ça aide a la visualisation de la scène sur l’«écran intérieur».

Voilà, trois polars en trois styles.
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29.6.05

Quand Blogger gaffe

J’ai souvent écrit dans ces pages que j’aimais bien l’interface de publication Blogger, surtout depuis que son acquisition par Google avait mis un terme aux problèmes récurrents de lenteur des serveurs. Mais voilà que Blogger a commis une bourde qui pourrait en convaincre plus d’un à migrer vers une autre plate-forme.

Blogger gaffeSans vous importuner des détails technico-techniques, disons que Blogger a modifié l’interface de publication faisant en sorte que des codes de mise en page s’inséraient automatiquement dans le gabarit des utilisateurs, avec pour résultat que ladite mise en page déterminée par l’abonné s’en trouvait modifiée. Dans certains cas (comme le mien), on avait droit à un chamboulement de colonnes, dans d’autres (comme chez Martine), c’était la taille des caractères qui se trouvait modifiée. Ce qui soulève la colère des utilisateurs, comme si la canicule et le smog n’irritaient pas déjà assez nos nerfs fragiles, c’est que Blogger n’a jamais daigné avertir ses abonnés des modifications, ni pris le temps semble-t-il d’évaluer les effets sur des millions de pages déjà publiées. Et ils sont mécontents les blogueurs dont Technorati recense les commentaires.

Qui plus est, même si l’infrastructure de Blogger avait été consolidée par les bons soins de Google, il semble que cette modification inopinée pousse de très nombreux utilisateurs à chercher des correctifs, modifier des gabarits, bref, le temps de publication et surtout de republication complète d’un blogue avec archives pour accommoder le nouveau gabarit s’en trouve considérablement allongé.

Du côté de chez Blogger, toujours pas de communiqué expliquant le pourquoi de la modification des gabarits.

Mise à jour : 30 juin
Merci à Martine qui nous apprend que Blogger a trouvé
une solution au problème. Il semble qu’il était lié à l’introduction de la fonction Blogger Images qui vise à simplifier l’insertion de graphiques dans les billets. Comme effort de «simplification», on aurait pu trouver mieux.
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Des canicules : retour sur Chicago en 1995

Une canicule est une période de grande chaleur associée à la constellation du Grand Chien, quand l’étoile Sirius se lève et se couche avec le soleil, du 24 juillet au 24 août. Ce sont les jours de la canicule, canicularis dies. En anglais on parle de cette période comme les dog days of Summer (les jours du chien), expression immortalisée dans un film de Sidney Lumet en 1975, Dog Day Afternoon, dont l’action se déroule par une journée torride. La traduction du titre en français, Un après-midi de chien, a malheureusement détourné le sens de l’expression.

Depuis quelques années, les épisodes caniculaires se font plus précoces dans l’année et fréquents. Par exemple, ces jours-ci, le sud de l’Europe est aux prises avec une canicule et les gouvernements de France, d’Espagne, d’Italie et du Portugal mettent en oeuvre les plans d’intervention pour éviter une reprise de l’hécatombe de 2003. Pour rappel, la canicule européenne cette année-là aurait fait entre 30 000 et 40 000 morts.

Heat WaveChicago, 1995. Le mercredi 12 juillet, le Chicago Sun-Times publie un court article, relégué en page 3, sur l’imminence d’une vague de chaleur qui pourrait s’avérer mortelle (Heat Wave on the Way - And It Can Be a Killer). On annonce également que les taux d’ozone et d’humidité seront élevés, et que l’indice de chaleur (température ressentie) pourrait atteindre les 49C. Le lendemain, le mercure atteint les 40C, et l’indice de chaleur (humidex) 53C. Au cours des cinq jours qui suivent, on dénombrera plus de 700 morts attribuables à la chaleur. Cette vague de chaleur mortelle est l’objet du livre du sociologue Eric Klinenberg, Heat Wave: A Social Autopsy of Disaster in Chicago.

Plusieurs éléments du livre le distinguent d’autres ouvrages du genre, à commencer par cette notion de «post-mortem social» d’une tragédie urbaine. L’auteur rappelle qu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des scientifiques comme Rudolph Virchow et William Osler ont lutté pour légitimer et institutionnaliser l’autopsie pour déterminer la cause de décès dans le but d’accroître l’efficacité du traitement médical. Klinenberg adapte donc le modèle à l’étude de la canicule mortelle de Chicago en 1995. Il écrit : «Comme c’est le cas pour toutes les autopsies, cet examen de la vague de chaleur de 1995 tient l’espoir qu’en étudiant la mort on comprenne davantage la vie, et aussi les façons de la protéger.»

Ce qui ressort dans plusieurs chapitres de ce livre est que la principale vulnérabilité des victimes était leur isolement social. Les études épidémiologiques sur la vague de chaleur ont clairement établi un lien entre l’isolement et la mortalité, et les commissions politiques qui ont enquêté sur la tragédie sont arrivées à cet égard à deux conclusions principales. D’une part, de plus en plus de personnes âgées aux États-Unis vivent seul (ce qui est confirmée par les données du Bureau des recensements). D’autre part, la majorité de ces personnes qui vivent seul sont fières de cette autonomie et s’abstiennent de demander ou d’accepter quelconque aide parce qu’elle compromettrait leur identité comme personnes auto-suffisantes.

Klinenberg ne réfute pas ces deux constatations, mais soumet qu’elles n’expliquent pas complètement pourquoi tant de victimes de la canicule étaient des personnes qui habitaient seul. Dans un de ses chapitres, il explore quatre tendances qui contribuent à la vulnérabilité comme groupe des personnes âgées (et souvent démunies) aux États-Unis, tendances qu’on retrouve aussi dans la plupart des sociétés industrialisées.

D’abord le poids démographique croissant de cette tranche de la population. Ensuite, une culture de la peur, de la crainte de la violence réelle ou perçue dans l’entourage conjuguée à la valorisation de l’individualisme et de l’auto-suffisance. Aussi, une transformation de l’espace marquée par la dégradation, la fortification ou la disparition d’espaces publics sûrs. Enfin, une condition liée au genre qui affecterait surtout les hommes sans enfants et aux prises avec des problèmes de consommation d’alcool ou de drogues.

Sur ce dernier point, Klinenberg en arrive à un constat inattendu. Il écrit : «Le paradoxe selon lequel les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes de vivre seul, mais beaucoup moins susceptibles d’avoir rompu des liens sociaux, apparaît dans toute sa clarté à l’examen des dossiers des personnes décédées. J’ai trouvé les dossiers de 56 personnes dont les corps n’avaient pas été réclamés à la morgue et avaient été inhumés aux frais des autorités de comtés ou de l’État. Or, 44 d’entre eux, environ 80 %, étaient des hommes, un indicateur probant que les hommes ont souffert de manière disproportionnée des conséquences de l’isolement social au cours de la crise.»

Selon Klinenberg, les hommes qui atteignent la vieillesse ont plus de difficulté que les femmes à entretenir des liens sociaux, héritage de l’éducation reçue et de la vie adulte des personnes de cette tranche d’âge. Alors que les hommes se définissent souvent en fonction de leur milieu de travail et des liens qui s’y tissent, les femmes tissent des réseaux de contacts plus élaborés et fertiles qu’ils maintiennent une fois la vieillesse atteinte. Pour les hommes, la rupture avec leur milieu de travail se solde souvent par un repli sur soi et un isolement qui, en situation de crise comme la canicule de 1995 à Chicago, augmente le taux de mortalité de cette catégorie de la population.

Heat Wave comporte aussi un chapitre fort pertinent sur le rôle que les médias ont joué durant la canicule de 1995 à Chicago, et sur le fonctionnement de la «machine médiatique». Par exemple, le samedi 15 juillet fut la journée la plus mortelle de la canicule de Chicago, on dénombra alors quelque 300 victimes. Les fins de semaine, les journaux fonctionnent avec un effectif réduit, ce sont principalement des reporters généralistes, des stagiaires ou des journalistes à contrat de durée déterminée (les one-years dans le jargon) qui s’affairent dans les salles de rédaction.

Un journal comme le Chicago Tribune n’avait donc pas à sa disposition un journaliste scientifique pour traiter du phénomène d’inversion thermique et des autres facteurs météorologiques qui étaient responsables de la canicule. Les journalistes dont l’affectation principale était les services publics (police, incendie, ambulances, bureau du coroner, morgue, etc.) étaient également en congé, tout comme ceux affectés à l’hôtel de ville et à la politique municipale. Faute de ces spécialistes, il était donc difficile pour le journal d’avoir une idée précise de l’ampleur de la tragédie qui se déroulait, et de la réaction des services publics.

Klinenberg décrit aussi une discussion houleuse dans une salle de rédaction de chaîne de télévision au sujet de l’importance à donner à l’événement. Devait-on amorcer le bulletin de nouvelles avec le chroniqueur météo? Fallait-il prendre l’antenne en direct dès qu’un développement survenait? Fallait-il produire des reportages à dimension humaine (human interest stories) ou encore enclencher en mode catastrophe et se transformer, ne fut-ce que pour quelques jours, en télévision de service public.

La chaleur se résorba, la ville compta ses morts, les politiciens déclinèrent toute responsabilité. Deux semaines après, une nouvelle vague de chaleur envahit la ville, plus courte et moins extrême que la première. La température atteignit 35 degrés, et l’indice de chaleur 40 degrés. Les mêmes politiciens qui avaient déclaré n’avoir rien pu faire pour éviter la première tragédie ordonnèrent des interventions immédiates. Une population déjà sensibilisée aux précautions à prendre en cas de chaleur accablante sembla s’accommoder sans trop de difficulté. On ne dénombra au cours de ce second épisode caniculaire que deux morts attribuables à la chaleur.

En 1999, Chicago vécut un autre épisode caniculaire de l’ampleur de celui de juillet 1995, mais les autorités municipales disposaient alors d’un plan d’intervention très complet : communication avec les médias, ouverture de centres de répit, transport gratuit en autobus vers ces centres, appels téléphoniques aux personnes âgées, visites en personnes aux personnes âgées vivant seul. Le bilan fut lourd, on compta 110 morts, mais tout de même une fraction de ce qu’on avait eu à déplorer en 1995.

Pour Klinenberg, il serait injuste de jeter le blâme sur un organisme ou un individu pour ce qui arriva à Chicago en 1995. «La canicule mortelle représente un échec collectif, et la recherche de boucs émissaires, que ce soit le maire, les médias ou les services de santé, ne fait que nous éloigner des vrais problèmes. Nous savons qu’il y aura davantage de canicules, toutes les études sur le réchauffement de la planète le confirment. La seule façon d’éviter d’autres désastres est de s’attaquer à l’isolement, à la pauvreté et à la peur qui prévalent dans tant de nos cités.»

En complément de lecture :

Autopsie d’un été meurtrier à Chicago
par Eric Klinenberg
Le Monde diplomatique, août 1997

Plan montréalais de prévention et protection en cas de chaleur accablante (format PDF)
Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux
13 juin 2005

Plan canicule 2005
Ville de Paris

Consortium Ouranos
Ouranos a pour mission de favoriser l'acquisition de connaissances pour mieux évaluer les changements climatiques régionaux et leurs impacts environnementaux, sociaux et économiques.
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16.6.05

PQ, candidats et cybersquatting

On sait que le cybersquatting (action d’enregistrer un nom de domaine pour le revendre) est une activité qui prévaut dans bien des milieux, tant commercial, politique qu’artistique. Le candidat surprise à la direction du Parti québécois, Louis Bernard, aura même «surpris» quiconque aurait voulu profiter de sa renommée soudaine. L’adresse Web qu’il véhicule est louisbernard.org, mais les déclinaisons en louisbernard.qc.ca, louisbernard.net et louisbernard.com, comme le .org, toutes enregistrées le 10 juin dernier, pointent automatiquement vers ce louisbernard.org. On le dit homme méthodique, la stratégie Web reflète cette caractéristique.

Dans le cas d’André Boisclair, dont l’annonce de la candidature ne serait qu’une question d’heures, c’est moins limpide. On sait qu’il a son blogue (fort commenté d’ailleurs). Il existe un domaine andreboisclair.com, enregistré le 12 novembre 2002, et valide jusqu’au 12 novembre 2006. Étrangement, l’adresse courriel du responsable technique relève du domaine du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (mes.gouv.qc.ca), alors que le numéro de téléphone est celui du bureau de circonscription de l’actuel député provincial de Gouin (ancienne circonscription de M. Boisclair) Nicolas Girard. Or, en novembre 2002, M. Boisclair n’était plus ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, poste qu’il a occupé du 15 décembre 1998 au 8 mars 2001.

Pour ce qui de certains autres domaines, comme andreboisclair.net (créé le 23 mars 2005) andreboisclair.info (24 mars 2005) et andreboisclair.org (6 juin 2005), ils ont tous été enregistrés par un résidant de la ville de St-Marc. Or, il s’avère que cette même personne a également enregistré le 23 mars 2005 paulinemarois.com et paulinemarois.net, et le 24 mars 2005 paulinemarois.info. Le domaine paulinemarois.ca a été enregistré le 14 juin 2005 par un anglophone de Montréal (adresse courriel à un moteur de recherche canadien), et au moment d’écrire ces lignes la déclinaison .org est toujours disponible.

Je tiens à préciser que rien de ce qui précède n’est, au sens de la loi, illégal. S’il est disponible, toute personne peut enregistrer un nom de domaine. S’il y a contestation quant à la légitimité de son utilisation, on peut faire appel à un médiateur, ou s’adresser à un tribunal civil.

Mais l’exercice de consultation des bases de données de noms de domaines reflète cependant le peu de préparation de certains politiciens face à Internet, un facteur de plus en plus important dans toute entreprise politique.
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12.6.05

Florence Aubenas et Hussein Hanoun libérés

Enfin une bonne nouvelle, la journaliste française Florence Aubenas et son guide irakien Hussein Hanoun enlevés le 5 janvier dernier à Bagdad ont été libérés. TF1 nous apprend que «Selon Antoine de Gaudemar, directeur de la rédaction de Libération, ils auraient été libérés "samedi dans l'après-midi" et seraient "en bonne santé". "Florence est dans l'avion, elle est en route pour la France. Je pense qu'elle est en route pour la France, problablement dans un vol militaire avec escale à Chypre", a-t-il confirmé. Serge July, patron de Libération, "est en route pour Chypre, la retrouvera à Chypre et ils rentreront ensemble à Paris", a-t-il précisé.» À suivre, le dossier complet sur le site de Libération.
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9.6.05

L’effet blogue d’André Boisclair

L’étonnante décision de Bernard Landry de quitter la direction du Parti québécois a provoqué une onde de choc d’une ampleur qu’on n’avait pas vue depuis longtemps sur la scène politique au Québec. Reste maintenant au Parti à lui trouver un successeur, et plus généralement aux souverainistes à tenter de démêler l’écheveau complexe de la suite des choses tant à Québec qu’à Ottawa.

Un nom qui revient souvent et que l’on associe à divers scénarios est celui d’André Boisclair, entre autres ex-député de Gouin et ministre de l’Environnement, dont je soulignais le blogue en mars dernier. En séjour d’étude à Harvard, Boisclair voulait partager ses impressions, ses états d’esprit, ses lectures, son cheminement et pour ce faire avait choisi la formule blogue. Depuis le 28 mars, à l’occasion d’un voyage à Tokyo et à l’approche de ses examens, il avait délaissé son blogue, mais voici que ce lundi lundi 6 juin il reprend du service. «Je regrette d'avoir négligé mon blogue dans ma période d'examens. J'ai cependant bien réussi. Jeudi prochain je serai à Boston pour recevoir mon diplôme de maîtrise! Je suis particulièrement fier. Ces dernières semaines on été intenses, examens, travaux... Je rentre tout juste du Congrès du Parti Québécois. Jamais je n'aurais pensé vivre de telles émotions!» écrit-il.

La suite laisse perplexe. D’une part, il écrit «En attendant la suite de choses, si vous voulez contribuer concrètement à ma réfelxion [sic], achetez votre carte de membre du PQ!». Y aurait-il, pour l’instant, une équation qui m’échappe?

D’autre part, ce retour inattendu de Boisclair sur son blogue a, en trois jours, suscité 165 commentaires de lecteurs et lectrices! Corrigez-moi si je suis dans l’erreur, mais il s’agit probablement d’un record de rétroaction pour un blogue francophone au Québec, à tout le moins un chiffre très impressionnant, toutes langues et territoires confondus. Et ce qui frappe, c’est la qualité de rédaction de ces messages, l’uniformité du ton, la cohésion de l’opinion collective des correspondants.

À suivre...
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8.6.05

Zahra Kazemi censurée

Zahra KazemiL’exposition posthume de la photojournaliste Zahra Kazemi intitulée Contre l'oubli a été censurée par les autorités de l’arrondissement Côte-Saint-Luc, Hampstead, Montréal-Ouest. Pour rappel, Madame Kazemi est décédée en juillet 2003 d’une hémorragie cérébrale alors qu’elle était en détention en Iran. Elle avait été arrêtée pour avoir pris des photos de l’extérieur d’une prison à Téhéran. Les autorités iraniennes n’ont jamais fait la lumière sur les circonstances de sa mort. L’exposition, qui a fait l’objet d’une plainte par un résidant juif de l’arrondissement, devait se tenir à bibliothèque municipale de Côte-Saint-Luc. Radio-Canada rapporte que la plainte était à l'effet que l'exposition avait un ton politique et montrait cinq photos de l'Intifada en Palestine a précisé le directeur de l'arrondissement David Johnstone. On a tenté de convaincre le fils de Zahra Kazemi, Stephan Hachemi, de retirer les cinq photos de l’exposition, mais il a catégoriquement refusé. Les élus de l'arrondissement ont préféré annuler l'événement à la suite d'une réunion. Stephan Hachemi entend poursuivre la Ville de Montréal pour être dédommagé pour le temps qu'il a passé à monter l'exposition. Soulignons que cette même exposition avait été présentée par la Ville de Paris en mars et avril 2004 avec le soutien de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme.

Interrogés par Pierre Maisonneuve sur les ondes de la Première chaîne, le maire de l’arrondissement Robert Libman a dit que les photos de Palestine étaient choquantes pour la population à majorité juive de Côte-Saint-Luc; maître Julius Grey, avocat et constitutionnaliste, s’est pour sa part demandé depuis quand un gouvernement local pouvait prendre une décision relevant de politique extérieure.

Arbitraire, dilettantisme et irresponsabilité des autorités municipales selon David Ouellette qui écrit dans Judéoscope «Arbitraire, parce que peu importe le coloris politique des photos en question, il ne revient pas aux autorités municipales de juger de leur mérite. Le directeur de l’arrondissement, David Johnstone, défend la décision en prétendant que les institutions publiques sont libres de déterminer leurs propres politiques. Soit, mais le retrait arbitraire de photos d’une exposition ne constitue pas une politique, mais un acte de censure qui n’a pas sa place dans une société libre. Dilettantisme, parce que si l’exposition avait effectivement contenu du matériel questionnable, voire offensant - et ce n'est pas le cas -, comment expliquer que les responsables ne s’en aperçoivent qu’a posteriori? Il leur incombait de défendre leur choix face à la critique et d'inviter le public à consigner ses commentaires dans le livre d'or de l'exposition. Irresponsabilité, parce qu’en invoquant la sensibilité de la population juive comme prétexte au retrait des photographies, les autorités municipales - dont Robert Libman, un ancien directeur du B’nai Brith - font de facto porter aux juifs de Montréal le masque du censeur, alors que la municipalité dit n’avoir agi qu’à la suite d’une seule plainte, et ce, dans un quartier où les juifs sont majoritaires.»

Entre temps, Chris Hand de la galerie Zeke dit tenter de présenter l’exposition Contre l'oubli à sa propre galerie.
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Le .XXX arrive

Le 1er juin, l’organisme responsable de l’affectation des noms de domaines Internet, l’ICANN (Internet Corporation For Assigned Names and Numbers), annonçait la création du domaine .XXX pour regrouper les sites dits «pour adultes», et l’amorce de négociations techniques et commerciales pour la gestion du domaine avec le régistraire ICM Registry. Le projet de domaine .XXX est parrainé par l’International Foundation for Online Responsibility (IFFOR), un organisme canadien, qui en déterminera les politiques de gestion et d’attribution. On pourrait voir arriver les premiers sites .XXX au quatrième trimestre de 2005.

Cette décision découle d’une demande déposée auprès de l’ICANN il y a 15 mois par ICM Registry et l’IFFOR. Les demandeurs souhaitaient un nom de domaine qui transcenderait les barrières géographiques et linguistiques er identifierait clairement les contenus pour adultes. Les propositions antérieures pour un tel domaine (.SEX, .ADULT, .PORN) étaient trop identifiées à l’univers anglo-saxon selon les demandeurs qui ont fait valoir l’aspect polyglotte du .XXX. De plus, il pouvait y avoir ambiguïté avec .SEX et .ADULT pour des personnes à la recherche d’information sur la planification des grossesses, la contraception ou l’avortement, et le suffixe .PORN mettrait les régistraires dans la position difficile de déterminer ce qui est pornographique et ce qui ne l’est pas.

On fait également valoir que le filtrage des contenus sera facilité par le regroupement des sites pour adultes dans un seul domaine. Ce domaine sera à adhésion volontaire et cherchera à implanter des pratiques comme l’exclusion de contenus exploitant les enfants.

On l’aura deviné, la création du domaine .XXX suscite de nombreuses réactions. Pour le technologue Joi Ito, aussi membre de l’ICANN, écrit : «La décision d’approuver la création du domaine .XXX a été basée sur le respect des critères [administratifs et techniques] pour la création d’un domaine, et n’endosse ni ne condamne aucun type de contenu ou de valeur morale. Je comprends que certaines personnes pourraient croire que l’ICANN endosse la pornographie sur Internet, mais ce n’est pas le cas.»

Pour le chroniqueur du quotidien britannique The Independent, Charles Arthur, l’idée d’un domaine .XXX est flouée au départ. Il écrit : «Le problème est que le sexe en ligne est une industrie de plusieurs milliards de dollars, et que ce n’est pas dans l’intérêt des exploitants de se confiner à un domaine où parents et entreprises peuvent en interdire l’accès.[...] Je sais qu’il faut trouver une solution au problème des mineurs ayant accès à la pornographie, mais je ne crois pas que cette solution passe par un nom de domaine réservé dans un réseau utilisé par des adultes qui déboursent de l’argent pour certains produits.»

L’industrie des contenus pour adultes réagit elle aussi. Certains parlent d’un «ghettoïsation» des sites pour adultes et d’atteinte à leur liberté d’expression, mais d’autres laissent percevoir des motifs politiques et financiers derrière la création du domaine .XXX.

Des droits d’obtention d’un domaine .XXX, environ 10 $ seront versés à l’International Foundation for Online Responsibility (IFFOR) qui travaille à résoudre certains problèmes de l’industrie des contenus pour adultes, et une partie de ces fonds ira à la Association of Sites Advocating Child Protection qui lutte contre la pornographie juvénile. Pour ce qui est de ICM Registry, elle déclare vouloir permettre à l’industrie pour adultes, sur une base volontaire, de s’auto-réglementer et d’accepter des normes communes visant à protéger les enfants.

Pour Jason Hendeles de ICM Registry, cité par le site XBiz spécialisé dans l’industrie pour adultes, l’aspect transfrontalier d’Internet ne permet pas d’appliquer uniformément des règles de tolérance en fonction de ce qui est acceptable dans une collectivité, et non dans une autre. En revanche, dit-il, «Les sociétés de cartes bancaires seront plus susceptibles d’offrir des services de transactions légales à des entreprises qui agissent dans le cadre de la loi... ou sont du moins perçues comme agissant de manière responsable.»

Toujours dans XBiz, Jack Mardack de la société profitLABINC.com (spécialisée dans les services de paiement en ligne pour les sites de contenus pour adultes) accueille favorablement l’arrivée du domaine .XXX. Il affirme, «Ce que je vois de positif dans le .XXX c’est qu’il permet d’adopter volontairement des pratiques commerciales en échange de concessions que nous n’aurions pu obtenir autrement. Notre bataille est essentiellement politique, et toute politique se fonde sur le compromis.»

C’est dans ces deux déclarations liminaires (les responsables de l’industrie des contenus pour adultes ne sont jamais bavards) que l’ont comprend mieux ce qui a amené à la création du domaine .XXX. Depuis octobre 2003, sous l’influence de la droite religieuse, la Maison blanche a multiplié les déclarations relatives à son intention de lutter contre la pornographie et à en protéger les enfants. Chez les législateurs, on menaçait même d’agir auprès des services de cartes bancaires pour leur interdire d’accepter les transactions pour des contenus pour adultes. Même si une telle mesure aurait eu du mal à passer la rampe sur le plan législatif, en vertu des libertés constitutionnelles, l’industrie frémissait à l’idée et à décidé de jouer la carte de la proactivité et des compromis.

Chose certaine, le .XXX servira à enrichir ses promoteurs. L’adhésion au .XXX est volontaire; on se demande d’ailleurs comment on pourrait forcer des dizaines de milliers de sites actuellement en .COM, .NET, .ORG et autres à migrer vers le .XXX. Un nom de domaine .XXX coûtera 60 $ US (environ 48 euros, 74 $ CAD), soit de deux à trois fois plus qu’un nom de domaine .COM, .NET ou autre selon le régistraire avec qui ont fait affaire. Pour un exploitant de site pour adultes qui tient à protéger sa marque de commerce des cyberquatters, 60 $ ne représente qu’une infime partie de ses frais généraux et une assurance bien peu chère contre l’appropriation de sa marque.

Situation inverse : un exploitant de site pour adultes veut lancer une «nouvelle marque» et choisit le domaine .XXX. Prendra-t-il la chance de ne pas inscrire cette marque sous les autres domaines mieux connus et de se rendre vulnérable au cybersquatting? Certes non, et ce sera de nouveau les régistraires qui encaisseront.
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