20.8.06

Urgences environnementales au Liban

Revenons d’abord sur la question de cette marée noire en Méditerranée provoquée par le bombardement par l’aviation israélienne, entre le 13 et le 15 juillet derniers, d’une centrale électrique libanaise à 30 kilomètres au sud de Beyrouth.  Selon diverses sources, entre 10 000 et 15 000 tonnes de carburant se sont répandues et contaminent maintenant les côtes libanaises, et dans une moindre mesure syriennes, sur une distance de 150 kilomètres (dont le port historique de Byblos).

Lors d’une réunion tenue à Athènes il y a quelques jours, des experts et responsables des Nations Unies, de l’Organisation maritime internationale, de la Commission européenne et de pays de la région ont endossé un plan d’action pour d’une part procéder au nettoyage des côtes et tenter d’éviter que cette marée noire ne se propage davantage (Voir Clean Up Strategy for Oiled Lebanese Coast Given Green Light, Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 17 août 2006).

On évalue à environ 50 millions d’euros le coût de ce plan d’action cette année, et on prévoit qu’il sera nécessaire d’y affecter des crédits supplémentaires en 2007. 

Marée noireÀ l’aide de simulations informatiques, les experts croient que près de 20 % du carburant se serait évaporé, que 80 % s’est fixé sur la côte, et qu’une partie minime (0,25 %, environ 40 tonnes) serait toujours en surface.  Or, des images satellites récentes et des rapports de témoins sur place indiqueraient qu’une partie beaucoup plus importante de carburant serait toujours en surface et menacerait d’atteindre les côtes d’autres pays.  La DG Environnement de la Commission européenne, à la demande du ministère libanais de l’Environnement, a confié au centre d’information satellite sur les situations de crise (organisme allemand) le mandat de documenter la situation.  Les images, disponibles pour téléchargement en format JPG et KML (Google Earth) sont probantes.

Une autre source d’inquiétude des experts serait la possible présence de polluants organiques persistants (POP) comme des bi-phénols polychlorés (BPC) car le carburant provient d’une centrale électrique. 

Au ministère libanais de l’Environnement, le bilan est sombre.  Tant sur le plan de la santé publique, de la biodiversité, du tourisme et de l’économie, les effets de cette marée noire seront désastreux et prendront des années à se résorber.  Et s’ajoute à ces effets la pollution de l’air car durant des jours le pétrole qui ne s’échappait pas vers la mer brûlait et dégageait une colonne de fumée perceptible sur les photos satellites (voir le site du ministère libanais de l’Environnement).

Puis, dans les zones bombardées des villes et villages libanais, que les autorités civiles tentent de dégager, il y a une autre menace, soit celle des particules en suspension dans l’air.

Selon l’agence de presse du bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU, la destruction de 10 500 résidences, de 900 immeubles publics et privés ainsi que de nombreux ouvrages d’infrastructure comme des ponts et des routes ont provoqué le dégagement de particules de poussière et de substances chimiques pouvant provoquer des problèmes respiratoires et des cancers (voir Toxic air a major health hazard, IRIN, 16 août 2006).

Rappelons un phénomène semblable à New York après l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center.  À l’époque, comme l’a démontré une enquête interne publiée en 2003, la Maison Blanche avait exercé des pressions sur l’agence de protection de l’environnement (EPA) pour qu’elle émette des rapports rassurants sur la qualité de l’air à New York et omette certaines données, exigeant même que tous les communiqués de l’agence soient soumis à l’approbation du conseil national de sécurité (voir EPA's 9/11 Air Ratings Distorted, Report Says, Los Angeles Times, 23 août 2003).

Selon Wael Hmaidan, coordonnateur de l’organisme environnemental Greeline à Beyrouth, et Zeina al-Hajj de Greenpeace, le bombardement de manufactures de produits plastiques, de verre et de produits alimentaires a entraîné le dégagement dans l’air de particules, de dioxines et de bi-phénols polychlorés (BPC), et près de deux millions de Libanais (la moitié de la population) y seraient exposés.  Ces produits sont bio-accumulatifs dit al-Hajj, et ils peuvent provoquer des cancers, ajoutant que les bombes elles-mêmes sont une source de pollution.  «Avec tous les produits qu’elles contiennent, et le grand nombre qui ont été larguées, ça constitue en soi un désastre écologique.»

En fait, la situation est si chaotique au Liban qu’aucune évaluation précise de la situation d’ensemble, ni des coûts de réhabilitation, n’est possible pour le moment.  A-t-on utilisé des obus à l’uranium appauvri (néanmoins radioactifs) comme le soupçonne le ministère libanais de l’environnement?  Qu’en est-il de la couverture végétale mise à mal par des incendies de forêts déclenchés par des bombardements?

Si le Liban a devant lui un vaste chantier de reconstruction, celui de la réhabilitation de l’environnement n’en est pas moins considérable.
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19.8.06

Commentaires 101?

C’est de chez Mario que je me suis rendu chez François pour lire au sujet d'une idée intéressante inspirée par Vicki à laquelle Clément a ajouté son grain de sel.  Devrait-on enseigner à l’école le bon usage des commentaires sur les blogues?

François Guité écrit : «Dans une perspective éducative, les commentaires sont une composante essentielle des blogues.  Les enseignants auraient tort de croire que leur utilisation se fera naturellement.  Pour la majorité des élèves, l’apport du professeur facilitera l’utilisation des commentaires, augmentant du même coup la dynamique constructiviste des blogues.  Pour plusieurs élèves, c’est l’étincelle qui les motivera à continuer.»

Suite du mini-cours de Commentaires 101 ici.
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18.8.06

Dark Alliance : dix ans déjà

Il y a de ces nouvelles qui ne nous rajeunissent pas. Le Los Angeles Times de ce matin nous rappelle qu’il y a dix ans jour pour jour paraissait le premier article de la série «Dark Alliance» de Gary Webb (voir The CIA-Contra-Crack Connection, 10 Years Later, Los Angeles Times, 18 août).

Petit rappel.

«Aux États-Unis, c'est reparti, la CIA risque de se retrouver de nouveau au centre d'une controverse, et ce en pleine campagne présidentielle américaine. C'est qu'une série d'articles publiés à la fin août dans les éditions imprimées et Web du San Jose Mercury News, intitulée Dark Alliance, établit un lien direct entre l'entrée du crack (drogue composée à partir de cocaïne) sur le marché de San Francisco et une opération de financement des contras nicaraguayens qui se serait déroulée avec l'aide d'agents de la CIA. La drogue entrait aux É.-U. avec la complicité de la CIA qui, avec les produits de la vente, procédait à l'achat d'armes destinées à renverser le gouvernement sandiniste. Les arguments sont solides, les preuves semblent irréfutables, il n'en fallait pas plus pour que des leaders de la collectivité noire (dont Jesse Jackson), durement frappée par les proportions endémiques du problème du crack, demandent une enquête officielle.»
Chroniques de Cybérie, 12 septembre 1996

«Nous vous parlions le 12 septembre dernier d'un dossier choc, Dark Alliance, publié dans les pages et sur le Web du San Jose Mercury News, journal californien de la Silicon Valley. Le dossier établissait un lien direct entre l'entrée du crack (drogue composée à partir de cocaïne) sur le marché de San Francisco et une opération de financement des contras nicaraguayens, qui se serait déroulée avec l'aide d'agents de la CIA. La drogue entrait aux États_Unis avec la complicité de la CIA qui, avec les produits de la vente, procédait à l'achat d'armes destinées à renverser le gouvernement sandiniste. Depuis lors, à Washington, trois enquêtes distinctes sont en cours sur cette présumée sombre alliance. Mais voilà qu'un débat fait rage dans les milieux journalistiques américains. Initialement, les grands journaux et médias n'avaient pas repris le dossier, refusaient même de l'aborder. Puis, en septembre, le Washington Post, le New York Times et le Los Angeles Times se mirent à défendre la crédibilité des responsables de la CIA qui niaient évidemment toute l'affaire, et à discréditer les méthodes journalistiques du San Jose Mercury News. Voilà que l'organisme Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) prend la défense du SJMN et accuse ces trois journaux de n'être que l'écho des communiqués de presse officielle et de jouer la carte raciale pour dissiper l'affaire. La communauté noire américaine, fortement atteinte par l'épidémie de consommation de crack, avait vivement réagi aux découvertes du SJMN et avait insisté pour la tenue d'enquêtes officielles, ce que certains "grands journaux" ont appelé un réflexe traditionnel de paranoïa. Le dossier de FAIR paraîtra dans le numéro de janvier de son périodique EXTRA!, mais est déjà disponible sur son site Web. Pour sa part, le SJMN ne lâche pas prise et continue de suivre le dossier crack/CIA.»
Chroniques de Cybérie, 27 décembre 1996

Puis, le 13 décembre 2004, une triste nouvelle.

Gary Webb«Le journaliste Gary Webb a été retrouvé sans vie à son domicile de Carmichael (Sacramento County, Californie) vendredi dernier, 10 décembre. Le corps portait une blessure d’arme à feu à la tête; le bureau du coroner local traite l’affaire comme un suicide. Ce sont des déménageurs qui ont alerté la police après avoir découvert sur sa porte une note sur laquelle il était écrit “Prière de ne pas entrer. Appelez le 911 et demandez une ambulance”. En 1996, Webb avait publié dans le San Jose Mercury News une série d’articles intitulée “Dark Alliance” dans laquelle il établissait un lien direct entre l’entrée du crack (drogue composée à partir de cocaïne) dans les quartiers noirs de San Francisco, et une opération de financement des contras nicaraguayens qui se serait déroulée avec l'aide d'agents de la CIA. La drogue entrait aux É.-U. avec la complicité de la CIA qui, avec les produits de la vente, procédait à l'achat d'armes destinées à renverser le gouvernement sandiniste.»
Suicide de Gary Webb, 13 décembre 2004

«Le journaliste Robert Parry, auteur de Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq et Lost History: Contras, Cocaine, the Press & 'Project Truth' écrit dans Consortium News : “Le décès de Webb devrait nous rappeler que sa grande contribution à l’histoire des États-Unis a été, avec l’aide de citoyens de race noire en colère, de forcer le gouvernement à admettre certains des pires crimes jamais commis par une administration étasunienne, soit la protection du trafic de drogue aux États-Unis dans le cadre d’une guerre clandestine contre un État, le Nicaragua, qui ne constituait aucune menace réelle pour notre pays.”»
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Les leçons préliminaires de la guerre

Antyhony H.  Cordesman de la chaire en stratégie Arleigh A.  Burke du Center for Strategic and International Studies de Washington vient de publier une analyse détaillée des aspects stratégiques et tactiques des 33 jours de conflit entre Israël et le Hezbollah Preliminary “Lessons” of the Israeli-Hezbollah War (format PDF).  La version que je cite ici est celle du 17 août 2006, le texte de 25 pages est qualifié d’ébauche ouverte à commentaires, une version finale pourrait être publiée sous peu.

La première partie du texte analyse le degré d’atteinte des cinq objectifs déclarés d’Israël pour déclencher les hostilités. 

1) S’emparer d’une plate-forme d’opération pour l’Iran avant qu’il ne dispose de l’arme nucléaire.

2) Rétablir la crédibilité d’Israël comme force de dissuasion après le retrait du Liban en 2000 et celui de Gaza en 2005, et changer la perception selon laquelle il faisait preuve de faiblesse et avait été forcé de se retirer de ces territoires.

3) Forcer le Liban à devenir et à agir en État responsable, et mettre un terme au statut d’«État dans l’État» dont jouit le Hezbollah.

4) Porter atteinte ou paralyser le Hezbollah, tout en admettant qu’il était impossible de le détruire comme force militaire et qu’il continuerait d’être un acteur important sur la scène politique.

5) Récupérer sains et saufs les deux militaires enlevés par le Hezbollah sans échange majeurs de prisonniers tel qu’exigé par le leader du mouvement, certainement pas les milliers de prisonniers cités par Nasrallah.

Le premier objectif n’a pas été atteint, et Cordesman estime qu’Israël aurait dû tirer des leçons du Vietnam et de l’Iraq.  S’emparer d’une région et en chasser l’ennemi nécessite trop d’effectif pour trop longtemps, coûte trop cher en pertes humaines, et requiert une action civique et des relations civilo-militaires impossibles à mettre en oeuvre dans la pratique.

Israël pourra difficilement prétendre avoir renforcer son pouvoir de dissusasion quand on connaîtra les résultats d’enquêtes sur les erreurs stratégiques ou tactiques commises par ses leaders, et/ou que le gouvernement tombe à cause de sa mauvaise gestion du conflit.

Le maintien du statut d’«État dans l’État» dont jouit le Hezbollah sera tributaire de la réaction de la population; le Hezbollah sera-t-il reconnu pour avoir pris fait et cause pour la lutte des Arabes, ou sera-t-il blâmé pour la dévastation des infrastructures du pays et le nombre élevé de victimes civiles? Quant à un gouvernement responsable, il ne pourra agir que si on lui donne les moyens de sa politique.

Les forces armées israéliennes n’ont certainement pas démontré qu’elles avaient porté atteinte à la capacité opérationnelle militaire du Hezbollah, ni créé une situation en vertu vertu de laquelle il lui est impossible, à terme, de faire l’acquisition d’armes plus perfectionnées.

Quant au retour des deux militaires enlevés, bien qu’il soit partie intégrante du traité de cessez-le-feu, tout reste à voir.

Si force est de constater que les objectifs d’Israël n’ont pas été atteints, Cordesman voit tout de même une leçon que les États-Unis pourraient tirer de l’issue du conflit, c’est-à-dire l’empressement à établir une ou des responsabilités pour son échec.

Il écrit : «Des experts israéliens, tant au gouvernement que dans la société civile, ne se sont pas entendus sur l’étendue de la mauvaise gestion du conflit par le gouvernement ou les forces armées, mais aucun n’a prétendu que les choses avaient tourné rondement.  La plupart des experts à l’extérieur du gouvernement croient que les problèmes sont suffisamment sérieux pour faire l’objet d’un examen par une ou des commissions d’enquête, et établir les faits.»

Cette attitude contraste vivement à celle que l’on perçoit aux États-Unis selon lui.  «Aux États-Unis on est lent à critiquer, et lorsqu’on le fait on blâme le président de manière partisane.  Le pays n’a pas une tradition de commissions d’enquête et de transparence totale (en Israël, toutes les réunions du cabinet et les réunions stratégiques sont enregistrées sur vidéo). 

Plus grave encore, les chefs militaires ont tendance à faire enquête et à punir à partir de la base[...] les États-Unis n’ont pas adopté le principe en vertu duquel les officiers et hauts gradés ainsi que les responsables civils doivent être tenus responsables de leurs échecs, et que les leçons clés d’une guerre comprennent un examen sévère et impartial des grandes stratégies et politiques.»

Un passage intéressant de l’analyse de Cordesman qui a ewffectué un séjour en Israël pendant le conflit porte sur les liens entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.  Aucun responsable politique, agent de renseignement ou officier militaire qu’il ait rencontré ne croyait que le Hezbollah agissait sous les ordres des iraniens ou des syriens.

«Il est clair que l’Iran et la Syrie ont grandement contribué à armer le Hezbollah depuis plus de cinq ans, que des 747 cargo iraniens ont systématiquement livré des armes sur des aéroports syriens, et que la Syrie a fourni des camions pour transporter des armes et des véhicules armés par le nord et en empruntant la vallée de la Bekka.  L’Iran avait des conseillers, révélé par la présence d’éléments de Al Qud auprès du Hezbollah, on a mis la main sur certains de lkeurs documents, mais il n’y avait pas de Syriens présents.»
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Des conflits qui n’en finissent pas de s’éteindre

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, des dizaines de milliers de Libanais tentent de réintégrer leurs collectivités pour constater s’il reste quoi que ce soit des lieux qu’ils habitaient. Or, Human Rights Watch et des organismes des Nations Unies mettent la population en garde contre les munitions explosives non explosées (UXO en jargon militaire) qui parsèment le territoire du Sud-Liban. Bien qu’elles n’aient pas explosé, ces munitions risque de le faire si elles sont touchées, manipulées ou déplacées.

HRW croit que Tsahal et le Hezbollah devraient partager avec les organismes de l’ONU toute l’information dont ils disposent sur les cibles de leurs attaques et le type d’engins utilisés au cours des 33 jours du conflit, de manière à faciliter la neutralisation des UXO (voir Lebanon: Protect Civilians From Unexploded Weapons, HRW, 16 août 2006).

Mortier UXOL’aviation israélienne a largué en moyenne de 200 à 300 bombes dans la zone frontalière immédiate, et le même nombre dans d’autres zones du Sud-Liban. En plus du bombardement des quartiers de Beyrouth-Sud et de la vallée de la Bekka, ces opérations ont laissé un très grand nombre d’engin non éclatés selon HRW (photos à l’appui), y compris des bombes de 250, 500 et 1 000 kilos. S’ajoutent à ces engins entre 200 à 300 missiles air/sol par jour sur ces mêmes zones, ainsi que 2 000 obus d’artillerie par jour. Quant au Hezbollah, il a fait amplement usage d’obus de mortiers reconnus pour avoir un taux élevé de non éclatement (photo du Centre de coordination des mines de l’ONU au Sud-Liban, 15 août 2006).

Des spécialistes étasuniens estiment le taux de non éclatement à 14 %. Au bout de 33 jours, faites le compte.

HRW rapporte qu’il y a déjà eu 16 décès dans la population civile attribuables au déclenchement d’UXO, un chiffre qui pourrait grimper au cours des semaines et mois à venir (voir Lebanon: Israeli Cluster Munitions Threaten Civilians, HRW, 17 août 2006). Des équipes de techniciens ont déjà repéré une dizaine de zones où se trouvent des UXO, mais ce ne serait probablement que la pointe de l’iceberg selon les responsables.

La situation est aggravée par l’utilisation de bombes à dispersion, c’est à dire d’engins contenant des milliers de petits fragments métalliques qui se dispersent lors de l’impact. Les experts confirment qu’il y a typiquement un taux élevé de non éclatement de ces engins. Pour Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW, les lois de la guerre n’interdisent pas l’utilisation de bombes à dispersion, mais on ne peut y avoir recours dans des zones près de civils car ces armes ne peuvent être dirigées uniquement contre des cibles militaires.

En 2004, sombre héritage des conflits passés, le Landmine Monitor Report avait enregistré 12 blessés et deux morts attribuables au déclenchement tardif d’UXO. Toutes les victimes étaient des civils. En juin 2005, l’armée libanaise rapportait que depuis 1970 les UXO avaient fait 1 835 morts et 2 140 blessés.

Il y a de ces conflits qui n’en finissent pas de s’éteindre.
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17.8.06

États-Unis : profil des blogueurs

Profitons de l’accalmie pour examiner un rapport du Pew Internet & American Life Project, Bloggers: A portrait of Internet’s new storytellers (format PDF) rendu public le 19 juillet dernier.  Commençons par préciser qu’il s’agit d’une enquête menée par téléphone auprès de 233 blogueurs qui s’étaient déjà identifiés comme tel dans des enquêtes précédentes du Pew menées aux États-Unis.  Elle a été menée du 5 juillet 2005 au 17 février 2006.  En raison de l’échantillon relativement restreint, la marge d’erreur varie entre 2 % et 7 % selon les ensembles de données.

Commençons par une bonne nouvelle.  En février 2004, le Pew estimait que 17 % des abonnés au réseau lisaient des blogues.  Or, cette plus récente enquête révèle que c’est maintenant 39 % des utilisateurs aux États-Unis qui consultent les blogues, soit 57 millions d’adultes. 

Autre bonne nouvelle pour certains, ceux et celles qui croyaient que les blogues n’étaient qu’une mode et que l’engouement allait s’estomper peuvent se raviser.  Le Pew rapporte que 82 % des blogueurs croient qu’ils blogueront toujours dans un an.

L’enquête déconstruit le mythe selon lequel la blogosphère étasunienne serait largement dominée par le discours politique.  Pourtant, les chercheurs ont établi que 37 % des blogueurs citaient comme thème principal de leur blogue leurs «vies et expériences».  Par contre, plus de la moitié (55 %) publie sous un pseudonyme ou un nom d’emprunt.  De plus, seulement 34 % croit que leur blogue est une forme de journalisme.

La politique et les affaires publiques arrivent au deuxième rang avec 11 %, suivi du divertissement (7 %), des sports (6 %), de l’actualité générale (5 %) et du commerce et des affaires (5 %), de la technologie (4 %), des questions religieuses (2 %).

Le ratio hommes/femmes est équilibré chez les auteurs de blogues, mais plus de la moitié (54 %) ont entre 18 et 30 ans, 30 % s’inscrit dans le créneau 30/50 ans, 14 % dans celui de 50/64 ans, et 2 % dans celui des 65 ans et plus.

Même si seulement 11 :% des blogueurs écrivent sur la politique, ils n’en sont pas moins des consommateurs voraces d’information en ligne: 95 % s’informent en ligne, 72 % cherchent de l’information en ligne sur la politique et les campagnes électorales, 55 % sont abonnés à des listes de diffusion par courriel, et 47 % disent puiser leur information dans les blogues (26 % sur une base quotidienne).

Si le titre de l’enquête fait allusion à ces «nouveaux conteurs» que sont les blogueurs, c’est peut-être que 62 % d’entre eux n’avaient pas de site Web ou de page perso avant de bloguer, et que 54 % n’avaient jamais vu un de leurs textes publié en ligne ou autrement.

Parmi les éléments clés qui constituent un blogue «réussi», selon diverses recettes à la mode, figurent la spécialisation dans un sujet et la fréquence de publication.  La théorie veut que la première fidélise le lectorat qui s’intéresse au sujet, la seconde qu’elle influence l’achalandage car les lecteurs savent qu’ils peuvent consulter un blogue chaque jour et y trouver du contenu «frais».  Cette théorie est cependant ignorée par un majorité de blogueurs car seulement 13 % publient chaque jour et que 64 % disent aborder une variété de sujets.

Tous âges confondus, 87 % des blogueurs permettent la fonction commentaires sur les blogues, et 82 % ont déjà formulé un commentaire sur un autre blogue que le leur.  Pour ce qui est d’une liste de liens vers d’autres blogues (blogroll), 41 % disent en avoir une (70 % chez ceux qui publient quotidiennement).  Pour ceux et celles qui ont une telle liste sur leurs blogues, elle contient moins de 10 adresses dans 43 % des cas, entre 10 et 49 adresses pour 29 % d’entre eux, et plus de 50 adresses pour 18 % des blogueurs.

Un peu moins de la moitié des répondants (46 %) disent que leur blogue figure sur la liste des liens proposés sur un autre blogue, alors que 34 % dit n’être référencé sur aucun autre blogue, et que 20 % dit ignorer s’il le sont ou non.  De ceux et celles qui se disent référencés, 29 % le serait sur entre 10 et 49 blogues, 27 % sur moins de 10, et 19 % sur plus de 50.

Les flux d’actualisation RSS sont offerts par 18 % des blogueurs (le double de la proportion estimée par le Pew en juin 2005).  Ce qui est étonnant c’est que 59 % n’offrent pas cette possibilité, et que 23 % ignorent s’ils ont ou non un flux RSS.  Je dis étonnant car le mythe du blogueur bidouilleur en prend un sérieux coup, comte tenu de la facilité d’installation d’un ou plusieurs flux RSS.

Autre résultat inattendu, 47 % des blogueurs n’ont aucune idée de l’achalandage sur leur blogue, malgré la disponibilité d’outils gratuits de mesure de fréquentation ou de l’inscription sans frais à des «palmarès» blogues qui tiennent compte de l’achalandage.  Un peu plus d’un blogueur sur cinq (22 %) dit accueillir moins de dix visiteurs par jour, 17 % entre 10 et 99, et 13 % plus de 100, bien que dans cette dernière catégorie on trouve des sites à très fort achalandage.
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Les info-guerres

Si sur le plan politique, l’heure est au bilan en Israël, il en va de même dans les médias.  Certains ont été critiqués, quelles que soient leurs tendances, pour un apparent parti-pris.  D’autres se sont bien acquittés de leur tâche d’informer malgré les difficultés énormes que présentait la situation.  Le phénomène du «rolodex doré» (qui consiste à toujours entendre les mêmes «spécialistes» et «observateurs» commenter une situation) s’est malheureusement encore une fois manifesté.  Dommage, mais bon...

Lorne Manly abordait la question du rôle des médias il y a quelques jours dans le New York Times (voir In Wars, Quest for Media Balance Is Also a Battlefield).  Il se penche sur le dilemme de plusieurs organes de presse aux États-Unis qui tentent de déterminer comment et dans quelle proportion utiliser des images de civils tués ou blessés quand le nombre de victimes dans un camp dépasse de beaucoup celui dans l’autre camp.  Dans le camp israélien on parle de 150 morts, principalement des militaires, et du côté libanais de plus de mille morts, en majorité des civils.

Les chefs de rédaction des journaux, périodiques et médias électroniques n’ont pas imposé de formule d’équité dans la couverture de ce conflit, selon eux une telle formule n’existe pas.  Il cite le producteur exécutif du grand journal télévisé de la chaîne étasunienne ABC, Jon Banner, qui a trouvé éprouvants les choix à faire en raison de la complexité de la situation et des enjeux, et de l’impact des images disponibles.  La chaîne a donc opté pour la diffusion quotidienne d’un reportage du point de vue israélien, et un du point de vue libanais.

Cette dernière affirmation a fait bondir les responsables de l’organisme Fairness & Accuracy In Reporting, FAIR (voir Media Views).  S’il y a eu dix fois plus de victimes civiles libanaises qu’israéliennes, et que la couverture a été «équilibrée» selon les responsables des médias, «il existe donc une formule, soit qu’une vie israélienne vaille dix vies libanaises» lit-on dans FAIR.

Pour sa part, Crawford Kilian se penche dans The Tyee sur la couverture accordée par les grands médias et les blogues dits «influents» aux blogues plus modestes écrits pas des gens sur le terrain (voir Blogging a Nameless War).  Selon lui, «Les médias traditionnels et les blogues étasuniens à fort achalandage n’ont presque pas accordé d’attention aux blogueurs sur place, aux gens qui pouvaient nous faire un compte rendu de visu de la situation.»

Il souligne à juste titre une comparaison avec le conflit irakien.  «En 2003, les blogues Salam Pax et Riverbend se sont avérés de manière distincte le reflet de l’opinion publique irakienne.  Toutefois, dans le présent conflit, tant d’un côté que de l’autre, aucun blogueur n’a réussi à percer.  C’est très dommage.  Lorsque les dirigeants des deux côtés ont recours aux mensonges et aux clichés, la voix des “gens ordinaires”, faute d’exactitude factuelle, a au moins le mérite d’offrir la sincérité.»

Et vous, lecteurs et lectrices, estimez-vous avoir été bien informés des événements et des enjeux qui sous-tendent ce conflit?
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16.8.06

Les armées privées de Washington

Jeremy Scahill de l’hebdomadaire The Nation signe un article dans le numéro du 28 août (accessible sur le site Web), Mercenary Jackpot qui mérite d’être souligné. 

En 2004, le State Department a lancé un appel à soumission dans le cadre de son programme Worldwide Personal Protective Service (WPPS).  Il s’agissait pour le ou les entrepreneurs sélectionnés d’assurer au besoin la protection de «certains responsables de haut niveau de gouvernements étrangers», un besoin découlant des «troubles persistants au Proche-Orient, et des efforts de stabilisation entrepris par les États-Unis en Bosnie, en Afghanistan et en Irak.» Le State Department déclarait que le gouvernement des États-Unis était incapable, à long terme, d’assurer ces services à l’aide de son effectif d’agents spéciaux, il qu’il fallait donc attribuer un contrat en impartition.

L’appel à soumission s’est soldé par l’attribution de contrats à un petit nombre d’entreprises, dont DynCorp, Triple Canopy et Blackwater USA.  L’enveloppe prévue devait totaliser 229,5 millions de dollars sur cinq ans.

Dyncorp a été fondée en 1946 par un petit groupe d’anciens pilotes militaires comme service de fret aérien et portait alors le nom de California Eastern Airways.  En 2002, l’entreprise rapportait des revenus de 2,3 milliards de dollars, et occupait le 13e rang des fournisseurs militaires.  En vertu du Plan Colombie (éradication de la coca), DynCorp dispose d’un effectif de 307 employés et d’une flotte de 88 avions pour vaporiser des défoliants sur les plantations.  En 1999, un de ses propres employés a dénoncé la pratique du personnel de DynCorp en Bosnie consistant à acheter et vendre des jeunes filles à des fins de prostitution, à s’adonner au trafic d’armes (voir le dossier de CorpWatch). 

Triple Canopy a été créée en septembre 2003.  Début 2004, l’entreprise se voit accorder un contrat de six mois pour protéger les locaux du gouvernement provisoire en Irak, contrat d’une valeur de 90 millions de dollars.  Depuis le 4 novembre 2005, c’est elle qui assure la protection de la «zone verte» à Bagdad.  Elle compte parmi ses administrateurs Dan Bannister, un ex-premier dirigeant de Dyncorp (voir le dossier de SourceWatch).

Blackwater USA offre des services d’entraînement tactique et de consultation en sécurité.  Elle dispose d’une aire d’entraînement de 6 000 acres en Caroline du Nord.  Mais elle est aussi très présente en Irak.  Les quatre combattants civils étasuniens tués à Fallujah le 31 mars 2004 étaient des employés de Blackwater.  Selon certaines sources, des effectifs de Blackwater ont combattu aussi à Najaf, quelques jours après l’incident de Fallujah.  Blackwater utilisait même ses propres hélicoptères pour réapprovisionner ses commandos sur le terrain (voir le dossier SourceWatch).

Selon Jeremy Scahill qui a eu accès à des documents récents, au 30 juin 2006, avec à peine deux ans en cours de contrat (initialement prévu pour cinq ans), Blackwater à elle seule aurait reçu 321,7 millions de dollars, soit plus de 100 millions de plus que prévu pour cinq ans.  Le State Department refuse d’expliquer l’écart.

Le General Accounting Office (vérificateur des comptes de l’État) s’inquiète d’ailleurs de la montée en flèche du recours aux armées privées.  Dans un rapport publié en juin dernier, le GAO déclarait : «Il y a croissance de l’industrie privée dans le secteur de la sécurité en Irak.  Dans notre rapport de 2005, nous rapportions que le ministère de la Défense estimait qu’une soixantaine d’entreprises employant environ 25 000 personnes étaient présentes en Irak.  En mars 2006, le directeur de l’association des entreprises privées de sécurité en Irak a estimé qu’il y avait maintenant 181 entreprises disposant d’un effectif de 48 000 employés (voir GAO Actions Still Needed to Improve the Use of Private Security Providers , format PDF). 

Mais le dossier n’est pas au menu des grands médias étasuniens.  La représentante démocrate de l’Illinois Jan Schakowsky entend pour sa part demander des éclaircissements sur ces contrats et déclare : «Nous devons savoir pourquoi l’administration Bush continue de signer des chèques en blanc à Blackwater et d’autres pendant que le congrès et le grand public ne sont pas informés de cette question.»
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15.8.06

Un blogue pour Ahmadinejad

Mahmood AhmadinejadLe président iranien Mahmood Ahmadinejad a lancé vendredi dernier un blogue et l’événement a été diffusé à la télévision nationale iranienne.  Il présente ses contenus en arabe, en perse, et en anglais, la version en français serait en préparation; on peut s’abonner à un fil RSS, consulter d’autres sites gouvernementaux iraniens dans une courte section de liens, et répondre à un sondage à savoir si Israël et les États-Unis en attaquant le Liban avaient l’intention de déclencher une autre guerre.  Guerre des mots (word) ou guerre mondiale (world)? On ne sait trop, le libellé de la question, au moment de ma visite, était «another word war».  Dans son billet initial (2 352 mots en version anglaise), le président Ahmadinejad y va d’un texte à mi-chemin entre l’autobiographie et l’histoire.  Il promet dorénavant d’être plus bref.
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L’heure des comptes

Le chef du Hezbollah crie victoire.  George Bush dit que le Hezbollah a été vaincu.  Ehud Olmert avoue que la campagne libanaise s’est heurtée à «certaines difficultés».  Un peu partout l’heure est aux bilans et on parle du côté israélien de possibles enquêtes pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé.

À commencer par les transactions boursières du chef d’état-major Dan Haloutz qui ont poussé la députée travailliste Colette Avital à exiger sa démission, et le leader du PNR Zevouloun Orlev à demander l’ouverture d’une enquête (Arouts, 15 août 2006).

David Geller explique : «Les fonctions de chef d'état_major semblent très avantageuses lorsque l'on aime spéculer en bourse.  En effet, le quotidien Maariv révèle ce mardi que le général en chef Dan Haloutz s'est empressé de vendre toutes ses actions, d'une valeur d'environ 120 000 shekels [Ndb.  Environ 31 000 dollars canadiens], peu après l'enlèvement des soldats Ehoud Goldwasser et Eldad Reguev à la frontière Nord le 12 juillet dernier.  Le journaliste Yehouda Sharoni, qui publie ce scandale, précise que le chef d'état-major a téléphoné ce même jour à midi à son conseiller financier, trois heures après le début des événements dramatiques dans le Nord du pays, dont les détails n'avaient pas encore été entièrement autorisés à la publication par la censure militaire.  Les indices de la bourse de Tel Aviv ont ensuite sérieusement chuté (- 8 %) suite aux combats et aux tirs de roquettes sur les localités du Nord.»

Le général confirme qu’il a effectué la transaction, mais qu’il avait décidé de liquider son portefeuille après avoir subi certaines pertes récemment.  «Je souligne que ceci n'avait donc strictement rien à voir avec la situation au Nord car à ce moment je ne savais pas encore que nous allions entamer une guerre au Liban", a répondu le chef d'état-major au Maariv.» (Arouts, 15 août 2006).

Mis à part cette étrange histoire du général boursicoteur, une partie de la classe politique israélienne réclame une enquête sur la gestion par le gouvernement de Ehud Olmert de la campagne israélienne, et la création d’un gouvernement d’unité nationale pour se préparer au prochain conflit. 

Selon le Jerusalem Post de ce matin, trois commissions d’enquête sectorielles sont en voie d’être créées.  Un comité des forces armées sera mis sur pied par le ministre de la Défense Amir Peretz, le vérificateur d’État Micha Lindenstrauss examinera les préparatifs à la campagne du Liban, et le comité de la Knesset sur les Affaires extérieures et la Défense mènera une enquête parlementaire (Politicians take aim at Olmert, Jerusalem Post, 15 août 2006).

On dit que Olmert n’est pas préoccupé par ces enquêtes, mais cherche à éviter une commission d’enquête officielle comme la Commission Orr formée pour enquêter sur certains événements survenus alors que Ehud Barak était chef du gouvernement.

En octobre 2000, la police israélienne avait réprimé avec violence une manifestation d’Israéliens arabes qui protestaient contre le traitement des Palestiniens à Gaza; il y avait eu 13 morts.  Barak confia au juge de la cour suprême Theodore Orr le mandat d’enquêter sur ces événements.  Après avoir entendu 377 témoins en trois ans, Orr publia son rapport.  Il blâmait la police pour usage excessif de la force, mais accusait aussi l’establishment israélien de discrimination à l’endroit de la minorité arabe en Israël (plus d’un million de personnes, environ 20 % de la population).  Selon Orr, l’insensibilité de l’establishment par rapport à cette minorité créait une atmosphère explosive qui ne pouvait que conduire à la violence (voir Orr Panel? Finds Decades Israeli Discrimination, Scoop, 4 septembre 2003).

Un de ceux qui réclament une commission d’enquête sur la gestion du conflit est le président du parti Meretz, Yossi Beilin, qui veut en savoir davantage sur l’état de préparation au conflit et sur la prise de décision du déclenchement des hostilités.  Il ajoute qu’au nord du pays, il n’y avait pas d’abris contre les bombardements dans les collectivités arabes israéliennes, que les démunis avaient été négligés et que la guerre avait exacerbé les tensions sociales internes.

Yana Dlugy du Middle East Online estime qu’il y a trois questions auxquelles le gouvernement doit répondre : pourquoi les militaires ne sont-ils pas parvenus après plus d’un mois de combats à faire cesser les lancements de missiles par le Hezbollah; pourquoi l’État n’a-t-il pas assuré une protection adéquate aux résidants du nord du pays qui ont été visés par plus de 4 000 tirs de roquettes du Hezbollah; qu’est-ce qui a été accompli par ce conflit qui a suscité l’indignation de la communauté internationale et qui a fait 1 100 victimes au Liban, la plupart des civils (voir Israeli leaders face political fire, Middle East Online, 14 août 2006. 
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14.8.06

La paix des cimetières

Laurent Laplante commente la Résolution 1701, adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies le vendredi 11 août 2006, (format PDF).

La réalité, ce n'est pas que le Conseil de sécurité fait se lever la paix sur un pays saigné dans ses vivants et dans son âme.  C'est qu'un État injustement écrasé sous les bombes est contraint à une capitulation honteuse et qu'il voit se recroqueviller le territoire national.  Peut-être même ce pays est-il déjà promis à la disparition.  La réalité, c'est qu'un millier de ses enfants sont morts, que des milliers d'autres vivront avec l'hypothèque de blessures et de handicaps, qu'un quart de la population appartient désormais à la sous-race des réfugiés, que des milliers d'humains renoncent à habiter un pays soumis aux crimes israéliens et à la lâcheté onusienne, que la destruction de ses infrastructures renvoie la société un siècle en arrière.  Et tout cela, pour quel crime exactement?  Qu'on le nomme.

La suite sur Dixit Laurent Laplante.
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Liban : un prélude à l’Iran?

Le journaliste Seymour Hersh publie ce matin un article fort documenté sur l’aval qu’a donné l’administration Bush au gouvernement israélien pour s’en prendre aux positions du Hezbollah au Sud-Liban (voir Washington’s interests in Israel’s war dans The New Yorker, 14 août 2006).

Il écrit : «D’après certains anciens diplomates et responsables de services de renseignement, et d’autres qui sont toujours en poste, le président Bush et le vice-président Dick Cheney étaient persuadés que si les bombardements de l’aviation israélienne contre les installations souterraines du Hezbollah au Liban parvenaient à renforcer la sécurité d’Israël, ils serviraient aussi de prélude à une frappe préventive étasunienne contre les installations nucléaires iraniennes, dont plusieurs sont aussi situées sous terre.»

En fait, selon les sources de Hersh, tôt le printemps dernier des officiers de haut niveau de l’aviation étasunienne ont commencé à travailler de concert avec leurs homologues israéliens.  Pour les étasuniens, il s’agissait de se préparer à une intervention en Iran selon le souhait de l’administration Bush.

On connaît maintenant les résultats : malgré des bombardements quotidiens, l’aviation israélienne n’est pas parvenue à stopper les lancements de roquettes du Hezbollah depuis le Sud-Liban, ce qui augure mal pour une éventuelle frappe en Iran.

Hersh cite Richard Armitage, secrétaire d’État adjoint durant le premier mandat de Bush fils, cet échec de l’aviation israélienne au Liban devrait servir d’avertissement à Washington.  «Si la plus importante force militaire de la région, les forces armées israéliennes, ne réussissent pas à pacifier un pays comme le Liban qui compte quatre millions d’habitants, il faudrait y penser à deux fois avant d’appliquer le modèle à l’Iran, fortement équipée sur le plan stratégique et qui compte 70 millions d’habitants.»

Le professeur Juan Cole abonde dans le sens de Hersh et de ses sources, mais ajoute un élément complémentaire dans son compte rendu de ce matin : «Toute attaque étasunienne contre l’Iran pourrait bien mener à la privation de pétrole des troupes étasuniennes et britanniques en Iraq et à leur massacre par des hordes chiites.  Des militants chiites pourraient facilement s’adonner au sabotage des pipelines et des convois d’approvisionnement en carburant, comme le font les sunnites dans le nord.  Privées de carburant, les troupes étasuniennes seraient des proies faciles pour des attaques au mortier que les forces de l’air ne seraient pas en mesure de contrer (comme l’illustre l’expérience d’Israël avec le Hezbollah au Liban).  Une attaque contre l’Iran pourrait bien résulter en une alliance ente sunnites et chiites, marquant ainsi la fin de la présence étasunienne en Irak.»
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13.8.06

Le 11 septembre, et l’amnésie étasunienne

Dans quelques semaines on marquera le cinquième anniversaire des attentats terroristes sur New York et Washington.  Cette semaine, le Washington Post publiait les résultats d’un sondage (voir News.au) selon lesquels 30 % ne se souvenaient pas de l’année des attentats terroristes du 11 septembre 2001.  De ce groupe, 6 % ont donné une date antérieure à 2001, 8 % une date postérieure, et 16 % ont dit n’avoir aucune idée de l’année des attentats.  Cette amnésie qui frapperait la population étasunienne n’est pas le fait des jeunes car 48 % des répondants éprouvant un trou de mémoire au sujet du 11 septembre sont dans la tranche d’âge de 55 à 64 ans, et 47 % dans celle de 65 ans et plus. 

Un autre sondage, cette fois mené par l’agence de presse Scripps Howard et l’Université de l’Ohio, révèle que 36 % de la population croit qu’il est «probable» ou «très probable» que les autorités gouvernementales ont participé aux attaques contre le World Trade Center et le Pentagone, ou encore n’ont pris aucune mesure pour les contrer tout en sachant qu’elles allaient se produire, et ce parce qu’elles cherchaient un prétexte pour intervenir militairement au Proche-Orient (voir Scripps Howard).

Un sondage précédent, mené en mai dernier par la firme Zogby, concluait que 42 % des répondants croyaient que le gouvernement des États-Unis et la commission d’enquête mise sur pied suite aux attentats ne disaient pas toute la vérité sur les événements (voir Zogby). 

Zogby a aussi interrogé son échantillon sur le fameux immeuble 7 du complexe du World Trade Center, un immeuble de 47 étages qui n’a pas été frappé par les avions mais qui s’est néanmoins écroulé en fin de journée le 11 septembre 2001.  L’affaissement de l’immeuble 7 du WTC n’a pas fait l’objet d’une enquête de la commission.  Or, 43 % des répondants ont dit ne pas être au courant de l’affaissement de l’immeuble 7, et 38 % être au courant de l’affaissement et croire que la commission aurait dû l’inclure dans le champ de son enquête.

L’enquête de la commission a-t-elle été bâclée?  Non, selon 47 % des répondants, mais 45 % de l’échantillon dit croire qu’il faudrait une nouvelle enquête.

Scripps Howard a constaté que les personnes qui utilisent régulièrement Internet, mais s’informent moins auprès des médias traditionnels, sont plus susceptibles d’endosser diverses théories de complots.  Les auteurs du rapport soulignent aussi une montée d’intérêt pour une nouvelle enquête sur les événements du 11 septembre. 

L’an dernier 911Truth.org, un des sites Web qui milite en faveur de la «vérité» sur les attaques et accuse les autorités de cacher certains faits acceuillait environ 4 000 visiteurs par jour.  Cette année, la fréquentation du site a triplé.
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12.8.06

Après Olmert, Livni?

Malgré l’adoption à l’unanimité au Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 1701 (on attend toujours le texte complet sur le Web), Israël étend le champ de ses opérations militaires peut-on lire dans Le Monde.

Comme je le soulignais dans des billets précédents, quelles que soient les opérations sur le terrain, l’image des forces armées et des services de renseignement israéliens aura écopé au cours de cette campagne, tout autant que l’image du premier ministre Ehud Olmert. 

Il y a grogne au sein du cabinet israélien, notamment entre Olmert et sa ministre des Affaires extérieures Tzipi Livni à qui il aurait interdit de se rendre à New York pour l’adoption de la résolution 1701 rapporte Haaretz.  Madame Livni s’était préparée pour ce voyage depuis des jours, souhaitant s’adresser directement au conseil et aux représentants des membres permanents, mais Olmert aurait refusé prétextant qu’elle lui avait demandé son autorisation trop tard.

Madame Livni s’est opposée à la poursuite des opérations militaires deux jours après leur déclenchement, estimant qu’il n’y avait rien à gagner avec cette stratégie et qu’il fallait faire place à la négociation et à la diplomatie.  Craignant l’escalade des hostilités, elle a voté contre le bombardement du QG du Hezbollah dans le quartier Dahiya de Beyrouth.  Depuis, elle a appuyé du bout des lèvres, par solidarité ministérielle, les autres décisions mais a refusé de les commenter publiquement.  Elle a toutefois signifié aux chefs militaires qu’advenant une solution politique au conflit, ils devraient mettre un terme à leurs opérations.

Si on en croit certains observateurs, une fois clos ce triste chapitre de l’histoire d’Israël, Ehud Olmert ne pourra continuer à diriger le pays.  Serait-ce là une occasion pour Tzipi Livni de lui succéder?

Tzipi LivniOn lit dans sa biographie sur Wikipedia qu’elle est : «née à Tel Aviv le 5 juillet 1958 et y vit toujours.  Elle est mariée et mère de deux enfants.  Elle est la fille de Eitan Livni, un immigré d'origine polonaise, également membre du Likoud et parlementaire.  Elle a été lieutenant dans l'armée et a travaillé pour le Mossad au début des années 1980.  Elle est diplômée de la faculté de droit de Bar Ilan, et a exercé en tant que juriste, spécialisée dans le droit public et commercial.  Livni a été une grande supportrice du plan de désengagement des territoires occupés d'Ariel Sharon et s'est impliquée fortement pour que ce plan soit approuvé par la Knesset, notamment en tentant une médiation avec les membres du parti opposés à cette opération.  Elle est également considérée comme faisant partie des membres pacifiques du Likoud.»

Depuis 2001, elle a accumulé une expérience ministérielle considérable, ayant occupé les portefeuilles de la Coopération régionale, de l’Agriculture et du Développement rural, de l’Immigration, du Logement et de la Construction, de la Justice, puis des Affaires extérieures.

En novembre 2005, elle quitte le parti Likoud pour suivre Ariel Sharon dans son nouveau parti, Kadima.  En janvier 2006, alors qu’Ariel Sharon n’est plus en mesure de diriger le pays pour cause de santé, elle dément les rumeurs voulant qu’elle convoite la direction de Kadima et déclare : «je ferai personnellement tout mon possible pour aider le Premier ministre par intérim à assumer ses fonctions et à prendre les bonnes décisions.»

La citation la plus controversée qu’on lui attribue date du 28 mars 2006 alors qu’elle a déclaré sur les ondes d’une chaîne de télévision étasunienne «Quelqu’un qui combat les soldats israéliens est un ennemi et nous riposterons.  Mais je crois qu’il ne s’agit pas de terrorisme si la cible est un militaire.»

Il est certain que le présent conflit changera considérablement, à terme, l’échiquier compliqué de la politique intérieure israélienne.  Il y aura certainement, si un semblant de paix s’installe au Sud-Liban, des élections législatives.  Tiraillé entre pacifistes et faucons, l’électorat pourrait-il opter pour une modérée pragmatique au dossier impressionnant?  À suivre.
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11.8.06

Israël/Liban : Une guerre de l’eau? (2)

Le 7 juillet, j’écrivais un billet sur l’importance de l’eau dans les enjeux de l’agression israélienne sur le Liban (Israël/Liban : Une guerre de l’eau?).  Kim Murphy du Los Angeles Times revenait hier (10 juillet) sur cet aspect méconnu du conflit (Old Feud Over Lebanese River Takes New Turn). 

Israël a bombardé des canaux d’irrigation ouverts et souterrains qui distribuent de l’eau à partir du fleuve Litani sur plus de 10 000 acres et à 23 villages du Sud-Liban et de la vallée de la Bekaa, ce qui a réalimenté les accusations voulant qu’Israël cherche à s’approprier les riches bassins versants libanais, accusations qu’Israël nie formellement.

Ce n’est pas d’hier qu’Israël convoite ces sources d’eau rappelle Murphy.  Le leader sioniste Chaim Weizman qui devait devenir le premier président de l’État hébreu avait déjà inclus en 1919 le fleuve Litani parmi «les exigences essentielles à la mise sur pied d’un État juif».  David Ben-Gurion, premier à occuper le poste de premier ministre israélien, a lui aussi à la fin des années quarante, à l’aube de la création de l’État juif, proposé d’y inclure le fleuve Litani.  Dans les années cinquante, ce fut au tour de Moshe Dayan, alors chef d’état-major de Tsahal, de se dire en faveur d’occuper et d’éventuellement annexer le Sud-Liban jusqu’au fleuve Litani.

Une bonne partie du débit du Litani est dirigé vers une série de barrages hydro-électriques, ce qui laisse peu pour l’irrigation, mais le gouvernement libanais prévoyait (avant le début de l’agression) un projet d’une valeur de 200 millions de dollars pour optimiser l’irrigation et l’étendre à d’autres zones de la région.

Outre le Litani, d’autres sources sont convoitées.  Le 26 juillet dernier, le site israélien Debka spécialisé en questions militaires et de renseignement annonçait déjà que «Peut-être le gain le plus important de cette crise pour Israël est la récupération d’une de ses principales sources d’eau, les sources de Wazani dans le village de Ghajar.  Ceci s’est accompli dans les premières heures de l’offensive des forces armées vers l’est.  Israël ne sera pas empressé de céder cet acquis.»

Mais pour en revenir au Litani, si Israël et le Liban étaient en paix, on pourrait entrevoir une heureuse collaboration entre les deux pays selon le professeur d’hydrologie Haim Gvirtzman de la Hebrew University.  Le partage des ressources impliquerait une vente d’électricité au Liban par Israël, et une cession d’une partie de l’eau du Litani par le Liban à Israël.

Bon, ne rêvons pas...

P.S.  J’ai reçu quelques courriels me demandant d’où venait mon intérêt marqué pour les événements que l’on connaît.  C’est que j’ai effectué la recherche et la rédaction des dossiers du site eXtremis, notamment la section «Guerre de l’eau» du dossier «Planète ravagée» qui portait sur l’eau en territoires palestiniens, puis le dossier «Désobéir» dont une partie importante portait sur Tsahal.
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Le Québécistan?

Gilles Rhéaume, membre du conseil général de la Société Saint-Jean-Baptiste, dépose une plainte au Conseil de presse contre le National Post pour un article signé de la journaliste Barbara Kay publié le 9 août sous le titre The rise of Quebecistan

Rhéaume, cité par Cyberpresse, a déclaré «Je ne pensais pas qu'on pouvait encore écrire de tels brûlots antiquébécois en 2006.  Je demande au Post de s'excuser» alors que pour Jonathan Kay, éditeur du quotidien, le National Post n'a aucune raison de le faire.  «Il n'y a aucun doute que le Québec a un passé antisémite, a-t-il déclaré à La Presse.  On n'a qu'à regarder Lionel Groulx, par exemple.»

Barbara Kay s’insurge contre la présence de certains politiciens québécois à la manifestation pour la paix de dimanche dernier, citant celles du chef du Bloc québécois Gilles Duceppe, du député libéral fédéral Denis Coderre, du chef du Parti québécois André Boisclair, et du porte-parole de Québec Solidaire Amir Khadir.

Elle écrit : «Ces politiciens jouent un jeu dangereux.  Il n’ont aucun appui des Juifs (qui sont tous fédéralistes), ils n’ont donc rien à perdre a courtiser les groupes arabes anti-Israël.»

Mais elle va plus loin.  «Les politiciens et intellectuels québécois de gauche (Pierre Trudeau en est un exemple évident) ont toujours été attirés par des causes qui se drapent de la “libération” des oppresseurs colonialistes, y compris de leur propre Front de libération du Québec (FLQ) qui leur a procuré un frisson de plaisir alors qu’il semait la terreur partout au Canada à la fin des années soixante avec ses boîtes aux lettres piégées, ses enlèvements et un meurtre.  Leur sympathie culturelle et historique pour les pays arabes de la Francophonie, le Maroc, l’Algérie, le Liban, conjuguée à leur anti-américanisme au niveau de réflexe auquel s’ajoute un fort courant d’anti-sémitisme qui a empreint le discours intellectuel au Québec tout au long de son histoire, ont fait du Québec la province la plus anti-Israël, et donc la plus vulnérable à la tolérance des sympathisants du terrorisme islamiste.»

Elle conclut son article ainsi : «Le diable est toujours à la recherche du relativisme moral qui permettrait d’engendrer un Faust moderne, et il semble qu’il ait fait des recrues parmi certaines des personnes les plus en vue au Québec.»

Les Québécois et Québécoises auraient donc frissonné de plaisir en octobre 1970? On nous reproche des liens étroits avec des pays arabes membres de la Francophonie? Nous serions tous et toutes anti-américains, anti-sémites et perméables au discours terroriste?

Come on Barbara...  Le Québec constitue une société infiniment plus nuancée que l’image négative que vous colportez dans votre article.  Si votre ignorance de la société québécoise peut être excusée, il n’en est pas de même de votre discours haineux et méprisant à l’égard du Québec.

Mise à jour, 15 août 2006

Biz, du groupe Loco Locass répond à Madame Kay dans Le Devoir, Le dernier-né des délires de la droite canadienne.
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Quel avenir pour Olmert?

On le dit de plus en plus sur différentes tribunes, l’agression militaire d’Israël sur le Liban est un échec, les objectifs déclarés (car il y en a des sous-entendus), entre autres soustraire Israël aux tirs de missiles du Hezbollah, n’ont pas été atteints.

Deux textes publiés ce matin dans le quotidien israélien Haaretz sont très critiques à l’endroit du premier ministre Ehud Olmert, grand responsable de cette opération qui a rapidement tourné au fiasco.

Uzi Benziman estime que cette guerre est en grande partie attribuable au manque d’expérience militaire et diplomatique des dirigeants d’Israël et à leur manque de prospective.  «Olmert devra faire preuve de magnanimité en acceptant le compromis qui sera proposé par la communauté internationale parce qu’il signifiera un aveu de l’échec d’Israël à atteindre ses objectifs.[...] La solution diplomatique, malgré ses limites et la pilule amère qu’il faudra avaler, est préférable à l’élargissement de la guerre car aucune autre action militaire ne changera l’issue du conflit.»  Voir Olmert must swallow his pride, adopt UN resolution, Haaretz, 11 août 2006.

Par contre, toujours dans Haaretz, Ari Shavit estime que si Olmert accepte un cessez-le-feu qu’il associe à une reddition sans condition au Hezbollah, il devra abandonner son poste de premier ministre.  «Le culot a ses limites.  On ne peut amener en guerre une nation entière, promettre la victoire, encaisser une défaite humiliante et rester au pouvoir.  On ne peut porter en terre 120 Israéliens, en garder un million dans des abris anti-bombes durant un mois, provoquer l’érosion du pouvoir de dissuasion militaire, rapprocher le pays d’un prochain conflit, puis dire qu’on est désolé, qu’on a fait une erreur.[...] Lorsque Nasrallah [Ndb. chef du Hezbollah] sortira de son bunker et clamera sa victoire à la face du monde, Olmert ne doit pas être en poste comme premier ministre.  L’Israël d’après-guerre, meurtri et ensanglanté, a besoin d’un nouveau départ et d’un nouveau leader.  Israël a besoin d’un nouveau premier ministre.» Voir Olmert cannot remain in the prime minister's office, Haaretz, 11 août 2006.
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9.8.06

Après Drudge, le Fudge...

Fudge, DrudgeC’est pour faire contrepoids à la campagne de désinformation prétendument menée par le parti républicain contre ses candidats que le comité démocrate pour la campagne sénatoriale (DSCC) a lancé il y a quelques jours le site Fudge Report.  Véritable pastiche du site Web Drudge Report de l’ultra conservateur Matt Drudge, le Fudge Report entend servir de portail d’information sur les candidats démocrates pour les électeurs et les médias.  En anglais, le verbe to fudge signifie monter, truquer, alors que le nom commun se traduit par balivernes.  L’équipe éditoriale entend donc rapporter et répondre avec célérité aux attaques et aux informations mensogères véhiculées par le parti républicain et les médias et blogues qui lui sont sympathiques selon le communiqué qui annonçait le lancement du site.  Malgré sa verve légendaire, Matt Drudge n’a pas réagi à cet emprunt de sa formule, préférant probablement ne pas mettre en valeur le site démocrate auprès de son très volumineux achalandage.
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On s’installe dans la durée...

Selon AP : «Le cabinet de sécurité israélien a autorisé mercredi une éventuelle extension de l'offensive terrestre au Liban pour tenter d'infliger davantage de dommages au Hezbollah avant l'instauration d'un cessez-le-feu, a annoncé le ministre israélien Eli Yishaï. Les soldats israéliens pourront pénétrer au Liban jusqu'au fleuve Litani, à 30km au nord de la frontière entre les deux pays. Actuellement, quelque 10 000 soldats israéliens combattent le Hezbollah dans une bande d'environ 6 km à l'intérieur du Liban.[...] Selon Eli Yishaï, la durée prévisible de l'offensive a été estimée à 30 jours mais "je pense que cela prendra bien plus longtemps", a-t-il affirmé. Un cessez-le-feu pourrait toutefois intervenir entre-temps.»
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États-Unis : Lieberman perd et accuse des hacktivistes

Le sénateur démocrate sortant de l’État du Connecticut Joe Lieberman a échoué dans sa tentative d’être désigné lors d’une élection primaire comme candidat de son parti à l’élection de novembre prochain.  Il a été défait par un nouveau venu en politique, l’homme d’affaires Ned Lamont.  L’affaire pourrait sembler usuelle si elle ne comportait la confirmation d’une nouvelle force politique, soit celle des blogues.

Je vous parlais en avril dernier du livre Crashing the Gate: Netroots, Grassroots and the Rise of People-Powered Politics de Jerome Armstrong et Markos Moulitsas Zúniga (voir Blogues et militantisme) et j’écrivais : «D’une part, certains politiciens démocrates considèrent les blogueurs politiques comme des amateurs mal informés des véritables enjeux et des rouages politiques.  Ils sont un peu embarrassés par ce militantisme sur lequel ils n’ont aucun pouvoir direct.  D’autres (et ici on a envie d’inclure certains journalistes) les perçoivent comme une menace à leur chasse gardée.  Les auteurs soumettent que ni les uns, ni les autres ne peuvent ignorer les blogues qui influenceront le débat politique d’une manière ou d’une autre.»

Ce qui est arrivé au Connecticut hier est un exemple frappant de cette nouvelle sphère d’influence que constituent les blogues.  À cet égard, voir Qui lit les blogues sur la politique? du 1er mai 2006.

Évidemment, il y a la question de l’orientation politique des deux candidats qui s’est manifestée sur une seule question, soit l’implication des États-Unis en Irak.  Lieberman a toujours été un farouche va-t-en-guerre.  Mais cette position s’effrite peu à peu chez les politiques étasuniens.  La semaine dernière, on lisait dans le New York Times que bien que Lieberman était démocrate, il était devenu «l'un des alliés les plus utiles de l'administration Bush, alors que le président tente de recourir à la guerre contre le terrorisme comme une excuse pour les changements radicaux imposés à ce pays.» Pour sa part, s’il est élu en novembre, Lamont entend exiger des comptes de l’administration Bush sur sa gestion de la crise irakienne et des questions de sécurité nationale.

Mais l’influence des blogues est indissociable de la victoire de Lamont.  Il a été désigné par les blogueurs progressistes, le mouvement netroots, comme un des candidats à appuyer dans le présent cycle électoral pour renouveler le parti démocrate, et reprendre le contrôle du sénat et de la chambre des représentants.  Le réseau informel des blogues a donc mis tout son poids derrière Lamont, tant sur le plan de la diffusion de son message que sur celui des conseils stratégiques, avec le résultat que l’on connaît. 

De déclarer Perry Bacon du magazine Time, cette campagne envoie un message très fort : dans un État à tendance libérale comme le Connecticut, les candidats démocrates qui ne portent pas attention au netroots le font à leur péril (voir The Unmaking of a Senator: How Bloggers Pulled It Off, Time, 9 août 2006.)

Mais l’élection d’hier a été marquée par une sérieuse accusation : Lieberman a accusé le clan Lamont d’avoir attaqué son site Web, bloquant ainsi l’accès à des informations destinées aux électeurs et paralysant son service de courriel.  Selon le New York Times (Charges of Dirty Tricks on Web Feed Speculation in the Blogosphere), les responsables de la campagne de Lieberman ont déclaré croire que «c’est l’action d’une attaque coordonnée de la part de nos opposants politiques.» Le clan Lamont a répliqué en disant que «si le site Web du sénateur Lieberman a été victime de hacking, nous n’avons rien à y voir, nous dénonçons cette action, et nous conseillons avec insistance les responsables à cesser immédiatement cette action.»

Le blogueur redchokerherring commente l’article du Times : «Nulle part dans cet article n’est-il fait mention que Lamont a offert les services de son gourou technique pour venir en aide aux gens de Lieberman.  Tout comme le démenti et la dénonciation du hack (s’il s’agit vraiment d’un hack).  On a bien sûr entendu Joe [Lieberman] demander que Lamont fasse une telle déclaration, et quand il l’a fait tout a été passé sous silence.»

Un des gourous techniques de Lamont, c’est Tim Tigris, jeune homme dans la fin vingtaine qui gère l’ensemble des opérations blogues de la campagne sur Internet.  Il a déclaré au New Haven Independent que les responsables des opérations Internet de Lieberman avaient fait preuve d’amateurisme et que leur site Web n’avait pu gérer l’accès d’achalandage en cette journée de scrutin (Hacking Charge: Was The Lieberman Camp Web-Clueless To The End?).

«Ils utilisent un serveur mutualisé partagé avec 72 autres sites.  Ils paient 15 $ par mois pour 10G de bande passante.  Nous avons consommé 10G de bande passante nous-mêmes au cours des dernières 24 heures» a-t-il déclaré, ajoutant que le coût de l’hébergement et des services Internet de la campagne de Lamont s’élevaient à 1 500 $ par mois.

Dan Geary de Geary Internet Services basé à Las Vegas est responsable des opérations Internet pour le clan Lieberman et conteste les chiffres avancés par Tigris.  Il affirme avoir accès à 200G par mois par l’intermédiaire d’un fournisseur d’accès de Dallas, Server Matrix.  Cette société n’a pas retourné les appels des journalistes du Times qui cherchaient à obtenir des éclaircissements.

Quoi qu’il en soit, la police fédérale (FBI) et le procureur général de l’État du Connecticut ont été saisis de l’affaire et devront déterminer s’il y aura matière à enquête.
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8.8.06

Pourquoi Israël piétine?

Un commentaire d’un billet précédent a attiré mon attention sur certains articles, notamment Israël, tête baissée? sur dedefensa.org qui citait lui-même A new face to Hezbollah's resistance de Syed Saleem Shahzad publié dans le Asia Times.  Ces deux articles sont à mettre en contre point avec un troisième, Concern mounts that this is a war Israel is not going to win initialement publié dans le Sydney Morning Herald par Jonathan Pearlman et qui fait état de l’inquiétude ressentie en Israël face à l’échec de Tsahal à enrayer les attaques du Hezbollah.

L’analyse de Pearlman conclut qu’Israël piétine dans sa campagne pour éradiquer les militants du Hezbollah dans le Sud-Liban.  En 1982, il n’avait fallu à Tsahal que 48 heures pour s’emparer d’une portion considérable de cette zone.  Or, écrivait Pearlman le 2 août, les missiles du Hezbollah continuent de tomber en territoire israélien (situation qui perdure jusqu’à aujourd’hui).  «La lenteur de la campagne et l’impossibilité d’empêcher le Hezbollah de lancer ses missiles Katyusha ont forcé Israël à modifier le cours traditionnel de ses conflits en vertu duquel le combat précède la diplomatie» écrit-il.

L’aviation de Tsahal pilonne le Sud-Liban, avec les dommages que l'on connaît, mais les forces terrestres ne procèdent qu’à des incursions limitées, la plupart du temps menées par des commandos des forces spéciales.  Comme me le souligne un lecteur du billet précédent, le souhait d’Israël d’étendre la zone tampon jusqu’à la rivière Litani (70 kilomètres au nord de la frontière actuelle) pourrait s’avérer difficile à réaliser car il impliquerait de déploiement d’un fort contingent d’infanterie en territoire Hezbollah.

Comment expliquer cet échec de la force militaire la plus puissante de la région, disposant de l’armement le plus sophistiqué, et du soutien matériel et technique des États-Unis?

Selon Syed Saleem Shahzad, Israël s’est lancé dans une opération militaire très risquée malgré des avertissements de ses services de renseignement, notamment le Mossad.  Ce dernier a ouvertement admis au gouvernement, avant le déclenchement des hostilités, avoir échoué dans ses tentatives d’infiltrer le Hezbollah.  Le Mossad s’opposait donc à l’opération militaire et suggérait d’attendre que, par services de renseignement interposés, on soit en mesure d’évaluer la puissance militaire du Hezbollah, ses effectifs, sa logistique et ses positions.

Toujours d’après le Mossad, le Hezbollah était devenu avec l’aide de l’Iran beaucoup plus puissant qu’un groupe comme le Hamas palestinien qui ne dispose surtout que d’armes légères et de petits missiles Qassam bricolés maison, et qui a souvent recours à des attaques suicides.  Avant de se lancer dans une opération d’envergure, soutenait le Mossad, il était essentiel de connaître la puissance militaire du Hezbollah, sinon on courait à la catastrophe.

Le Mossad était au courant d’un vaste réseau de tunnels et de bunkers que le Hezbollah pouvait utiliser pour stocker des armes en préparation d’une longue guérilla, mais ne pouvait déterminer avec précision ses ramifications.

Il y aurait donc crise interne en Israël comme l’explique dedefensa.org.  «Les conditions se précisent de plus en plus pour renforcer le constat que nous nous trouvons devant une crise majeure qui ne concerne qu’au premier abord le Hezbollah, mais qui concerne en réalité les structures mêmes de la direction israélienne.  Il s’agit d’une crise majeure justement à cause de ce facteur interne, comme la guerre en Irak est une crise majeure à Washington à cause des fractures et des oppositions qu’elle fait naître dans l’establishment washingtonien.»
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7.8.06

Israël/Liban : Une guerre de l’eau?

Initialement, l’objectif déclaré d’Israël en frappant le Sud-Liban était de mettre fin au tir de roquettes du Hezbollah et de créer un zone tampon, d’où l’argument d’auto-défense évoqué par les dirigeants israéliens.  Or, un observateur averti du Proche-Orient, Kaveh L Afrasiabi, avance une autre théorie sur les motifs du présent conflit : l’enjeu de l’agression israélienne serait l’annexion pure et simple du Sud-Liban pour avoir accès à l’eau de la rivière Litani. 

Afrasiabi écrit dans le Asia Times qu’au fur et à mesure qu’Israël élargit la zone qu’elle juge nécessaire à assurer sa sécurité, et que la dite zone rejoint maintenant la rivière Litani à 70 kilomètres au nord de la frontière israélon-arabe, ses motifs deviennent de plus en plus clairs.

L’accès par Israël à la rivière Litani se traduirait par une augmentation des ressources hydriques de 800 millions de mètres cubes annuellement selon Afrasiabi.  Il pourrait hypothétiquement par la suite y avoir négociation entre la Israël et la Syrie sur la question du Golan, source du tiers des ressources en eau d’Israël, mais un scénario plus réaliste serait le maintien du refus d’Israël de se plier aux résolutions 242 et 338 des Nations Unies exigeant son retrait des territoires syriens.

Mis à part la dimension géostratégique et celle de l’eau, reste à savoir si la tentative d’Israël de s’accaparer du Sud-Liban et de redessiner la carte du Proche-Orient sera tolérée par la communauté internationale.

Il y a plusieurs raisons de croire qu’avec le silence complice des États-Unis sur cette attaque d’Israël contre l’intégrité territoriale du Liban, Israël sera en mesure de faire fi des critiques et d’aller de l’avant avec son plan non déclaré d’annexion du Sud-Liban, écrit Afrasiabi.

Ce qui est moins sûr, selon lui, c’est si les efforts combinés du Hezbollah, du reste de la société libanaise et des autres forces arabes de la région pourront contrer cette tentative d’annexion du Sud-Liban.
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5.8.06

Israël/Liban : Manifestation à Montréal

Plusieurs groupes québécois, de divers horizons, ont décidé d'unir leurs efforts pour inviter la population québécoise à poser un geste pour la justice et la paix au Liban.  Ils invitent leurs concitoyens et concitoyennes à participer à une manifestation, dimanche le 6 août à Montréal.

Fleurdelysé, cèdre


C'est avec un sentiment d'urgence que nous appelons les membres de nos organisations et toute la population québécoise à venir marcher dimanche le 6 août (départ à 13h00 du Parc Lafontaine coin De La Roche et Rachel).

Source : CNW
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4.8.06

Israël/Liban : Tuer le messager?

Layal NajibLe 23 juillet dernier, sur la route entre Cana et Siddiqine (près de la ville de Tyr, 90 kilomètres au sud de Beyrouth), la photojournaliste Layal Najib a été tuée par l’explosion d’un missile israélien près de son véhicule.  Elle travaillait pour le compte du magazine libanais Al-Jaras (La Cloche) et pour de nombreuses agences de presse dont l’AFP.  L’organisme Reporters sans frontières a réagi : «Il est inacceptable que l’armée israélienne prenne aussi peu de précautions pour éviter de tuer ou de blesser des civils, dont les professionnels des médias font partie.  Reporters sans frontières demande au gouvernement israélien de mener une enquête sur l’origine des tirs qui ont tué Layal Najib.  Nous ne nous contenterons pas des explications d’usage de Tsahal qui affirmerait qu’il s’agit d’une cible militaire liée au Hezbollah.» La veille, un technicien de la LBC (Lebanese Broadcadsting Corporation), Suleiman Chidiac, avait été tué lors de l’attaque par Tsahal d’une station de transmission. 

La Fédération internationale des journalistes a condamné ces attaques, de même que certains autres incidents graves impliquant des membres des médias dans la bande de Gaza.  Son secrétaire général, Aidan White, a demandé à toutes les parties au conflit de protéger les journalistes, mais aussi à Israël de faire la lumière sur ces graves incidents et d’autres énumérés dans une lettre adressée au lieutenant-général Dan Halutz, chef d’état-major de Tsahal. 

«Israël doit faire enquête sur tous ces incidents récents et doit mettre fin a ce qui commence à ressembler à un ciblage.  La perception effroyable est celle de soldats ouvrant le feu sur des journalistes non armés et intimidant les journalistes arabes pour les empêcher de rapporter les événements en territoires palestiniens et au Liban.  Il est impératif que nous ayons des réponses au sujet de ces incidents, sinon l’impression de ciblage persistera» a-t-il déclaré.

La FIJ a inclus dans la liste des incidents graves les attaques contre les installations de la chaîne de télévision Al-Manar que l’on sait appuyée par le Hezbollah.  C’est alors que l’Association israélienne des journalistes a décidé de se retirer de la FIJ. 

Dans une lettre adressée à la FIJ et dont le Jerusalem Post fait état, l’Association a accusé Aidan White de «lâcheté» pour ne pas avoir retiré sa condamnation d’Israël et déclaré qu’il devrait avoir honte d’associer un outil de propagande du Hezbollah à une «presse libre».  Selon le porte-parole de l’Association, Yaron Enosh, «Al-Manar est financé par les mêmes gens qui nous tirent dessus.  Ce ne sont pas des journalistes, ce sont des terroristes, et je ne veux pas être membre d’une organisation qui compte des terroristes.»

Dans cette dispute entre associations de journalistes, il semble que le torchon brûlant depuis un certain temps, l’association israélienne accusant depuis trois ans la fédération internationale de condamner Israël à répétition et de passer sous silence certaines exactions commises par le Hezbollah à l’endroit de membres de la presse.

La FIJ n’est pas la seule à accuser Israël de cibler les journalistes.  Le Comité pour la protection des journalistes s’est dit inquiet de rapports alléguant de nombreuses attaques de Tsahal contre des équipes et des installations des chaînes de télévision LBC, Al-Jazeera, Al-Arabiya et Al-Manar, bien que ces installations et véhicules aient été clairement identifiés TV ou PRESS.

Le directeur exécutif du CPJ, Joel Simon, s’est dit troublé par ces allégations et a exigé une enquête immédiate.  «Les journalistes ont le droit de travailler dans les zones de conflits et ont droit à la même protection que tous les autres civils, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être délibérément ciblés.»

Le capitaine Jacob Dallal, porte-parole de Tsahal, a pour sa part déclaré : «Nous ciblons les routes parce que le Hezbollah utilise ces routes, mais en aucun cas ne ciblons-nous les civils, ce qui inclut les médias.  Les journalistes qui travaillent dans ces zones savent qu’ils prennent des risques.»

Chasse ouverte aux journalistes? Lawrence Pintak, directeur du centre en journalisme électronique Adham à l’université américaine du Caire a publié dans le Columbia Journalism Review une analyse pertinente sur le ciblage des journalistes qui n’a rien de nouveau, mais qui s’accentue. 

Correspondant de la chaîne de télévision étasunienne CBS à Beyrouth dans les années quatre-vingt, il a été obligé de fuir le pays à cause de menaces de mort de la part de milices syriennes.  Son cameraman a été littéralement coupé en deux, son preneur de son tué et son chauffeur rendu invalide après qu’un blindé israélien eut fait feu directement sur eux.  Plusieurs de ses collègues ont été pris en otage par le Hezbollah ou ses alliés.

Il écrit : «Ce qui a changé au cours des dernières années c’est le degré auquel les médias sont devenus spécifiquement et systématiquement une cible “légitime” en cas de guerre.  À Beyrouth dans les années quatre-vingt, nous étions des cibles à l’enlèvement parce que nous étions les derniers étasuniens en ville.  Maintenant les reporters sont ciblés parce qu’ils sont des reporters.»

En outre, écrit Pintak, «La sale petite cachotterie de ce conflit, et dont les médias étasuniens parlent peu, c’est que tous les reporters en Israël font l’objet d’une stricte censure par les militaires.»

La guerre est dangereuse, soit, et les journalistes connaissent les risques.  Mais de préciser Pintak, «Il y a une grosse différence entre être atteint par un fragment d’obus ou une balle perdue et être délibérément bombardé, enlevé ou décapité (le sort qu’a connu Daniel Pearl du Wall Street Journal aux mains de militants islamistes au Pakistan).

On dit que le secrétaire-général des Mations Unies Kofi Annan aurait en main un projet de loi internationale qui ferait du ciblage des journalistes par toute organisation armée un crime de guerre.  Les événements qui se déroulent actuelle au Proche-Orient pourraient souligner l’urgence d’adopter une telle loi.

Mais de conclure Pintak, «Ne soyons pas naïfs.  L’ONU n’a pas réussi à se protéger elle-même.  Son QG à Bagdad a été détruit par une voiture piégée, quatre de ses observateurs ont été tués lors d’une attaque israélienne sur leur base au Sud-Liban, ses bureaux à Beyrouth et Gaza ont été pillés la fin de semaine dernière.  Même Les responsables de massacres font rarement face à la justice internationale.  Ce n’est pas une résolution de l’ONU qui mettra fin aux attaques contre les journalistes par des forces gouvernementales ou non gouvernementales.  Mais ce serait au moins un message symbolique à l’endroit de ceux qui veulent museler la presse.»
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3.8.06

Israël/Liban : «From Israel With Love»

From Israel With LoveDes fillettes israéliennes décorant des obus d’artillerie destinés à des cibles libanaises de graffitis d’étoiles de David, de coeurs et de messages tel From Israel With Love...  On aurait eu peine à le croire si la nouvelle n’était pas confirmée par le Jerusalem Post.  Ce que le quotidien appelle «l’incident» est survenu le 17 juillet dernier à la frontière nord d’Israël.  Des parents ont amené ces enfants pour voir les obus, mais il n’est pas possible de déterminer d’où l’idée de leur faire dessiner des graffitis est venue.  La scène a été captée par des photographes de l’AFP, de l’Associated Press et du quotidien israélien Haaretz, mais les photos ont vite été diffusées sur des blogues et sur le service d’échange de photos Flickr.

La plupart des blogueurs et blogueuses qui ont diffusé ces photos étaient outrés de cette apparente militarisation des enfants.  Le blogue Neocon Express a pour sa part répliqué en publiant des photos d’utilisation d’enfants par des groupes arabes dans un contexte militaire. 

Réaction embarrassée de Tsahal par la voix d’un porte-parole qui a reconnu qu’un officier était sur place, mais qui maintient qu’il n’y avait rien d’officiel à cet étalage incongru des talents artistiques des fillettes israéliennes.  Les forces israélienne ne condamnent ni n’approuvent l’«incident».

Selon une source proche des services de relations publiques du gouvernement israélien, il est impossible de présenter l’«incident» sous un jour positif, «il y a tout simplement des gens irresponsables.»
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Israël/Liban : le front Internet

Avec l’avantage qu’il fait moins de victimes que sur le terrain, on constate un véritable front Internet pour l’agression israélienne sur le Liban dont l’objectif consiste à influencer l’opinion publique.  Les sondages en ligne, les blogues et les forums/commentaires sont pris d’assaut par des partisans des deux côtés.  Inutile de dire que la seule loi qui s’impose dans cet espace est celle de Godwin en vertu de laquelle une discussion en ligne qui dure dans le temps amène peu à peu les esprits à s'échauffer et à remplacer les arguments par des insultes.

Le Times nous apprenait la semaine dernière que le gouvernement israélien avait mis en disponibilité des stagiaires du ministère des Affaires extérieures pour repérer les sites Web et espaces de clavardage qui traitent de l’agression.  Disposant de logiciels de pointe, ils sont à même de mobiliser des milliers de sympathisants et de les orienter sur des sites où ils pourront faire contrepoint aux critiques.

Un des ces intervenants surveille tout particulièrement les sondages en ligne et affirme qu’en moins de 15 minutes il est en mesure d’influencer le résultat par une marge de 400 votes.

Pour Amir Gissin, porte-parole du ministère israélien des Affaires extérieures, il s’agit de contourner les médias traditionnels qui montrent des Libanais qui souffrent, mais qui font peu de cas de la souffrance des Israéliens exposés aux attaques des missiles Katyusha lancés sur le nord d’Israël par le Hezbollah.  C’est pourquoi des «kits médias» comprenant des photos de zones israéliennes bombardées sont distribués à ces combattants nouveau genre pour qu’ils les diffusent sur ces espaces dans Internet.
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Israël/Liban : Armes chimiques?

Depuis le tout début de l’agression israélienne sur le Liban, on a entendu des témoignages selon lesquels Tsahal aurait utilisé des armes non conventionnelles.  Toutefois, les soupçons se précisent nous apprend le quotidien libanais L’Orient - Le Jour dans sa livraison du 3 août.

Selon le président de l’ordre des médecins libanais, Mario Aoun, «Les corps de huit victimes, tombées à Rmeilé aux premiers jours du conflit et ramenées à Saïda, avaient une couleur très foncée, mais n’étaient pas brûlés pour autant.  Leurs cheveux, leurs muscles et même leurs habits étaient intacts, ils n’avaient pas d’éclats d’obus dans le corps, ne présentaient ni des traces d’hémorragie ni des signes de problèmes respiratoires.  Les médecins ont alors pensé à une autre possibilité, celle de l’utilisation probable de bombes libérant des substances chimiques.»

De la ville de Tyr, le Dr Aoun a reçu des rapports de médecins qui soupçonnent l’utilisation de bombes avec des matières paralysantes, se basant sur des comportements de certains blessés.  Pour sa part, le Dr Bachir Cham professeur de chirurgie dans un hôpital à Saïda, estime qu’il n’est pas possible de déterminer quel type de produit chimique serait en cause avant de connaître les résultats des tests en cours dans un laboratoire de Beyrouth.  «Je soupçonne qu’il ne s’agit pas d’une matière qui passe par le système respiratoire, mais plutôt de matières transcutanées, dit-il.  Ces bombes ont plusieurs caractéristiques, elles sont très précises, elles tuent par implosion et contiendraient des substances dopantes pour augmenter le taux de mortalité, ce qui explique que le rapport tués/blessés soit de un sur deux, donc particulièrement élevé» a-t-il déclaré au journal.

Par ailleurs, le 18 juillet dernier, l’organisme Human Rights Watch accusait Israël d’utiliser des missiles à obus à fragmentation.  Ces obus contiennent des centaines de billes de métal qui se dispersent à l’impact.  Pour Nadim Houry du bureau de HRW à Beyrouth, «Ces bombes ne sont pas en elles_mêmes interdites mondialement, mais c’est leur largage sur des cibles civiles qui est en violation de la convention de Genève.  Ce sont des bombes qui ne distinguent pas.  Pour nous, il est important de demander une enquête immédiate, et comme il s’agit de questions techniques, elle pourrait être menée assez rapidement.»

On pourrait disposer des résultats des tests d’ici une semaine, ce qui n’est pas assuré considérant la situation des infrastructures à Beyrouth.
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2.8.06

Retour sur les canicules

(Sujet d'actualité pour bon nombre, je republie un texte initialement diffusé le 29 juin 2005.)

Une canicule est une période de grande chaleur associée à la constellation du Grand Chien, quand l’étoile Sirius se lève et se couche avec le soleil, du 24 juillet au 24 août.  Ce sont les jours de la canicule, canicularis dies.  En anglais on parle de cette période comme les dog days of Summer (les jours du chien), expression immortalisée dans un film de Sidney Lumet en 1975, Dog Day Afternoon, dont l’action se déroule par une journée torride.  La traduction du titre en français, Un après-midi de chien, a malheureusement détourné le sens de l’expression.

Depuis quelques années, les épisodes caniculaires se font plus précoces dans l’année et fréquents.  Par exemple, ces jours-ci, le sud de l’Europe est aux prises avec une canicule et les gouvernements de France, d’Espagne, d’Italie et du Portugal mettent en oeuvre les plans d’intervention pour éviter une reprise de l’hécatombe de 2003.  Pour rappel, la canicule européenne cette année-là aurait fait entre 30 000 et 40 000 morts.

Heat WaveHeat WaveChicago, 1995.  Le mercredi 12 juillet, le Chicago Sun-Times publie un court article, relégué en page 3, sur l’imminence d’une vague de chaleur qui pourrait s’avérer mortelle (Heat Wave on the Way - And It Can Be a Killer).  On annonce également que les taux d’ozone et d’humidité seront élevés, et que l’indice de chaleur (température ressentie) pourrait atteindre les 49C.  Le lendemain, le mercure atteint les 40C, et l’indice de chaleur (humidex) 53C.  Au cours des cinq jours qui suivent, on dénombrera plus de 700 morts attribuables à la chaleur.  Cette vague de chaleur mortelle est l’objet du livre du sociologue Eric Klinenberg, Heat Wave: A Social Autopsy of Disaster in Chicago.

Plusieurs éléments du livre le distinguent d’autres ouvrages du genre, à commencer par cette notion de «post-mortem social» d’une tragédie urbaine.  L’auteur rappelle qu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des scientifiques comme Rudolph Virchow et William Osler ont lutté pour légitimer et institutionnaliser l’autopsie pour déterminer la cause de décès dans le but d’accroître l’efficacité du traitement médical.  Klinenberg adapte donc le modèle à l’étude de la canicule mortelle de Chicago en 1995.  Il écrit : «Comme c’est le cas pour toutes les autopsies, cet examen de la vague de chaleur de 1995 tient l’espoir qu’en étudiant la mort on comprenne davantage la vie, et aussi les façons de la protéger.»

Ce qui ressort dans plusieurs chapitres de ce livre est que la principale vulnérabilité des victimes était leur isolement social.  Les études épidémiologiques sur la vague de chaleur ont clairement établi un lien entre l’isolement et la mortalité, et les commissions politiques qui ont enquêté sur la tragédie sont arrivées à cet égard à deux conclusions principales.  D’une part, de plus en plus de personnes âgées aux États-Unis vivent seul (ce qui est confirmée par les données du Bureau des recensements).  D’autre part, la majorité de ces personnes qui vivent seul sont fières de cette autonomie et s’abstiennent de demander ou d’accepter quelconque aide parce qu’elle compromettrait leur identité comme personnes auto-suffisantes.

Klinenberg ne réfute pas ces deux constatations, mais soumet qu’elles n’expliquent pas complètement pourquoi tant de victimes de la canicule étaient des personnes qui habitaient seul.  Dans un de ses chapitres, il explore quatre tendances qui contribuent à la vulnérabilité comme groupe des personnes âgées (et souvent démunies) aux États-Unis, tendances qu’on retrouve aussi dans la plupart des sociétés industrialisées.

D’abord le poids démographique croissant de cette tranche de la population.  Ensuite, une culture de la peur, de la crainte de la violence réelle ou perçue dans l’entourage conjuguée à la valorisation de l’individualisme et de l’auto-suffisance.  Aussi, une transformation de l’espace marquée par la dégradation, la fortification ou la disparition d’espaces publics sûrs.  Enfin, une condition liée au genre qui affecterait surtout les hommes sans enfants et aux prises avec des problèmes de consommation d’alcool ou de drogues.

Sur ce dernier point, Klinenberg en arrive à un constat inattendu.  Il écrit : «Le paradoxe selon lequel les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes de vivre seul, mais beaucoup moins susceptibles d’avoir rompu des liens sociaux, apparaît dans toute sa clarté à l’examen des dossiers des personnes décédées.  J’ai trouvé les dossiers de 56 personnes dont les corps n’avaient pas été réclamés à la morgue et avaient été inhumés aux frais des autorités de comtés ou de l’État.  Or, 44 d’entre eux, environ 80 %, étaient des hommes, un indicateur probant que les hommes ont souffert de manière disproportionnée des conséquences de l’isolement social au cours de la crise.»

Selon Klinenberg, les hommes qui atteignent la vieillesse ont plus de difficulté que les femmes à entretenir des liens sociaux, héritage de l’éducation reçue et de la vie adulte des personnes de cette tranche d’âge.  Alors que les hommes se définissent souvent en fonction de leur milieu de travail et des liens qui s’y tissent, les femmes tissent des réseaux de contacts plus élaborés et fertiles qu’ils maintiennent une fois la vieillesse atteinte.  Pour les hommes, la rupture avec leur milieu de travail se solde souvent par un repli sur soi et un isolement qui, en situation de crise comme la canicule de 1995 à Chicago, augmente le taux de mortalité de cette catégorie de la population.

Heat Wave comporte aussi un chapitre fort pertinent sur le rôle que les médias ont joué durant la canicule de 1995 à Chicago, et sur le fonctionnement de la «machine médiatique».  Par exemple, le samedi 15 juillet fut la journée la plus mortelle de la canicule de Chicago, on dénombra alors quelque 300 victimes.  Les fins de semaine, les journaux fonctionnent avec un effectif réduit, ce sont principalement des reporters généralistes, des stagiaires ou des journalistes à contrat de durée déterminée (les one-years dans le jargon) qui s’affairent dans les salles de rédaction.

Un journal comme le Chicago Tribune n’avait donc pas à sa disposition un journaliste scientifique pour traiter du phénomène d’inversion thermique et des autres facteurs météorologiques qui étaient responsables de la canicule.  Les journalistes dont l’affectation principale était les services publics (police, incendie, ambulances, bureau du coroner, morgue, etc.) étaient également en congé, tout comme ceux affectés à l’hôtel de ville et à la politique municipale.  Faute de ces spécialistes, il était donc difficile pour le journal d’avoir une idée précise de l’ampleur de la tragédie qui se déroulait, et de la réaction des services publics.

Klinenberg décrit aussi une discussion houleuse dans une salle de rédaction de chaîne de télévision au sujet de l’importance à donner à l’événement.  Devait-on amorcer le bulletin de nouvelles avec le chroniqueur météo? Fallait-il prendre l’antenne en direct dès qu’un développement survenait? Fallait-il produire des reportages à dimension humaine (human interest stories) ou encore enclencher en mode catastrophe et se transformer, ne fut-ce que pour quelques jours, en télévision de service public.

La chaleur se résorba, la ville compta ses morts, les politiciens déclinèrent toute responsabilité.  Deux semaines après, une nouvelle vague de chaleur envahit la ville, plus courte et moins extrême que la première.  La température atteignit 35 degrés, et l’indice de chaleur 40 degrés.  Les mêmes politiciens qui avaient déclaré n’avoir rien pu faire pour éviter la première tragédie ordonnèrent des interventions immédiates.  Une population déjà sensibilisée aux précautions à prendre en cas de chaleur accablante sembla s’accommoder sans trop de difficulté.  On ne dénombra au cours de ce second épisode caniculaire que deux morts attribuables à la chaleur.

En 1999, Chicago vécut un autre épisode caniculaire de l’ampleur de celui de juillet 1995, mais les autorités municipales disposaient alors d’un plan d’intervention très complet : communication avec les médias, ouverture de centres de répit, transport gratuit en autobus vers ces centres, appels téléphoniques aux personnes âgées, visites en personnes aux personnes âgées vivant seul.  Le bilan fut lourd, on compta 110 morts, mais tout de même une fraction de ce qu’on avait eu à déplorer en 1995.

Pour Klinenberg, il serait injuste de jeter le blâme sur un organisme ou un individu pour ce qui arriva à Chicago en 1995.  «La canicule mortelle représente un échec collectif, et la recherche de boucs émissaires, que ce soit le maire, les médias ou les services de santé, ne fait que nous éloigner des vrais problèmes.  Nous savons qu’il y aura davantage de canicules, toutes les études sur le réchauffement de la planète le confirment.  La seule façon d’éviter d’autres désastres est de s’attaquer à l’isolement, à la pauvreté et à la peur qui prévalent dans tant de nos cités.»

En complément de lecture :

Autopsie d'un été meurtrier à Chicago
par Eric Klinenberg
Le Monde diplomatique, août 1997

Consortium Ouranos
Ouranos a pour mission de favoriser l'acquisition de connaissances pour mieux évaluer les changements climatiques régionaux et leurs impacts environnementaux, sociaux et économiques.
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Israël/Liban : le rôle de l’ONU

De George Monbiot : «Depuis 1972 les États-Unis ont utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies à 40 reprises pour bloquer l’adoption de résolutions qui visaient à défendre les droits des Palestiniens ou à condamner les excès du gouvernement israélien.»
Source : Donald Neff, An Updated List of Vetoes Cast by the United States to Shield Israel from Criticism by the U.N.

«Il s’agit d’un plus grand nombre de vetos que ceux invoqués par tous les autres membres permanents du Conseil pour cette même période.»
Source : The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy. (PDF)
 

«Le cas le plus récent est celui d’une motion le 13 juillet condamnant l’attaque par l’armée israélienne de Gaza, le tir de roquettes et l’enlèvement d’un militaire israélien par des groupes palestiniens.»
Source : UN Security Council, 13th July 2006

«Au cours des derniers jours, les États-Unis, avec l’appui de la Grande-Bretagne, ont bloqué toutes les tentatives internationales pour imposer un cessez-le-feu immédiat, laissant donc comprendre à Israël qu’il a la permission de poursuivre son agression du Liban.»
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Israël/Liban : comptons les sous

Nouveau drapeau?Que dire du rôle des États-Unis dans ce conflit.  Il s’agirait que le locataire actuel de la Maison Blanche oublie les généreuses contributions du lobby juif à sa caisse électorale et serve un avertissement sérieux à Tel-Aviv pour que les choses se calment.  Mais la réalité est fort différente. George Monbiot dans The Guardian du 1er août nous rappelle quelques statistiques.  Bien qu’Israël figure au 23e rang à l’indice mondial du développement (devant la Grèce, le Portugal et Singapour), il est néanmoins le premier bénéficiaire de l’aide étrangère étasunienne.  Pour l’exercice 2004, l’aide étrangère totale accordée par Washington s’élevait à 11 milliards de dollars, desquels Israël a reçu 555 millions.  Les trois pays les plus pauvres de la planète, soit le Burkina Faso, le Sierra Leone et le Niger ont reçu des États-Unis pour leur part au total 69 millions de dollars. 

Plus significativement, souligne Monbiot, pour l’exercice 2005 Israël a reçu des États-Unis 2,2 milliards de dollars en aide militaire.  Ce qui revient à dire que ce qui se passe actuellement au Liban, à Gaza et en Cisjordanie est payé en partie par les contribuables étasuniens.

Avec un PIB de 155 milliards, et un budget de défense de 9,5 milliards de dollars, Israël n’a pas vraiment besoin de cette aide des États-Unis.  Toutefois, la plus grande partie de l’enveloppe d’aide militaire est dépensée aux États-Unis pour l’achat, entre autres, d’avions de type F15 et F16, d’hélicoptères Apache, Cobra et Blackhawk, de missiles Patriot et autres articles de quincaillerie militaire.

Ce qui revient à dire que Washington récupère indirectement ou sous formes de retombées économiques ce qui se passe actuellement au Liban, à Gaza et en Cisjordanie.
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Israël/Liban : Hezbollah et devoir de mémoire

Anders Strindberg du Christian Science Monitor explique que les attaques du Hezbollah sont en réaction aux incursions répétées (quotidiennes selon les observateurs de l’ONU) des forces armées israéliennes en territoire libanais, véritable situation de conflit larvé qui persiste depuis son «retrait» du Sud-Liban en 2000.  «La capture par le Hezbollah des militaires israéliens est survenue dans ce contexte d’affrontement continu, lui-même exacerbé par les événements en territoire palestiniens.  Ce qui contrarie Israël et ses alliés c’est que le Hezbollah, le mouvement politique le plus populaire au Proche-Orient, accorde un soutien indéfectible aux Palestiniens.» Strindberg rappelle que depuis le 25 juin, date à laquelle des combattants palestiniens ont capturé un militaire israélien, les actions de Tsahal en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ont fait 140 morts du côté palestinien.

De poursuivre Strindberg, «Lorsque les Arabes ont contesté le droit de l’ONU de donner des territoires qui étaient leurs, et de payer le prix des pogroms européens et de l’Holocauste, la création d’Israël en 1948 n’a pu se faire que par nettoyage ethnique et par annexion.  C’est un fait historique documenté et reconnu par des historiens israéliens tels Benny Morris. 

«Pourtant, Israël continue d’affirmer qu’il n’a rien à voir avec l’exode des réfugiés palestiniens, et donc aucun devoir moral d’offrir réparation.  Depuis six décennies, on a dénié aux Palestiniens le droit à rentrer chez-eux car ils ne sont pas de la bonne race.  “Israël doit demeurer un État juif” est presque une mantra sacrée chez les politiciens occidentaux.  En pratique, cela signifie qu’on accorde le droit à Israël d’être une ethnocracie aux dépens des réfugiés palestiniens et de leurs descendants dont le nombre approche cinq millions.»

Pour Strindberg, le problème est que nous tentons de cerner le problème isaélo-arabe en fonction de ce qui est bien ou mal, plutôt que de tenter de voir ce qui serait réaliste et pratique.  Selon lui, Israël est un État profondément raciste soutenu par une succession sans fin de mesures punitives, d’assassinats et de campagnes militaires contre ses victimes et leurs alliés. 

Une compréhension réaliste du conflit exigerait de reconnaître que son origine n’est pas lié à tel ou tel incident, mais bien au refus obstiné d’Israël de reconnaître les droits humains de ses victimes palestiniennes.  «Contrairement à ce que l’on entend souvent, ni le Hezbollah ni le Hamas ne sont motivés par un désir “d’éliminer les Juifs”, il le sont fondamentalement par le sentiment d’une injustice profonde qu’il ne permettront pas de sombrer dans l’oubli» conclut-il.
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Israël/Liban : l’utilité d’une force tampon

Robert Fisk du Independent traite d’une possible «force tampon» sous l’égide de l’OTAN qui dans les faits sera déployée pour protéger Israël, et non le Liban.  Ça n’a pas fonctionné auparavant rappelle Fisk, alors pourquoi maintenant? «Quand arrivera cette force armée étrangère, comptez les jours, sinon le heures, avant qu’elle ne subisse une première attaque.  Et alors on entendra encore ce même discours que nous combattons le mal, qu’“ils” (désignant le Hezbollah ou les combattants palestiniens ou tout autre groupe voulant détruire “notre” armée) détestent nos valeurs, et puis bien sûr on nous dira que tout cela fait partie de la “guerre à la terreur”, cette absurdité qu’Israël colporte.»
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Israël/Liban : marée noire

Sur le plan écologique, les bombardements israéliens au Liban ont des conséquences tragiques, mais dont on parle peu.  Le quotidien libanais The Daily Star fait état du déversement de 10 000 tonnes de combustible lourd sur la côte méditerranéenne à la suite du bombardement les 13 et 15 juillet de la centrale électrique de Jieh (sud de Beyrouth).

Marianne en Ligne parle de «Marée noire : l’autre drame du Liban[...] Une marée noire “effroyable”, selon Yaacoub Saaraf, le ministre libanais de l’environnement.  Car ce serait entre dix et quinze mille tonnes de mazout qui flotteraient actuellement le long des côtes libanaises.  “En quantité absolue, le drame est comparable à celui de l’Erika.  En réalité, il est bien plus grave, car la capacité de régénération de l’océan Atlantique est nettement supérieure à celle de la mer Méditerranée, petite et fermée.  Il faudra un an pour tout nettoyer, mais les dégâts subis par l’écosystème dureront des décennies.  La faune sous-marine est empoisonnée, certaines espèces sont menacées de disparition.” D’autant que le blocus aérien et maritime imposé par Israël empêche toute intervention pour circonscrire la catastrophe écologique.  Faute de pouvoir installer des barrages flottants, les nappes de fioul, sujettes aux courants marins et aux vents, se dispersent de jour en jour.  “Nous ne pouvons même pas sortir en barque pour vérifier où sont les nappes”, s’insurge Yaacoub Saaraf.  Sans compter que le second réservoir de la centrale de Jieh est encore en feu, provoquant un nuage de fumée toxique de plus de 30 kilomètres.  S’il venait à exploser, 30 000 tonnes de mazout se déverseraient dans la mer.»

Mise à jour, 4 août 2006

Quelques photos des plages contaminées.
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Israël/Liban : bavure ou crime de guerre?

Dernières frasques de Tsahal au Liban : l’attaque par un commando héliporté de l’hôpital Dar al-Hikmah à Baalbek situé à environ 130 kilomètres au nord de la frontière israélo-libanaise.  On aurait été à la recherche d’un leader du Hezbollah; on n’a mis la main que sur cinq ou six combattants.  Entre 10 et 20 civils tués selon les sources, les militaires israéliens auraient tiré un missile sur l’hôpital rapporte le journal australien The Age.  De commenter Juan Cole, «À moins que l’hôpital n’ait été transformé en installation militaire, cette action (si elle est survenue) constitue un crime de guerre.»
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1.8.06

Mémoire et Racines 2006

C’est en fin de semaine dernière que se tenait à Saint-Charles Borromée (Joliette) la douzième édition du festival Mémoire et Racines consacré à la musique traditionnelle, mais qui fait aussi une belle place au conte et à la danse.  Quelques groupes vus et entendus.

Yves LambertUn nouveau groupe pour Yves Lambert, le Bébert Orchestra composé de Olivier Rondeau (guitares, voix), Nicolas Pellerin (violon, podorythmie, voix), Benoît Dufresne (contrebasse, basse électrique, et Tommy Gauthier (violon, bouzouki, mandoline, voix).  On ne présente plus Lambert, figure de proue pendant des années du groupe la Bottine Souriante qu’il a quitté il y a environ trois ans.  Toujours aussi mordant dans ses propos d’introduction, l’homme représente une des valeurs les plus sûres du «trad» au Québec.  Avec le Bébert Orchestra il interprète quelques classiques du répertoire traditionnel ainsi que quelques-unes de ses récentes compositions, mais évite de reprendre certaines chansons de l’époque de la Bottine ce qui en a déçu quelques-uns.  «Une entente entre amis...» expliquera-t-il laconiquement à un festivalier qui lui demandait de chanter Lucifer.  Sur le plan musical, le Bébert Orchestra s’écarte du style «fusion» qui caractérisait la Bottine et adopte une approche «trad» plus classique.  À voir pour les fans du style Lambert, en tournée un peu partout au Québec au cours des prochaines semaines.

Tommy GauthierSi Tommy Gauthier participe aux prestations du Bébert Orchestra, il est également membre du groupe Matapat (le «t» final est prononcé) fondé en 1997 et dont on entend de plus en plus parler depuis un certain temps.  Les multi-instrumentistes Simon Lepage et Gaston Bernard mettent aussi à contribution le percussionniste et podorythmiste François Guindon et Tommy Gauthier pour présenter leur répertoire «trad» légèrement métissé de jazz et de musique du monde.  L’amalgame est plus qu’intéressant, subtil, voire discret ce qui n’enlève rien à la solidité de l’interprétation.  Le dénominateur commun entre le Bébert Orchestra et Matapat est sans contredit Tommy Gauthier qui a énormément évolué depuis qu’il était membre des groupes Sortilège puis Karma.  Gauthier a toujours joué avec brio, il a maintenant gagné en assurance ce qui n’a rien pour nuire à la forte cohésion empreinte de complicité de Matapat. 

Antoine QuitishIrinatikw en langue autochtone atikamekw signifie «érable».  C’est aussi le nom d’un groupe de trois musiciens autochtones de Manawan (nord Lanaudière) qui ont offert quelques spectacles pendant les trois jours du festival.  C’était la première présence à Mémoire et Racines d’un groupe autochtone, et non la dernière si on en croit les organisateurs.  Outre une performance musicale bien sentie, notamment celle du violoniste Antoine Quitish dans des pièces «trad» adaptées au répertoire traditionnel atikamekw, leur présence a servi à nous informer sur la nation Atikamekw, sa langue, et son partage du français.

GenticorumC’est au groupe Genticorum qu’est revenu l’honneur de présenter le spectacle de clôture du festival.  Genticorum, c’est Alexandre De Grosbois-Garand (voix, flûte traversière, basse), Yann Falquet (voix, guimbarde, guitare) et Pascal Gemme (voix, violon, podorythmie).  Créé en 2000, le groupe a deux disques à son actif et se produit régulièrement en province dans des festivals et veillées de danse.  Là encore, une performance solide empreinte de virtuosité pour livrer tant des compositions que des interprétations de thèmes traditionnels légèrement métissés.  Ceux et celles qui s’intéressent au «trad» depuis quelques années sont à même de constater que des groupes comme Matapat, Genticorum et d’autres ont maintenant atteint un stade de maturité, ce qui n’a rien pour déplaire au public et aux amateurs de «trad». 

JammeuseMémoire et Racines permet de voir plusieurs bons spectacles étalés sur trois jours au site du festival (il y avait pour la première fois cette année une programmation dite «centre-ville» les 26 et 27 juillet), c’est aussi l’occasion pour les amateurs de ce genre de musique et les habitués du festival de se rencontrer, d’échanger, de jouer ensemble et de discuter.  On a toutefois noté moins de ces séances improvisées, de ces jams entre festivaliers qui apportent leurs instruments sur place.  Moins de présence aussi des vieux routiers du «trad» de qui jeunes et moins jeunes viennent apprendre, exception faite de Jean-Paul Guimond, encyclopédie vivante de la chanson à répondre québécoise.  «Il y a des années comme ça» dira un habitué.  Pour un autre, le «trad» se dénature et se dilue de son essence à cause du métissage et de la tendance «fusion» à d’autres genres.  C’est un débat qui a cours depuis des années au Québec, à savoir s’il faut privilégier l’approche puriste à la musique traditionnelle, ou s’il ne convient pas plutôt de l’assaisonner de rythmes et de sonorités empruntées à d’autres genres musicaux ou d’autres cultures pour élargir le public.

DiversitéIl est indéniable que bon nombre d’amateurs actuels de musique traditionnelle ont d’abord été attirés vers le genre par le style fusion de la Bottine Souriante pour ensuite découvrir et apprécier les classiques du «trad».  Faudrait-il pour autant que Mémoire et Racines se concentre sur le courant puriste et néglige le courant fusion comme certains le croient, ou tente un exercice d’équilibre délicat pour chercher à répondre aux attentes de ces deux marchés, voire à élargir sa clientèle? Je crois que se concentrer sur l’un ou l’autre de ces courants reviendrait à limiter l’offre de belles et bonnes prestations dans un esprit de diversité.  Sans être un inconditionnel du style pur ou fusion, il y a énormément d’artistes et de groupes de grande valeur évoluant dans ces deux genres qui gagnent à être connus, mais encore faut-il en avoir l’occasion, ce qu’offre Mémoire et Racines dans un sain esprit de diversité.  (Photo de Mychelle Tremblay : Olivier Rondeau, Yves Lambert, Kuljit Sodhi.)
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