29.6.06

Davduf en a marre des blogues

Davduf, c’est David Dufresne.  C’est au Québec, alors qu’il était de passage en 1996 pour écrire une série d’articles sur l’Internet québécois pour le quotidien français Libération, qu’il a hérité de ce surnom.  Davduf, c’est aussi l’homme de La Rafale et un des membres du minirezo (trop long à expliquer ici) et co-auteur avec Florent Latrive du livre Pirates et Flics du Net

Mais là, Davduf en a marre des blogues et signe un billet décapant (amplement commenté) intitulé Cycle.  Recyclage.  Davduf.net n’est plus très net.

Après dix/douze ans à nous battre/promouvoir la liberté d’expression sur le Net, à croire en un Manifeste du Web Indépendant, à jouer les Rézo de l’ombre, c’est l’avènement des Blogs, le triomphe de la parole libérée, etc., ô joie, ô allégresse, ô do it yourself mondialisé, chouette chouette, on a vécu ça, et en même temps...

Le bruit est si intense, la masse si imposante, qu’on en revient à ne plus savoir quoi lire, on a la tête ailleurs.  Marre de cette tête à clics et à claques du blogger fou, qui «rumeure» plus qu’il ne pense, qui parle plus qu’il ne dit, qui azertit plus qu’il n’écrit.

Fin de partie.


Cette sortie de Davduf me rappelle tant par le ton que par le contenu celle qu’il avait faite au moment de la mise au rancart de son site La Rafale en octobre/novembre 1996 (voir Chroniques de Cybérie, 11 octobre 1996) quand j’écrivais :

Mauvaise nouvelle venue du front : La Rafale, le meilleur site alternatif qu'ait vu le Web francophone, s'éteindra définitivement le 23 novembre prochain.  Nous vous avions souligné son arrivée l'hiver dernier, puis son retour en septembre après une pause estivale.  Zone autonome temporaire, la Rafale crépitait hebdomadairement depuis presque un an, tirait à la volée sur tout ce qui ne bougeait pas, ou pas assez vite.  Pourquoi cet arrêt des hostilités?  Laissons le chef de brigade David Dufresne expliquer.  «À peine née, la Rafale se savait condamnée.  Condamnée à errer dans un réseau quasi-autiste (l'Internet, qui semble vivre par et quasi que pour lui-même), condamnée à résister face à bien plus coriace qu'elle, mais encore condamnée à suivre (avec délectation mais danger) les nouvelles technologies, délicieuses mais contraignantes (Java, plug-ins Netscape, etc.)  Condamnée à clamser, quoi.  Et vite.  Et bien.  Et vite fait bien fait.»  Dur constat pour les sites indépendants, continue Dufresne :  «Ainsi les limites du petit Web bricolé-maison sont d'une certaine façon atteintes.  J'avais surestimé mes forces face à l'isolement et la solitude infligés à tout webmestre de fond qui, comme le coureur du même nom, s'essouffle plus vite à mesure qu'il approche de son but.  Comme quoi, finalement, si lancer son WebZine est d'une incroyable simplicité; c'est une autre paire de manche que de le poursuivre».  Jusqu'au 23 novembre.

Mais après plusieurs mois d’absence, Davduf revenait avec un nouveau site, un nouveau format, une nouvelle énergie avec davduf.net.  Dans une entrevue courriel, je lui demandais les motifs de ce retour (voir Chroniques de Cybérie, 21 mars 2000).

La NetÉconomie!  Si, si.  Je ressens le même sentiment d'urgence qu'en 1995, ou tout était à inventer.  Aujourd'hui, le Web marchand est définitivement là.  Il est partout, en France.  Des pubs à n'en plus finir.  Des projets de start-up qui pullulent.  Dans le même temps, des indépendants sont restés (comme rezo.net), ont maintenu la flamme coûte que coûte et voilà, soudainement, le 31 décembre 1999 pour être précis, j'ai eu envie d'apporter ma petite contribution à l'édifice d'un Web alternatif.  Comme en 1995, j'ai l'impression que des choses importantes se jouent en ce moment.  Il y a le même bordel, le même engouement en 2000 qu'il y a 5 ans.  Donc, il y a des places à prendre, à la marge[...] je crois que l'effervescence actuelle est le signe paradoxal qu'il y a peut-être une nouvelle carte à jouer, maintenant, et à nouveau, pour le Web indépendant.  Les positions de chacun (indé, marchand) sont définitivement claires.

C’est un fait que l’engouement pour les blogues remet en question bon nombre de principes que l’on tenait pour acquis à l’égard du Web, comme la concentration de l’attention sur un petit nombre de gros sites.  Remarquons toutefois que si la fréquentation de ces gros sites commence à s’éroder sous la vague des blogues, à l’intérieur même de l’espace blogue se produit aussi un phénomène de concentration.

L’arrivée des blogues «corpo» (notamment en journalisme) suit aussi l’évolution connue du Web au cours de ses premières années.  Les indépendants et les éditeurs de contenu aux moyens modestes ont tracé et défriché la voie, les corpo l’ont ensuite élargie et «pavée» pour la parsemer de kiosques convergents.  Il en va ainsi pour les blogues.  I'll do the stupid thing first and then you shy people follow... (Frank Zappa).

Mais puisque les positions de chacun (indés et marchands pour reprendre la typologie de Dufresne) sont «définitivement claires», n’y a-t-il pas justement des «places à prendre», et l’effervescence actuelle ne signale-t-elle pas «qu’il y a peut-être une nouvelle carte à jouer» pour les indépendants?

Il est vrai que le rapport signal sur bruit se détériore dans l’espace blogue en raison de la multitude de sources, mais il en est de même dans le reste du Web, et heureusement il existe des filtres.

Mais fin de partie, comme écrit Davduf?  Je ne crois pas, tant pour lui que pour le reste des blogueurs.  On traverse la «bulle» blogue tout comme on a traversé la bulle techno, avec toutes ces attentes, tous ces espoirs, et ensuite la réalité toute dure.  Puis, on façonne cette réalité sur des modèles plus réalistes, voilà tout.

Laissons passer l’été, et je crois qu’on verra un portrait sensiblement modifié de la blogosphère cet automne.
|

15.6.06

Desjardins et l’hameçonnage (2)

L’automne dernier j’écrivais sur une vague de courriels frauduleux ayant pour but de s’emparer des codes d’accès des clients du mouvement Desjardins qui utilisent le système de gestion de leurs comptes dans Internet AccèsD.  C’est la technique bien connue dite de l’hameçonnage.

Après une certaine accalmie de la réception de ces courriels, les hameçonneurs ont repris du service depuis un certain temps.  Pourquoi?  C’est comme le pourriel : ça fonctionne.  Il y aura toujours des personnes insouciantes pour livrer leur données personnelles sur demande.  À leur décharge, on doit dire que ces courriels présentent toutes les caractéristiques d’un message légitime.

D’abord, l’adresse de retour «visible» affiche le nom de domaine desjardins.com.  L’URL sur lequel on vous demande de cliquer est affiché comme celui du service AccèsD.  On a même inséré dans le corps du message le logo officiel de Desjardins.

Sauf que si on lit bien toutes les en-têtes du message, on constate que le courriel n’a pas été expédié depuis les systèmes de Desjardins.  Puis, si on place le curseur sur l’URL indiqué, on voit qu’il ne pointe pas vraiment vers le site AccèsD, mais sur un autre site.  Il s’agit là de techniques de camouflage très élémentaires, très «low-tech».

Mais allons voir un peu plus loin. 

L’envoi d’un premier message a été effectué depuis le nom de domaine tonglong.net enregistré au nom de Benny Wu de la ville de Shenzhen, province de Guangdong, Chine.  L’URL pointe vers le nom de domaine anakan.net (qui ce matin de répondait plus), enregistré par un citoyen français.

Un deuxième message a lui aussi été expédié depuis tonglong.net, mais cette fois l’URL pointe vers une page du nom de domaine furatena.org, enregistré au nom de Fernando Rueda de Blanquefort (France).  Furatena semble être une OSBL ayant pour intérêt l’Amérique latine.

Troisième courriel qui lui provient du nom de domaine 128secure.com, une entreprise de Rigby (Indiana), et l’URL suggéré est une page du domaine ath.cx (Îles Christmas, au centre de l'océan Pacifique, à quelque 2 500 km au sud d'Hawaï) mais enregistrée au nom de la société Dynamic Network Services de Manchester (New Hampshire).

Desjardins incite ses clients à la prudence , on le comprend.  Mais on comprendra aussi que l’étalement dans Internet des responsables de cette tentative de fraude compliquera grandement l’enquête, et surtout les contre-mesures à prendre, en raison de la nature transfrontalière du réseau.
|

Raymond Devos, 1922-2006

Raymond DevosLourde perte que le décès de Raymond Devos. Presse canadienne : «Ses nombreux sketches et son style particulier ont fait de lui au fil des décennies un pionnier et un pilier de l'humour dans la francophonie.  Il a joui d'une grande popularité au Québec, tissant plusieurs liens d'amitié, notamment avec le fantaisiste et auteur-compositeur et interprète Jean Lapointe.  En près de 50 ans de carrière, Devos a établi une communication particulière avec son public, faite d'éclats de vie et de phrases en suspens.»

Parmi ces monologues, un de mes favoris, «Caen».

«J'avais dit, "pendant les vacances, je ne fais rien!... rien!... je ne veux rien faire".
Je ne savais pas où aller. Comme j'avais entendu dire : " A quand les vacances?... A quand les vacances?..." Je me dis : "Bon!... Je vais aller à Caen... Et puis Caen!... ça tombait bien, je n'avais rien à y faire."
Je boucle la valise... je vais pour prendre le car... je demande à l'employé :
- Pour Caen, quelle heure?
- Pour où?
- Pour Caen!
- Comment voulez-vous que je vous dise quand, si je ne sais pas où?
- Comment? Vous ne savez pas où est Caen?
- Si vous ne me le dites pas!
- Mais je vous ai dit Caen!
- Oui!... mais vous ne m'avez pas dit où!...

La suite...

Et aussi, quelques bons mots de Devos. (Le Monde)

Merci Monsieur Devos.
|

14.6.06

Limites des blogues, et questions d’écriture

J’avais négligé depuis un certain temps de consulter l’excellent site Redaction qui traite de l’écriture spécifique au Web, et dommage pour moi car j’avais raté le texte de Jean-Marc Hardy intitulé Les blogs : effet de mode stérile ou succès justifié? (voir aussi le blogue de Hardy 60 Questions). 

Une des sections du texte porte sur les limites et dérives des blogues, extrait : «Les blogs vont-ils être aux sites "classiques" ce que la voiture a été à la charette?, comme certains le sous-entendent.  Absolument pas, car les blogs présentent les défauts de leurs qualités.  Leur simplicité est un atout; elle est aussi, par définition, une limite.  Leur caractère informel offre une souplesse; il crée aussi du désordre.  Leur liberté de ton est une richesse; elle est aussi, dans certains cas, une enfreinte au respect et à la loi.  L'auto-publication est un progrès; mais la valeur ajoutée éditoriale, plus que jamais, se noie dans cet océan immense de nouvelles technologies de communication.»

Aussi sur Rédaction, un autre texte de Jean-Marc Hardy, Écrire pour les blogs qui se résume ainsi : «L'écriture propre aux blogs ne se laisse pas facilement enfermer par des principes rigides.  Hormis quelques règles dictées par le format des blogs et la manière dont ils sont consultés, écrire pour un blog reste avant tout une question d'inspiration et de tempérament.  Le succès d'un blog repose avant tout sur la personnalité du blogueur, sur son expertise, sur l'originalité de son point de vue et sur sa capacité à faire vibrer ses semblables.»

Dans cette même veine, j’avais été invité il y a cinq ans à m’adresser à des groupes d’étudiants sur le thème Écrire pour le Web et j’avais recensé quelques extraits de mes Chroniques de Cybérie qui traitaient du sujet.  À la relecture de ces extraits, il semble que tous les principes exposés dans ces textes, articles et essais sur l’écriture Web pré-blogues s’appliquent totalement aux blogues.

C’est important de se rappeler que hors le référencement dans les moteurs de recherche, la disponibilité d’un fil RSS, une interface conviviale et autres considérations techniques, l’écriture est l’élément fondamental d’un blogue réussi.
|

13.6.06

Des nouvelles de vous

Si vous lisez ces lignes, il y a 54,23 % des chances que vous utilisiez Internet Explorer de Microsoft, 32,81 % que vous ayez opté pour Firefox, et 8,15 % que vous préfériez Safari.  Sous Windows, ce sera probablement une mouture de XP (84,77 %); quant à la résolution d’écran, il y a de fortes chances que ce soit 1024X768 (49,64 %), mais ce pourrait être 1280X1024 (15,85 %) ou le «bon vieux» 800X600 (12,78 %).  Ce sera grâce à une connexion câble ou DSL dans 71,91 % des cas, ou par ligne commutée (14,78 %.  Google vous aura amené ici dans 35,66 % des cas, mais 26,09 % d’entre vous avez déjà l’adresse du blogue dans vos signets ou êtes abonnés à un fil RSS.

Il y a 44,48 % des chances que vous soyez au Canada, 35,31 % en France.  Si vous êtes du Canada, vous consulterez en moyenne 1,98 page de ce blogue au cours de la présente consultation, et 1,83 si vous êtes de France, comparativement à 2,44 pages si vous êtes du Maroc, 2,42 si vous êtes de Suisse, 3 si vous êtes de Croatie, et 4 si vous êtes Réunionnais.

Depuis une semaine, le billet L’Iran et le coup d’État de 1953 et celui sur Internet à deux vitesses ont beaucoup attiré l’attention, mais le billet Nick Berg ne serait pas mort décapité (24 mai 2004) a été lu 257 fois, sans doute à cause de la mort du Jordanien Abou Moussah Al Zarkaoui.

Toujours intéressant de savoir à qui on s'adresse. 

Ces données sont extraites de l’outil de mesure de fréquentation Google Analytics, un des nombreux services de Google.
|

Méchant contraste

En marge de l’arrestation d’une présumée cellule terroriste il y a dix jours dans le sud de l’Ontario, quelques extraits tirés de la presse.

«Au dire du chef de gouvernement, les institutions canadiennes, l'économie canadienne et la population canadienne étaient visées.  “Nous sommes ciblés en raison de qui nous sommes, de notre façon de vivre, en raison de nos valeurs de démocratie et de primauté du droit, des valeurs que les Canadiens chérissent”.» (Presse canadienne, 3 juin 2006)

Par ailleurs, «L’avocat [Ndb. Rocco Galati] qui représente une des 17 personnes accusées de terrorisme a vivement dénoncé les “conditions oppressives et d’isolement” des personnes détenues :

- enfermées dans des pièces éclairées 24 heures par jour;
- interdites de quitter cette pièce pendant cinq jours;
- accordées cinq minutes pour prendre leurs repas, sinon ils leurs sont retirés;
- interdites de parler à quiconque, y compris aux gardiens;
- forcées de regarder au sol en tout temps.

[...]

Galati s’est également plaint d’avoir observé des “éléments du processus inédits dans le cadre d’un procès criminel”, dont :

- un avis et une séance d’information sur l’enquête à l’intention de politiciens et de certains membres de la presse avant même les arrestations;
- des détails sur les allégations rendus publics en conférence de presse avant la comparution des accusés alors que les avocats et le tribunal attendaient;
- la publication des adresses des accusés, fait inédit dans une procédure criminelle;
- le déploiement de force militaire pour la première comparution des accusés le 3 juin.
(Toronto Star, 12 juin 2006.)

Nos valeurs et la primauté du droit?
|

12.6.06

La blogosphère de TV5

BlogosphèreLa chaîne internationale de langue française TV5 propose maintenant sur son site Web une sélection des meilleurs blogues francophones.  Dix-huit catégories dans lesquelles ont fait de belles découvertes, en plus d’un glossaire sur les blogues, d’agrégateur à Wiki.  Les sites sont sélectionnés en fonction de certains critères (blogue francophone, mis à jour régulièrement, sujets originaux, qualité de l’écriture), mais vous pouvez proposer votre blogue, s’il répond à ces critères, à l’aide du formulaire en ligne.

Attention, l’inscription n’est pas automatique.  Comme on peut lire dans la FAQ, «Nous ne pouvons pas proposer un annuaire exhaustif de la blogosphère francophone : ce n’est pas notre but.  D’autres sites le proposent.  Nous souhaitons proposer une sélection représentative et qualitative de la blogosphère francophone, en tenant compte de l’originalité, du style d’écriture, du sujet traité, du ton adopté...  Cela ne signifie en rien que votre blog n’est pas réussi!  Pensez à faire référencer votre blog dans d'autres annuaires, correspondant davantage à la cible de votre blog.»

Une ressource de plus dans la blogosphère francophone.
|

10.6.06

Internet à deux vitesses

J’ai déjà commenté la chose dans le JdM du 1er juin à l’invitation du confrère Codère, mais depuis hier la menace d’un Internet à deux vitesses se précise.

Un bon résumé chez Futura Sciences : «Après une journée de débats et malgré le lobbying de Google, Amazon, eBay ou de personnalités comme Vinton Cerf, la chambre des représentants du Parlement américain vient de rejeter, à 269 voix contre 152, un amendement démocrate de la loi COPE (Communications Opportunity, Promotion, and Enhancement) visant à défendre le concept de "neutralité du net".»

En vertu de cette loi, il serait permis aux opérateurs des dorsales de transmission de données de mettre en place une infrastructure double, soit des voies rapides payantes pour certains contenus, puis des voies «ordinaires» pour le reste. Il reste une seule possibilité d’éviter cette fracture des services, soit que le Sénat qui doit se pencher sur ce projet de loi rejette la séparation des services, ce qui n’est pas acquis.

Ces dispositions législatives pour permettre un service à deux vitesses ont été suggérées par de grands opérateurs comme AT&T, Bell South et Verizon Communications qui souhaitent offrir des services à très large bande à des entreprises prête à verser une «prime vitesse», ce qui disent-ils leur permettrait un meilleur rendement sur le capital investi et pourrait en bout de ligne signifier des baisses de tarifs pour les usagers ordinaires, mais ces arguments contredisent un des principes fondateurs du réseau, l’universalité du service.

Il importe de connaître le fonctionnement de la transmissions de données dans Internet pour comprendre les enjeux. Les contenus transmis dans Internet sont découpés en paquets qui sont acheminés individuellement, peuvent emprunter des routes différentes, et sont ensuite réassemblés à leur point de destination. On peut se brancher à Internet par ligne commutée, pas ligne numérique à paire asymétrique (LNPS ou en anglais digital subscriber ligne, DSL), par câble, par satellite, à des débits de connexion différents et à des tarifs différents. Mais pour ce qui est des contenus qui circulent dans Internet, il n’y a aucune discrimination. Et c’est justement cette universalité du service qui est menacée car les opérateurs de grandes dorsales peuvent identifier différentes catégories de paquets véhiculés sur leurs réseaux, et attribuer une certaine priorité à certains paquets au détriment d’autres paquets. (Voir Nuts and Bolts of Network Discrimination, partie 1 et partie 2 de Ed Felten).

Le 2 mai dernier, l’inventeur du Web Tim Berners-Lee écrivait : «Il est de la plus grande importance que si je me branche à Internet, et que si vous vous branchez à Internet, nous puissions utiliser n’importe quelle application sans égard à qui nous sommes et indifféremment à l’utilisation que nous en faisons.[...] Nous pouvons payer pour diverses qualité de service. Nous pouvons payer pour un service qui se prête à l’audio ou à la vidéo, mais nous payons pour nous brancher à Internet. Personne ne peut payer pour avoir un accès exclusif à moi.» (Voir Neutrality of the Net).

Évidemment, des groupes d’utilisateurs se sont formés pour dénoncer la tentative des opérateurs de dorsales de fractionner Internet et exercer des pressions sur les élus, notamment Save the Internet et It’s Our Net. Pour sa part, la fondatrice du populaire site de vente en ligne eBay, Meg Whitman, invite les millions d’inscrits à ce site à écrire aux députés et sénateurs étasuniens pour se faire entendre.

Une autre histoire à suivre.
|

L’Iran et le coup d’État de 1953

On entend beaucoup parler de l’Iran, mais admettons que c’est un pays que l’on connaît peu et, par voie de conséquence, que l’on comprend mal.  Bruits de sabres autour de l’enrichissement d’uranium, pourparlers au Conseil de sécurité des Nations Unies, déclarations fracassantes du premier ministre élu Ahmadinejad, et comme on l’a vu récemment, campagne de désinformation et de manipulation de l’opinion publique occidentale.  Et à travers ce tohu-bohu, on trouve relativement peu d’analyses historiques qui peuvent nous éclairer sur les causes de la forme de radicalisme prônée par les autorités iraniennes.

All the Shas MenStephen Kinzer est un ex-correspondant étranger du New York Times et auteur de Crescent and Star: Turkey Between Two Worlds (Le croissant et l’étoile : la Turquie entre deux mondes) et Bitter Fruit: The Story of the American Coup in Guatemala (Fruit amer : le récit du coup d’État étasunien au Guatemala). En 2003, il signait un ouvrage important sur l’Iran, All the Shah’s Men: An American Coup and the Roots of Middle East Terror (Les hommes du Shah : Un coup d’État étasunien et l’origine du terrorisme au Proche-Orient).

Stephen KinzerEn août 1953, un coup d’État fomenté par les États-Unis renverse le premier ministre Mohammad Mossadegh qui avait été élu deux ans plus tôt sous la bannière du Front national, un regroupement de partis progressistes.  Or, soutient Kinzer (et de nombreux autres intellectuels et universitaires cités dans son livre), ce coup d’État est l’événement qui a déclenché la montée du fondamentalisme islamique au Proche-Orient et dans le monde avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.  Et le motif principal de ce coup d’État? Le pétrole.

Depuis le début du vingtième siècle une société britannique, la Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) possédait le monopole de l’exploitation et de la vente du pétrole iranien.  Les redevances versées à l’État iranien sont minimes, mais les deux monarques de la dynastie Pahlavi semblent s’en accommoder.  C’est en grande partie grâce à ces ressources pétrolières bon marché que l’Angleterre peut garder son rang de puissance mondiale pendant que la grande majorité des Iraniens vivent dans la pauvreté. 

Mohammad MossadeghLe ressentiment anti-britannique couvait dans la population, mais ce n’est qu’en 1951 qu’il se canalise et se traduit par l’élection de Mohammad Mossadegh qui promet d’expulser l’AIOC, de reprendre le contrôle des vastes ressources pétrolières du pays et de libérer l’Iran de la sujétion étrangère.  Une fois élu, il tient promesse et nationalise l’AIOC (qui était alors la plus importante société du monde), et l’État iranien s’approprie également la raffinerie géante de Abadan sur le Golfe persique.

Si ces mesures ont pour effet de faire de Mossadegh un véritable héros national (il est même nommé personnalité de l’année en 1951 par le magazine Time), on comprend l’irritation des britanniques qui l’accusent de vol.  La Grande-Bretagne s’adresse d’abord à la Cour mondiale et aux Nations Unies pour qu’ils punissent Mossadegh, envoie des navires de guerre dans le Golfe persique, et impose un embargo économique qui dévaste l’économie iranienne.  Malgré les contraintes économiques qui découlent de l’embargo, Mossadegh continue de jouir de la faveur populaire.

Voyant que rien n’y fait, les Britanniques envisagent une opération militaire pour reprendre les champs pétroliers et la raffinerie, mais abandonnent l’idée lorsque le président des États-Unis Harry Truman refuse de les appuyer.  Winston Churchill, alors premier ministre anglais, opte pour le coup d’État.

Des agents secrets britanniques se mettent à l’oeuvre pour provoquer le renversement de Mossadegh, mais tant par maladresse que par précipitation échouent lorsque en novembre 1952 Mossadegh a vent du complot, ordonne la fermeture de l’ambassade anglaise et l’expulsion de tous les diplomates, y compris les agents clandestins bénéficiant de la protection diplomatique.

Les Britanniques se tournent immédiatement vers Truman à qui ils proposent ni plus ni moins d’exécuter en «sous-traitance» le renversement de Mossadegh.  Truman refuse de nouveau, exprimant sa sympathie envers les mouvements nationalistes, expliquant que la CIA n’avait encore jamais renversé un gouvernement et qu’il ne souhaitait pas créer de précédent.

Mais, en novembre 1952, les choses changent à Washington avec l’élection de l’ex-général Dwight D.  Eisenhower.  Quelques jours seulement après son élection, les britanniques dépêchent à Washington un émissaire du nom de Christopher Montague Woodhouse qui est à l’emploi du Secret Intelligence Service.  Il y rencontre de hauts placés de la CIA et du State Department, mais s’écarte des arguments évoqués jusque là par les Britanniques.  Il ne demande pas d’appui pour renverser Mossadegh et reprendre les avoirs pétroliers, mais fait valoir la menace communiste qui plane sur l’Iran.

Les réserves pétrolières de l’Iran sont énormes, le pays a une longue frontière avec l’Union soviétique, un parti communiste actif (le Tudeh) et un premier ministre nationaliste.  Il obtient une oreille attentive des frères Dulles, John Foster (nouveau secrétaire d’État) et Allen (nouveau directeur de la CIA).  Rappelons que c’est l’époque de la Guerre froide et que l’administration Eisenhower voit le monde comme un champ de bataille idéologique et chaque conflit mineur par le prisme de la grande confrontation est-ouest.

Kermit RooseveltPeu après l’assermentation de Eisenhower le 20 janvier 1952, les frères Dulles informent leurs homologues britanniques qu’ils sont prêts à aller de l’avant avec le renversement de Mossadegh.  Le coup d’État portera le nom de code AJAX, ou dans le jargon de la CIA, TPAJAX.  Et pour mener à bien l’opération, la CIA désigne un agent qui possède une vaste expérience du Proche-Orient, Kermit Roosevelt, petit-fils de l’ex-président Theodore Roosevelt.

On croirait le récit que fait Kinzer des manipulations auxquelles s’adonnera Roosevelt pendant des mois jusqu’au coup d’État (15 au 19 août 1953) tiré d’un roman de John le Carré.  Tout y est : corruption d’officiers de l’armée, diffusion de fausses nouvelles dans les journaux, emprise sur la radio nationale, agents provocateurs dans des manifestations, fuite puis retour du monarque Mohammad Reza Shah aux commandes de son avion personnel, bref, un véritable scénario de film.

Mohammad Reza ShahMossadegh fut renversé avec la complicité de Mohammad Reza Shah qui signa le décret sa destitution et de son remplacement par un premier ministre pantin, Fazlollah Zahedi.  L’AIOC tenta par la suite de reprendre sa position de dominance sur l’industrie pétrolière, mais dû faire des compromis et partager la manne avec des sociétés non-britanniques qui néanmoins conservèrent le nom qu’avait donné à l’entité nationalisée, la National Iran Oil Company.  Ce n’est qu’«après coup» que la population iranienne comprendra que les puissances étrangères ont manipulé leur destin constitutionnel.

Les années qui suivent voient l’Iran prospérer sur le plan économique, mais un Shah qui s’appuie sur des méthodes brutales avec sa police secrète (la Savak) pour éliminer ses opposants.  Puis, en 1979, la révolution islamique éclate et le monarque doit s’exiler.  Il mourra d’un cancer en Égypte en juillet 1980. 

Le 17 mars 2000, le président Bill Clinton qui tentait alors un rapprochement avec le régime iranien approuva un discours d’excuses que livra sa secrétaire d’État Madeleine Albright devant les membres du American-Iranian Council.  «En 1953, les États-Unis ont joué un rôle capital pour orchestrer le renversement du populaire premier ministre iranien Mohammad Mossadegh.[...]  L’administration Eisenhower croyait que ses actions étaient justifiées pour des motifs stratégiques.  Mais le coup a signifié un recul pour le développement politique de l’Iran.  Et on voit bien maintenant pourquoi bon nombre d’Iraniens continuent d’être indignés par cette intervention des États-Unis dans leurs affaires intérieures.»

Otages TéhéranPour Kinzer, «Les religieux fondamentalistes qui ont consolidé leur pouvoir en Iran au début des années quatre-vingt n’on pas seulement imposé un fascisme religieux dans le pays, mais ont également fait de leur pays un centre de propagation de la terreur à l’étranger.» Selon lui, leur appui aux étudiants qui ont pris d’assaut l’ambassade des États-Unis le 4 novembre 1979 et qui ont gardé le personnel en otage durant 444 jours n’a marqué que le début de leur campagne anti-occidentale.  Par la suite, ils ont financé et armé le Hamas, le Hezbollah et d’autres factions au Proche-Orient.

Leur dévotion à un islamisme radical et leur acceptation de la violence extrême en ont fait des héros pour des millions de fanatiques dans bien des pays.  Parmi ceux qu’ils ont inspiré figurent les Afghans qui ont fondé le mouvement Taliban qui, une fois au pouvoir, ont permis à Oussama Ben Laden de se doter d’une base pour lancer ses attaques terroristes.

«Ce n’est nullement tiré par les cheveux que d’établir un lien entre l’Opération AJAX, le régime oppressif du Shah, la révolution islamique et les tours enflammées du World Trade Center» écrit Kinzer.

Selon lui, le monde a payé un lourd tribut pour l’absence de démocratie à travers le Proche-Orient.  «L’Opération AJAX a montré aux tyrans et aux aspirants tyrans que les grandes puissances mondiales sont prêtes à tolérer l’oppression sans limites, tant et aussi longtemps que les régimes oppressifs se montrent favorables aux pays occidentaux et aux compagnies pétrolières occidentales.»

Son opinion est d’ailleurs partagée par d’autres spécialistes du Proche-Orient.

Mary Ann Heiss, professeure associée à l’université d’État de Kent et auteure de Empire and Nationhood: The United States, Great Britain, and Iranian Oil, 1950-1954 : «En contrecarrant le nationalisme iranien, le conflit pétrolier des années cinquante a semé le germe de la révolution islamique qui devait éclore vingt-cinq ans plus tard et installer à Téhéran des régimes bien plus anti-occidentaux que celui de Mossadegh.  Et les répercussions continuent de se faire sentir dans le Golfe persique et ailleurs.»

William Roger Louis, professeur en études du Proche-Orient à l’université du Texas à Austin, et auteur de The Special Relationship: Anglo-American Relations : «Les nations, comme les individus, ne peuvent être manipulées sans qu’il y ait un sentiment chez la victime qu’il faudra bien un jour régler des comptes.[...] À court terme, l’intervention de 1953 semblait avoir été efficace.  À long terme, le vieux principe selon lequel il ne faut pas intervenir semble être dicté par la sagesse politique.»
|

5.6.06

Blogueurs et journalistes citoyens : une première au Québec?

Le 1er juin, Mario Asselin écrivait sur son blogue un texte intitulé Jonglerie de journaliste citoyen : «Sur le site Web du Parti québécois, il est écrit que les “observatrices et les observateurs peuvent assister au conseil national”.  Suite aux billets que j’ai écrits en fin de semaine dernière, j’avoue que l’idée me titille d’aller jouer au journaliste-citoyen en fin de semaine prochaine à St-Hyacinthe.  Mais j’aimerais bien pouvoir bénéficier d’un certain statut qui me permettrait de pouvoir utiliser les facilités de la salle de presse pour pouvoir publier mes billets en direct.»

Très bonne nouvelle pour Mario et les autres journalistes-citoyens qui nous annonce cet après-midi : «Ce matin, j’avais un message sur ma boîte vocale de Joël Simard.  Appel cordial de quelqu’un prêt à faciliter les choses pour le congrès d’en fin de semaine qui porte sur l’éducation (dois-je le rappeler?).  Je viens de quitter le téléphone puisqu’on a pu finir par se parler et, ma foi, tout indique qu’après m’être dûment enregistré, je pourrai jouir des mêmes privilèges que ceux d’un journaliste (accès aux gens sur place, à la salle de presse et partage d’un lien Internet pour poster mes billets).  Voilà une bonne nouvelle! Il est même question d’un lien sans fil (c’était envisagé, au moment de notre conversation…).[...]  Je nous souhaite de la bonne conversation Web en fin de semaine!»

On sait qu’aux États-Unis, la Maison Blanche a compris l’importance des blogues dans le discours politique (Voir États-Unis : Blogues et politique, 14 octobre 2005).  On sait aussi que les dirigeants du Parti démocrate, qui auraient avantage à trouver le plus grand nombre d’alliés possibles, «considèrent les blogueurs politiques comme des amateurs mal informés des véritables enjeux et des rouages politiques.»

En matière de blogues, le Québec est malheureusement à la remorque de ce qui se fait ailleurs.  Toutefois, cette décision du PQ d’accorder à un blogueur les mêmes privilèges que ceux d’un journaliste marque peut-être un tournant bien attendu.  À suivre.
|

Pour amateurs de photojournalisme

Irak : Sean Smith

Merci à Hippopocampe (merci pour la rectification, voir commentaire) pour m’avoir mis sur la piste du site The Press Photographer’s Year.  Il s’agit d’un concours (commandité par le fabricant Canon) à l’intention des photographes de presse britanniques, ou qui travaillent pour un média britannique, ou encore dont les photos présentées ont été prises en Grande-Bretagne.  Cette année, le jury a reçu plus de 6 000 photos, a attribué 12 prix (11 catégories, plus le prix de la photo de l’année), et a fait une sélection de 157 photos pour une présentation multimédia (sur le site) et pour un livre à paraître.  À voir.

La photo des détenus irakiens ci-dessus a été sélectionnée comme photo de l’année, elle est de Sean Smith du Guardian (Londres).
|