31.8.05

Haïti : pour mieux comprendre

Une main...Un texte important à lire pour mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve Haïti, sous la plume de Georges Anglade dans Le Devoir de ce 31 août, Haïti : Le chaos. Un kozé anba tonèl du président du Congrès mondial haïtien, géographe ayant enseigné à l’UQÀM, et ex-ministre sous Jean-Bertrand Aristide, Georges Anglade fait un constat qui va au delà des questions politiciennes.

Cette année à Port-au-Prince, les grands voeux que s'échangeaient les gens étaient celui-ci : «Sécurité!» Autrefois, on disait santé, bonheur, argent ou autre chose. Mais maintenant, on souhaite de la sécurité! C'est que Port-au-Prince est en proie à une guerre de basse intensité qui peut à tout moment changer de nature et de niveau, surtout qu'on a l'impression que personne ne semble responsable de la gestion de cette ville de tous les risques alors que ce qui s'y passe actuellement est porteur de mutations aussi majeures que l'impossible maintien du statu quo.

L'évolution de la question haïtienne au long des 25 dernières années, soit à partir du début des années 80, revient pour l'essentiel à suivre les métamorphoses de Port-au-Prince. Sa position centrale renforcée en a fait le point d'ancrage des lignes de force qui constituent l'ossature du nouvel espace national (diasporas comprises) et le point de cristallisation de tous les problèmes qui forment la toile de fond de la scène haïtienne. Comme va la question haïtienne va Port-au-Prince [...].

Maintenant, l'espace des cités à Port-au-Prince, c'est plus de 80 % d'une population de deux millions et demi d'habitants, soit deux millions de bidonvillois sans eau, sans électricité, sans routes, sans latrines, entassés sous des toits de fortune aux murs faits de n'importe quoi.


Et je serais tenté d’ajouter, comme on le fait souvent, que tout ça se passe à une heure d’avion de Miami.
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30.8.05

Mon Blog Day 2005

Blog Day 2005Qu'est-ce que le BlogDay? Le BlogDay (Jour du Blog) a été crée en pensant que les blogueurs devraient avoir un jour qui serait consacré à faire connaître d’autres blogueurs, d'autre pays ou d'autres centres d'intérêts. Ce jour-là, les blogueurs pourraient les recommander aux visiteurs de leur blogue. L’expérience est entre autres suivie par Technorati.

Je vous propose donc avec quelques heures d'avance cinq blogues qui, sans être marginaux, se situent un peu à l’écart des sentiers battus, mais gagnent à être connus. Ils sont d’ailleurs présents dans mon mini-répertoire.

Remolino de Clément Laberge, figure sous la rubrique «Éducation», mais on y trouve depuis un certain temps des textes et des réflexions sur d’autres sujets. Ce blogue comporte aussi le grand avantage de susciter les commentaires qui font avancer les débats et les idées. Laberge aurait-il une recette?

Atrium Web, pour sa part, est inscrit dans la catégorie «Perso». C’est qu’au début, Normand Lamoureux avait plutôt opté pour cette formule avant de se consacrer presque uniquement à la technologie, non pas la sciente mais bien celle que bon nombre d’entre nous utilisons tous les jours. Bien fait, écrit dans un français impeccable, utile.

Annie Strohem nous livre quasi quotidiennement les pages de son journal entamé en 2000 (déposé à la SCDA, no. 1011900). J’aime bien le style, l’ambiance, l’atmosphère qu’elle crée autour de son quotidien. Je ne sais pourquoi, ça se lit mieux l’automne et l’hiver. Profitez du moment pour réserver vos billets de saison.

Anne-Marie, bien qu’elle partage des éléments de son quotidien, est d’un tout autre genre. C’est parfois court, parfois long, presque toujours illustré de photos d’elle. Et d’ailleurs, rendons hommage à ses photographes tous aussi polyvalents que sa plume.

La ville s'endormait de Philippe Piette donne aussi dans le perso/quotidien. L’écriture est plus rugueuse, mais tout aussi franche que celle d’Anne-Marie. On se croirait parfois avec ces tranches de vie dans un épisode de «La vie, la vie», et c’est loin d’être un reproche. Où sont les éditeurs, les producteurs?

Et voilà mes cinq blogues, espérant que vous trouverez autant de plaisir que moi à les lire.
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28.8.05

Blog Day 2005

BlogDay 2005Qu'est-ce que le BlogDay? Le BlogDay (Jour du Blog) a été crée en pensant que les bloggers devaient avoir un jour qui serait consacré à faire connaître d'autres blogueurs, d'autre pays ou d'autres centres d'interêts. Ce jour-là, les blogueurs pourraient les recommander aux visiteurs de leur blogue.

Les instructions du BlogDay :

1. Trouver 5 nouveaux blogues que vous trouvez interessants

2. Informer les 5 blogueurs ou blogueuses que vous les recommandez pour le BlogDay 2005

3. Ecrire une courte description de chaque blogue et placer un lien vers les blogues recommandés

4. Poster sur le "BlogDay Post" (le 31 août)

5. Ajouter le lien BlogDay suivant :
http://technorati.com/tag/BlogDay2005
et un lien vers le site du BlogDay :
http://www.blogday.org

À Mercredi!
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25.8.05

Haïti : nouveau sommet dans la violence contre les civils des quartiers populaires

En fin de semaine dernière se tenait dans un zone périphérique de Port-au-Prince nommée Grand’Ravine un match de soccer sous l’égide de l’agence étasunienne de développement international (USAID) et du gouvernement intérimaire. Soudainement, la foule a été entourée par un détachement de la Police nationale d’Haïti (PNH) et a reçu l’ordre de s’étendre au sol. Selon le reporter de l’agence Reuters qui cite un travailleur communautaire local, «C’est alors qu’un groupe d’hommes habillés en civil et armés de machettes qui était venu avec les policiers a commencé à identifier certaines personnes, à les accuser d’être des “bandits”, et à les frapper à coups de machettes.» L’opération selon certaines sources aurait fait une trentaine de morts. (Voir Reuters, 24 août.)

Ce nouveau cas d’exécutions sommaires encadrés par la PNH suit de quelques jours des cas similaires, cette fois dans les quartiers populaires de Bel-Air et de Solino où là aussi des hommes armés de machettes, opérant au vu et au su des agents de la PNH qui les accompagnaient, ont procédé à la décapitation d’une vingtaine de personnes. (Voir Reuters, 18 août.)

On nage en plein surréalisme quand on lit le communiqué de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) sur les «présumés» cas de lynchage à Port-au-Prince : «La MINUSTAH reconnaît que de nombreux efforts doivent encore être accomplis en vue de renforcer les capacités de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et d’améliorer le fonctionnement du système judiciaire. Conformément à son mandat, elle continuera d’appuyer les autorités de transition dans leurs efforts en vue de réformer et renforcer ces institutions.» (Voir MINUSTAH, 16 août, format PDF.) Notons que dans les deux cas de lynchage «présumés», un cameraman de Reuters était sur place et a filmé les événements.

Pour la PNH, il s’agirait de cas d’«auto-défense», rejetant ainsi le blâme sur la population civile qui s’en prendrait à des «bandits». En point de presse, «Parallèlement au communiqué de la direction générale de la PNH, la porte-parole de l'institution, Gessy Cameau Coicou, a fait savoir qu'elle ne disposait toujours pas d'éléments pour réagir sur le drame de Grand' Ravine, 5 jours après la perpétration des violences meurtrières.[...] Le porte-parole de la CIVPOL, Jean-François Vézina, s'est déclaré mercredi inquiet face à la recrudescence des pratiques de justice expéditive dans plusieurs quartiers de la capitale haïtienne. Pour sa part, le lieutenant colonel Philipe Espié, chef de l'unité de la police des Nations Unies en charge de la réforme et de la restructuration de la police haïtienne, a condamné le drame de Grand'Ravine et annoncé qu'une enquête est diligentée pour fixer les responsabilités dans cette affaire. Les résultats des enquêtes annoncées sur un ensemble de drames dont les massacres du pénitencier national et du Fort national perpétrés à Port-au-Prince vers la fin de l'année 2004 n'ont toujours pas été publiés.» (Voir Agence haïtienne de presse, 24 août.). Autre conséquence de ces violences, plusieurs habitants des zones visées ont abandonné leurs demeures de peur d'être lynchés.

On en revient donc aux vielles pratiques de recours à des «attachés» de police, utilisées par les régimes militaires successifs depuis le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986 et maintenant reprises par un gouvernement intérimaire toujours appuyé par Paris, Ottawa et Washington, pour installer un climat de terreur. (Voir mon article Towards a rebirth of the militia, juin 1988.)

Comme le souligne l’hebdomadaire Haïti Progrès de cette semaine (version imprimée), «Dans de nombreux États d’Amérique latine, les escadrons de la mort travaillent de concert avec la police, mais discrètement, et surtout la nuit. En Haïti, la collaboration entre les forces de répression officielles et officieuses s’étale au grand jour.» En complément d’information, de l’édition en ligne de Haïti Progrès du 17 août, et concernant la première vague le lynchage, Lynchage à la «rwandaise» : PNH et Minustah assurent la logistique.
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24.8.05

Hommes, femmes et blogues en Chine

PhotoLe netmag BusinessWeek Online nous présente une entrevue avec Hu Zhiguang, directeur de la plate-forme et service d’hébergement chinois de blogues Blogcn.com. Si on se doutait de certaines difficultés que les blogueurs chinois peuvent éprouver en raison du contexte politique, l’entrevue révèle certains autres aspects moins connus de l’implantation de la technologie en Chine. Par exemple qu’un hébergement de 1 Go coûte 2 yuans par mois (soit 20,3 centimes d’euro, 30 cents CAD). Autre révélation, 60 % des blogueurs chinois sont des... blogueuses.

Q. Comment se répartit votre clientèle?
R. Soixante pourcent des usagers sont des femmes.

Q. N’est-ce pas là étonnant, vu que l’utilisation d’Internet en Chine a longtemps été dominé par les hommes?
R. Les garçons et les hommes n’ont pas beaucoup le temps d’écrire. Les filles sont plus émotives, plus articulées dans l’expression de leurs sentiments. D’ailleurs les garçons sont occupés à jouer en ligne.

J’ignore si l’explication fournie par Zhiguang est valable, mais disons que sur le ratio hommes/femmes elle recoupe à quelques degrés près l’étude Perseus de décembre 2004 selon laquelle 56 % des blogues étaient écrits par des femmes, bien qu’en janvier 2005 le Pew Research Center (format PDF) constatait que 57 % des blogueurs étaient de sexe masculin.
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23.8.05

CBC : Blogues de lock-out

CBCunpluggedC’est une initiative de Tod Maffin, chroniqueur techno à la radio anglophone d’État, que ce blogue de lock-out des employés de Radio-Canada (à l’exception de ceux du Québec et de Moncton), CBCunplugged. C’est le 15 août que la direction du diffuseur public décidait de mettre en lock-out ses 5 300 employés (journalistes, réalisateurs, techniciens et employés de bureau de la société) membres de la Guilde canadienne des médias. Au coeur du litige, la volonté de la direction d’embaucher davantage de contractuels car elle estime avoir besoin de cette souplesse dans un contexte de concurrence avec les diffuseurs privés. Pour sa part, la Guilde réclame pour ses membres «le droit à des vraies carrières à la SRC/CBC, un équilibre sain entre le travail et la vie à l’extérieur du travail, un accent sur la formation et le perfectionnement des capacités, une rémunération juste pour le travail.»

Revenons à CBCunplugged. Véritable carrefour de blogues de lock-out, on y trouve en plus d’informations quotidiennes sur la situation les adresses de pas moins de 18 blogues et cinq photoblogues créés par des employés de la Guilde d’un peu partout au Canada. Lancé par Maffin, ce dernier avait enregistré le nom de domaine CBCunplugged.com. Mais comme d’autres employés travaillaient à un site de nouvelles et de podcasts sur le lock-out, et entendaient l’appeler CBCunplugged, Maffin a cédé le nom de domaine, continue de l’alimenter et maintient aussi son blogue personnel, I Love Radio.

Comme le soulignait Paul Cauchon dans Le Devoir du 16 août, «le lock-out décrété dimanche soir par l'entreprise pourrait aussi se reproduire au Québec l'année prochaine. “Notre contrat se termine en 2006, et si la Guilde canadienne des médias ne résiste pas aux actuelles demandes de Radio-Canada, ces mêmes demandes nous seront imposées l'année prochaine, avec ce que ça implique de grève possible et de lock-out”, déclare Robert Fontaine, président du Syndicat des communications qui regroupe les syndiqués du Québec.» D’où l’importance pour tout le système de radiodiffusion publique à l’échelle du Canada.

Cette tentative de transformer un diffuseur public en un organisme ayant de plus en plus recours au privé, voire à terme à le privatiser, n’est pas unique au Canada. Par exemple, en Grande Bretagne, le comité chargé d’examiner le mandat de la BBC estime qu’il faudrait privatiser, en tout ou en partie, le diffuseur public britannique. Aux États-Unis, de nombreuses voix de la droite se font entendre pour la privatisation des chaînes publique de radio (NPR) et de télévision (PBS). (Voir à cet effet l’article de Hans Zeiger, Privatize PBS and NPR, 5 janvier 2004, publié dans IntellectualConservative.Com).
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22.8.05

Note de programmation

eXtremisCe jeudi 25 août, à 20h00, rediffusion dans le cadre des Grands documentaires à l'antenne de Télé-Québec de l’émission «L’Enfance assassinée» de la série eXtremis à laquelle je participe depuis 2002. Ce premier film de la série témoigne du sort cruel des enfants soldats en Sierra Leone, de la pauvreté et des conditions de travail souvent périlleuses des enfants aux Philippines, et du destin brisé d'une jeune prostituée de Vancouver. Prix Gémeaux 2002 pour la meilleure réalisation, série documentaire. Prix Gémeaux 2002 pour le meilleur montage, série documentaire ou d'information.

Enfants soldats : Qu'est-ce qu'un enfant soldat? C'est une personne de moins de 18 ans qui s'enrôle dans une armée ou qui est contrainte à participer à une lutte armée. Le plus souvent, l'enfant soldat a entre 15 et 18 ans, mais certains n'ont que 10 ou 12 ans.

Travail des enfants : En 1995, le Bureau international du travail (BIT) estimait à quelque 250 millions le nombre d'enfants entre 5 et 14 ans dans les pays en développement qui sont obligés de travailler. Pour 120 millions d'entre eux, il s'agissait d'un travail à plein temps.

Prostitution juvénile : L'histoire confirme que la prostitution est le plus vieux métier du monde. Si, dans les faits, elle peut prendre bien des formes, certains cas dérangent plus que d'autres, comme celui de Naomi, «nom de rue» Lexus, qui a 16 ans. Quand notre équipe l'a rencontrée, elle pratiquait la prostitution à Vancouver (Colombie-Britannique) depuis plus de deux ans.

C’est pas parce que c’est dur qu’il ne faut pas en parler.
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20.8.05

World Press Photo, édition 2005

World Press PhotoEn 2004, 63 000 images présentées au jury du World Press Photo par 4 176 reporters photographes de 124 pays. Plus de 200 d’entre elles ont été primées par le jury dans 10 catégories distinctes. Le World Press Photo Foundation est devenue, au fil des ans, une plate-forme indépendante destinée à soutenir le photo-jounalisme, la liberté de la presse ainsi que la libre circulation des informations. L’exposition de l’édition 2005 pourra être vue dans 75 villes de 40 pays, et notamment du 27 août au 11 septembre à Perpignan au Couvent des Minimes, du 4 au 23 octobre à Toronto à la Allen Lambert Galleria (BCE Place) et à Montréal du 6 au 29 octobre au Parisian Laudry, une initiative du Groupe Contact Image.
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Course à la direction du PQ : une seule question

La course à la direction du Parti Québécois s’amorce. Cette semaine, un sondage plaçait le candidat André Boisclair en tête pour le premier tour avec 33,6 % des intentions de vote. Pauline Marois arrive en second avec 12,5 %, suivie de Richard Legendre avec 12 % et de Louis Bernard avec 2,4 %.

Tout à leur crédit, 38 % des membres du PQ ont refusé de se prononcer, disant attendre les débats pour faire leur choix. Parce que c’est une des choses qui frappe de cette campagne, le silence relatif de trois de ces quatre candidats (Louis Bernard faisant exception) sur leur vision des enjeux politiques et des questions précises. Attendons donc les débats qui, comme le précise le règlement d’élection (format PDF), permettra aux candidats de s’exprimer «sur les principes, les enjeux et les priorités d’actions contenus dans le projet de pays adopté lors du XVe congrès national.»

Sans oublier le huit autres candidats, il y a beaucoup de talent dans cette tête de peloton. On reconnaît l’expérience et les connaissances d’André Boisclair. Sur le simple plan de l’expérience, Pauline Marois l’emporte cependant haut la main à cause de la variété de ministères qu’elle a occupé. Richard Legendre, dont la candidature a un peu étonné au début, se manifeste comme un homme de terrain rassembleur. Louis Bernard, grand mandarin, est certainement préparé à la fonction, même si certains lui reprochent sa manie des grosses structures. Bref, beaucoup de talent.

Je ne suis pas membre du Parti pour des raisons évidentes. Mais si tel était le cas j’aurais une seule question à poser à tous les candidats : en cas d’échec de votre candidature à la direction, briguerez-vous les suffrages dans une circonscription à la prochaine élection?

C’est que si le Parti veut atteindre son objectif, il est clair qu’il aura besoin de tous ces hommes et femme de talent, et qu’il serait par exemple dommage de voir André Boisclair poursuivre dans la voie qu’il s’était tracée avant sa candidature, ou Louis Bernard retourner à ses nombreuses autres activités.
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14.8.05

Haïti : Foley se vide le coeur

À la veille de son départ d’Haïti (voir le billet Relève de la garde (diplomatique) en Haïti), l’ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince James B. Foley a qualifié de «scandale» la libération par la justice haïtienne de Louis Jodel Chamblain, ancien membre des escadrons de la mort sous le régime Cédras et un des leaders de l’insurrection qui a mené au départ du président Jean-Bertrand Aristide. Il a de plus vertement critiqué le gouvernement intérimaire pour la détention de l’ex-premier ministre sous Aristide, Yvon Neptune, arrêté en juin 2004 et détenu depuis «sans enquête, sans jugement et sans qu'aucune charge précise n'ait été retenue contre lui» a déclaré le diplomate (Voir Reuters et AHP).

Louis Jodel Chamblain est un ex-officier des Forces Armées d’Haïti, et un des leaders du groupe paramilitaire FRAPH (Front pour l’avancement et le progrès populaire haïtien) à qui on impute 3 000 disparitions et assassinat de 1991 à 1994 alors que le général Raoul Cédras avait renversé le président Aristide et installé un régime militaire. Après le retour d’Aristide en 1994, Chamblain avait été jugé et condamné par contumace pour sa participation dans l’assassinat, en 1993, de l’homme d’affaires Antoine Izméry, un proche du mouvement Lavalas, pour l’assassinat du père Jean-Marie Vincent à la même époque, et pour sa participation au «massacre de Raboteau» (Gonaïves) en 1994 qui avait fait une vingtaine de morts.

Chamblain faisait partie des insurgés qui ont renversé le président Aristide en février 2004. Il s’était constitué prisonnier en avril 2004 après avoir eu des entretiens avec les autorités du gouvernement intérimaire, dont l'ancien ministre de la justice Bernard Gousse. Lors des assises criminelles spéciales organisées en août 2004, il avait été acquitté dans le cadre du dossier de l'assassinat du père Jean-Marie Vincent. Il a été libéré cette semaine après que la cour de Cassation eut cassé le verdict du procès du massacre de Raboteau.

Pour ce qui est de Yvon Neptune, premier ministre sous Aristide, l’ambassadeur Foley a souligné qu’il avait «privilégié les intérêts du pays sur ses intérêts particuliers». Après le départ précipité d'Aristide le 29 février 2004, il était resté à la primature jusqu'à la nomination du premier ministre intérimaire et avait aidé à la composition du comité tripartite qui allait donner naissance au Conseil des sages. «C'est dommage qu'on ait choisi d'ignorer cette contribution» a-t-il dit.

Yvon Neptune a été arrêté en juin 2004 en vertu d’allégations selon lesquelles il aurait été impliqué dans un massacre, 11 février 2004, dans la localité de La Scierie (Saint-Marc). C'est une organisation réputée proche de l'ancienne opposition au gouvernement Aristide, la NCHR/Haïti, qui avait la première accusé M. Neptune d'implication dans ce dossier, ce que dément Neptune. L'organisation affirmait qu'une cinquantaine de personnes avaient été tuées. Des journalistes sur place avaient tenté de reconstituer les événements, mais en vain. Pour expliquer l'absence de corps, la NCHR/Haïti avait alors prétendu que des chiens les avaient tous dévorés.

«Il y a des gens qui ont parlé de génocide, de massacre et de tuerie, le 11 février 2004, qu'est-ce qu'il y a de réel dans tout ça?», s'est-interrogé l'ambassadeur, ajoutant que le fait que Neptune se trouvait deux jours auparavant dans cette localité, ne peut en rien justifier les allégations à son endroit et qu’«ils» agissaient par rancune à son endroit pour son association à Aristide, sans préciser qu’il s’agissait des autorités en place.

Les propos de Foley au cours de son dernier point de presse avant de quitter Haïti contrastent vivement avec ceux qu’il tenait encore avant l’annonce de son rappel, soit l'expression d'un appui sans réserve au gouvernement intérimaire.
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12.8.05

Des blogues à gauche et à droite

ShiftUne étude du New Politics Institute, cellule de réflexion sur les politiques progressistes, conclut que des 250 blogues les plus populaires consacrés à la politique aux États-Unis, 149 peuvent être associés à la droite et 101 à la gauche. Toutefois, si on ramène l’échantillon de blogues à un Top 40, la gauche l’emporte en y classant 24 blogues contre 16 pour la droite.

L’étude, Emergence of the Progressive Blogosphere: A New Force in American Politics est aussi disponible en version PDF, et je suggère cette version car elle comporte la liste complète des 250 blogues composant l’échantillon de l’étude.

Précisons que le New Politics Institute est étroitement associé au parti démocrate et au NDN, un organisme qui milite pour l’émergence de nouvelles bases progressistes et de nouveaux leaders. Le NDN maintient également un blogue depuis septembre 2003.

L’étude se penche notamment sur les différences sur le plan des stratégies et des cultures qui diffèrent dans la blogosphère de droite et de gauche. Les blogues politiques de droite, selon les auteurs de l’étude, procèdent de la même manière que les partis, soit s’en prendre aux médias et attaquer les progressistes. Ils ne tendent pas à créer des collectivités en ligne indépendantes, mais se servent du médium pour renforcer leur message de manière directrice (top-down). Ils s’alimente souvent auprès des institutions officielles et font partie de la machine média de la droite politique.

À l’opposé, les blogues politiques de gauche favorisent la création de collectivités virtuelles, créent de nouvelles activités politiques en ligne, offrent davantage de forums et d’espaces ce qui attire de nouveaux militants qui auparavant hésitaient à s’investir dans le discours politique.

Les auteurs écrivent : «La différence la plus marquante entre les deux blogosphères est la suivante : la blogosphère progressiste amène de nouveaux acteurs sur la scène politique; la blogosphère de droite contribue à consolider ce qui était déjà un espace de cohésion de pensée.»

Les premières études sérieuses à se pencher sur l’aspect politique des blogues (2003) révélaient deux tendances lourdes dans la blogosphère politique. D’une part, la consultation se faisait principalement sur certains blogues très lus. Sur un échantillon de 100 blogues, les six premiers s’accaparaient 50 % des consultations, et les autres 94 blogues se partageaient l’autre 50 %. D’autre part, les blogueurs de la droite surclassaient en terme de popularité les blogueurs progressistes.

Depuis deux ans, note-t-on, la dynamique de la blogosphère politique est inversée. Les auteurs citent une recherche menée en juillet 2005 par Chris Bowers et publiée sur le site MyDD (Conservative Blog Sprawl Is A Serious Threat To Progressive Blogosphere Dominance) selon laquelle les 98 blogues progressistes les plus consultés représentaient 15 181 649 millions de pages vues par semaine. En contrepartie, le Top 150 des blogues politiques de droite enregistrent moins de dix millions de pages vues par semaine, juste un peu plus d’un million de visiteurs uniques par jour.

Une élément reste cependant stable : la consultation des blogues politiques se concentre sur un petit nombre de sites. Les blogues du Top 10 progressistes attirent 69 % de la consultation de leur catégorie, et ceux de droite 54,6 %. Plus généralement, on estime qu’il pourrait y avoir quelques centaines de milliers de blogues sur la politique aux États-Unis, mais moins de un dixième de un pour cent de ce nombre accapare 99 % des consultations.

En annexe de l’étude on trouve tableau comparatifs des points forts respectifs des deux blogosphères politiques. Les blogues conservateurs sont plus susceptibles de comporter un volet local. Leur arrimage au message officiel fait en sorte que les médias traditionnels de craignent pas de les citer, d’interviewer leurs auteurs, ce qui joue évidemment de manière convergente sur leur consultation.

Pour leur part, les blogues progressistes investissent davantage dans des logiciels d’édition ou des solutions d’hébergement indépendantes, dans des sondages en ligne, dans des fonctions de clavardage, bref dans l’offre d’un produit supérieur sur le plan technique. Ils suscitent davantage la création de collectifs, ne craignent pas de s’afficher pro-démocrates (contrairement aux conservateurs qui sont discrets sur leurs allégeances républicaines).

L’autre annexe s’adresse aux candidats à des postes électifs locaux ou au niveau de l’État, et les politiciens québécois auraient intérêt à lire l’étude si ce n’est que pour cette annexe précieuse. Il ne s’agit pas tant pour un politicien, selon les auteurs, de créer son propre blogue, ou d’en confier l’animation à son personnel de campagne. Il est beaucoup plus rentable de chercher à se créer sa propre blogosphère à partir de blogues connus, et de consacrer du temps à ceux et celles qui animent ces blogues.

On suggère aux candidats d’embaucher un coordonnateur de la communication avec les blogueurs et de ne pas le reléguer à des taches de transmetteur de communiqués. Il doit faire partie intégrante des proches conseillers d’un candidat.

Si un candidat a un site Web, il devrait inviter les blogueurs à lui communiquer leurs adresses de courriel et de blogue, et constituer ainsi une liste précieuse de contacts à l’aide desquels il tissera sa propre blogosphère. Il pourra leur faire parvenir des communiquer de presse, les inviter à couvrir des événements de la campagne, leur accorder tous les privilèges habituellement réservés à la presse.

Évidemment, le candidat doit lire les blogueurs qu’il aura ainsi fédérés (on suggère un bon lecteur de fil RSS), il devrait inclure dans sa revue de presse interne et externe (ou sur son site) des extraits des billets publiés sur les blogues, et au besoin commenter en ligne les billets lorsqu’il y a pertinence.
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11.8.05

Après les journalistes citoyens, les documentaristes citoyens?

Le mouvement de journalisme citoyen débordera-t-il sur le film/vidéo documentaire? Une première expérience en ce sens mérite d’être soulignée, le Echo Chamber Project de Kent Bye. Il a produit un documentaire d’enquête principalement composé d’entrevues sur la manière dont les services de nouvelles télévisées se sont faits les caisses de résonance des déclarations des ténors de l’administration Bush au cours des semaines qui ont précédé le début de la campagne d’Irak, sans critiquer ou contester des affirmations que l’on sait maintenant qu’elles étaient sans fondement.

Bye a mis en ligne sur le site OurMedia.org (site d’hébergement multimédia mis sur pied par JD Lasica) une version préliminaire de son documentaire avec une licence d’utilisation Creative Commons qui permet à quiconque de télécharger la vidéo et le script, d’en refaire le montage, d’exclure ou de remplacer certains passages, d’y ajouter des éléments, bref de remanier le tout. C’est le concept qui oscille entre wiki et open source directement appliqué au documentaire. En outre, Bye tente de mettre au point des techniques et des logiciels permettant de réaliser des projets en collaboration. Il maintient également un blogue sur l’évolution du projet.

Imaginons un scénario d’adaptation. Avec pour trame de fond le documentaire de Bye sur ce que tout le monde admet maintenant avoir été une manipulation de l’opinion publique avec la complicité bienveillante des médias traditionnels, on tisserait en parallèle le récit d’autres cas semblables survenus ailleurs dans le monde, en d’autres occasions, à d’autres sujets. Une fois cette seconde version achevée, elle serait remise en circulation et d’autres pourraient à leur tour la bonifier, la compléter, ajouter des éléments, etc.

Avec le concept de Bye, on se retrouve devant une formidable machine de production de documentaires ayant des ramifications partout sur la planète, et on pourrait envisager le traitement en collaboration de thèmes comme ceux de l’eau, de la situation des femmes, du problème des réfugiés, des systèmes d’éducation... ce ne sont certainement pas les thèmes qui manquent.

Dan Gillmor dans son ouvrage We the Media écrit qu’Internet est le plus important médium depuis la presse à imprimer, que le réseau subsume tout ce qui l’a précédé de manière fondamentale et transformée. Le Net renverse tant de choses que nous tenions pour acquis des médias que l’on a peine à suivre la cadence; il est difficile de garder la perspective dans le passage d’une hiérarchie directive à un contexte beaucoup plus démocratique et, disons-le, brouillon. Mais nous devons nous efforcer de la faire, et nulle part ailleurs est-ce plus essentiel que dans la plus ancienne forme d’information, soit les nouvelles qui englobent au sens large les documentaires; «Dans Internet, nous sommes définis parce que nous connaissons et partageons. Maintenant, pour la première fois dans l’histoire, le système de rétroaction peut être mondial et presque instantané.» (Chap. 12, pp. 236-237.)
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10.8.05

Relève de la garde (diplomatique) en Haïti

On apprend de l’Agence haïtienne de presse (AHP) que l’ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince, James B. Foley, a été rappelé à Washington. «Un ancien diplomate qui a déjà travaillé en Haïti dans les années antérieures, Timothy Michael Carney le remplacera provisoirement comme chargé d'affaires. Le département d'État américain ne devrait pas faire connaître de si tôt le nom du successeur de James Foley, celui-ci n'étant pas arrivé au terme de son mandat en Haïti. Des sources proches de l'administration américaine ont assuré que la position du gouvernement américain n'a pas changé et qu'il continuera de supporter le régime intérimaire et l'organisation des élections annoncées pour la fin de l'année. Selon les mêmes milieux, Messieurs Noriega et Foley ont joué un rôle important en Haïti au cours de ces deux dernières années, notamment dans le départ précipité de Jean-Bertrand Aristide.»

Assiste-t-on à un coup de balai de la part de l’administration Bush dans les postes stratégiques de sa politique envers l’Amérique latine et Haïti? Une nouvelle passée presque inaperçue, mais ayant des incidences énormes, est en effet la démission de Roger F. Noriega, adjoint au Secrétaire d’État pour les affaires de l’hémisphère occidental. Sa démission est intervenue deux ans, jour pour jour, après sa nomination à ce poste le 29 juillet 2003. Il demeurera en poste jusqu’en septembre.

Au lendemain de sa démission, le New York Times a attribué le mécontentement de Noriega à la nomination de Caleb McCarry, attaché politique républicain au Congrès, au poste de «coordonnateur de la transition» à Cuba (quel bel aphorisme), ce qui retirait à Noriega la responsabilité principale du dossier cubain.

Michelle Karshan du Haiti Action Committee écrit (Roger Noriega, the Architect of the Rule of Terror in Haiti, Quits State Department) : «L’obsession vindicative de Noriega à l’égard des présidents Aristide et Chavez [Ndt. Hugo Chavez, président du Venezuela] l’a mené à être l’architecte, à tout le moins, du coup d’État contre le président Aristide[...] Avant le coup, Noriega avait lancé une offensive sur plusieurs front contre le gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, appuyant les opérations clandestines du International Republican Institute en Haïti, malgré les promesses du département d’État à la même époque d’interdire les activités de l’IRI en Haïti.»

Pour sa part, le journaliste d’enquête Anthony Fenton souligne les liens étroits qu’entretenaient Noriega et les politiciens canadiens en charge du dossier d’Haïti, et qui influait (comme d’habitude) sur la position canadienne en matière d’affaires extérieures (Les Latortue ont-ils kidnappé la démocratie en Haïti?). «Au pire du “fléau des enlèvements” [Ndt. début juin] , une délégation de haut rang, composée de Noriega, de l'envoyé spécial du Canada en Haïti Denis Coderre et de Daniel Parfait de France, se rendait en Haïti. Concernant la manifestation d'appui à Latortue, Coderre a dit: “Nous sommes ici ensemble, pour envoyer un message clair: Nous voulons que les élections aient lieu à temps.”» Citant le Miami Herald du 10 juin, Fenton poursuit : «Les propos de Noriega reflètent le sentiment de nombreux Haïtiens qui considèrent que les gardiens de la paix sont trop passifs face à la campagne d'enlèvements, détournements de voitures et fusillades.»

«Lors d'une session du comité parlementaire sur les Affaires étrangères le 14 juin, Pettigrew [Ndt. Pierre Pettigrew, ministre canadien des Affaires étrangères] et Coderre ont été appelés à échanger les points de vue sur les droits humains en Haïti avec les membres du comité. Coderre a dû être impressionné par le langage contre-insurrectionnel de son ami Noriega, car il en a fait l'étalage en partageant son éclair de génie à propos de l'existence d'“une stratégie urbaine pour tenter de déstabiliser la situation.”»

Et Fenton de conclure : «En attendant que le monde apprenne que c'est un réseau d'enlèvements mené par le gouvernement (voir le texte de son article), comme tout l'indique clairement, Haïti est condamnée à subir des “fléaux” continuels, apparemment inexplicables. Tôt ou tard les gangsters vont être punis, les prisonniers politiques libérés et la démocratie rétablie, mais d'ici là, il y a, pour reprendre le mot préféré de Coderre et Pettigrew, beaucoup de “propagande” à éclaircir.»

(Anthony Fenton est journaliste d'enquête et co-auteur (avec Yves Engler) du livre à paraître : Canada In Haiti: Waging War Against the Poor Majority, Fernwood/Red Press.)
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9.8.05

La mouvance blogue prend de l’ampleur

!Du moins aux États-Unis. C’est la conclusion d’une nouvelle étude menée par la société comScore Networks pour le compte des sociétés Six Apart et Gawker Media, Behaviors of the Blogosphere: Understanding the Size, Composition and Activities of Weblog Readers (format PDF). L’étude a été menée auprès d’un échantillon de deux millions de personnes qui consentent à ce que soient observées leurs habitudes de consultation du Web et d’achat en ligne. Selon cette étude, au cours du premier trimestre de 2005, 50 millions d’utilisateurs étasuniens ont consulté des blogues, soit environ 30 % de tous les utilisateurs d’Internet et 18 % de l’ensemble de la population. Il s’agit d’une hausse de 45 % comparativement au premier trimestre de 2004.

Si on les compare aux utilisateurs moyens d’Internet, les lecteurs de blogues sont plus susceptibles d’être financièrement à l’aise, plus jeunes, d’être branchés à une connexion à haut débit, et de passer plus de temps en ligne (23 heures/semaine contre 13 heures/semaine); ils consultent presque deux fois plus de pages Web (16 000 comparativement à 9 000), et font davantage d’achats en ligne.

À partir d’une liste de 400 blogues établie par les checheurs et répartis en sept catégories, les blogues qui traitent de politique sont les plus consultés (43 % de l’échantillon), suivi des blogues «mode de vie» et tendances (17 %), les blogues techno (15 %) et les blogues écrits par des femmes (8 %).

Les auteurs de l’étude estiment que la blogosphère retient presque autant l’attention (et le temps) des utilisateurs d’Internet que les sites des grands médias traditionnels. Par exemple, le service d’hébergement Blogspot.com de Blogger est plus consulté que les sites Web du New York Times, du USA Today et du Washington Post réunis.

L’étude note cependant des écarts relatifs à la consultation entre certains blogues-vedettes. Parce que l’origine des consultations est souvent un moteur de recherche, la consultation d’un blogue ne relève pas toujours de la fidélisation d’un lectorat. Par exemple, FreeRepublic a été consulté par 3,6 millions de visiteurs uniques au premier trimestre de 2005, mais ces visiteurs uniques n’ont effectué en moyenne que 1,6 consultation. En revanche, des blogues comme DailyKos et TalkingPointsMemo sont consultés par moins de personnes, mais ces dernières les consultent plus souvent. Le site de Matt Drudge, que certains s’obstinent à classer dans la catégorie blogue, est consulté par 2,3 millions de personnes pour une moyenne de 19,5 fois.
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Tim Berners-Lee, le Web et les blogues

Tim Berners-LeeTim Berners-Lee a accordé une entrevue à la BBC, et comme d’habitude le propos est fort éclairant. Rappelons que c’est lui qui à la fin des années quatre-vingt a créé le Web alors qu’il travaillait au CERN, qu’il a tenu à le rendre accessible à tous, qui a créé le World Wide Web Consortium au MIT en 1994, et qu'il continue d’oeuvrer pour l’adoption de normes communes pour le médium. «C’est un nouveau médium, un médium universel, et ce n’est pas un médium qui en soi pousse les gens à faire de bonnes ou de mauvaises choses. Il permet aux gens de faire ce qu’ils entendent bien faire, et de le faire efficacement. Il permet aux gens de vivre dans un espace informationnel qui ne connaît pas de frontières» dit-il.

Digressons un peu. Selon une dépêche, «L'actrice américaine Susan Sarandon a dénoncé lundi à Locarno “le climat actuel de peur (aux États-Unis) chez les acteurs, les scénaristes et les réalisateurs” qui se sont mobilisés contre la guerre en Irak et la politique antiterroriste de l'administration Bush. Lors d'une classe de maître donnée en public au 58e Festival international du film de Locarno, Susan Sarandon, 59 ans, connue pour la virulence de ses prises de position, s'en est aussi pris aux médias de son pays qui mènent des campagnes de dénigrement contre les artistes opposés à la guerre.[...] “Heureusement que l'on a Internet”, a conclu Susan Sarandon, pour qui la vérité sur “la guerre (en Irak) est sur Internet.”» Fin de la digression.

Si Berners-Lee n’a pu entrevoir le phénomène blogue en 1990, certains des principes inhérents du Web tel qu’il le voyait s’en rapprochaient. Il souligne à cet égard que le premier fureteur était un logiciel qui permettait tout autant de lire que d’écrire des pages Web, et de commenter les pages que d’autres avaient écrites.

Concernant les blogues, la crédibilité et la qualité de l’information qu’ils véhiculent, Berners-Lee dit qu’il ne faut pas y aller au hasard. «Lorsque vous dites que c’est bourré de mensonges, si vous ramassez au hasard des bouts de papier qui traînent dans la rue, quelle est la probabilité que vous trouverez quelque chose de valable sur ces papiers?» dit-il. Selon lui, c’est la même chose avec Internet, si on procède au hasard il ne faut pas s’attendre à trouver des contenus de qualité.

J’ajouterais ici qu’il ne faut cependant pas rejeter du revers de la main l’aspect «ludique» du Web, le plaisir d’explorer des espaces moins connus, de faire des découvertes. Cette dimension est souvent compromise par une consultation trop raisonnée, utilitaire du Web conditionnée évidemment par l’hyper efficacité des moteurs de recherche et l’exhaustivité des répertoires spécialisés. Je me souviens d’une conversation avec Chrystian Guy, un des tisserands de la Toile du Québec, qui déplorait lorsque ses activités professionnelles monopolisèrent l’essentiel de son temps ne plus avoir l’occasion de vagabonder de site en site. La belle époque.

Berners-Lee soutient qu’il faut procéder avec méthode et utiliser judicieusement l’inscription dans les favoris de sites valables. Si on trouve qu’un site est nul ou a peu à offrir, pourquoi perdre son temps à le consulter, ce qui vaut aussi pour les blogues. «Prenez les blogues par exemple, certains blogueurs sont très prudents. Lorsqu’un bon blogueur dit que quelque chose est arrivé, il mentionnera une source, il remontera à la source de l’information. Si vous lisez quelque chose et qu’aucune source ne vient appuyer les dires, vous pouvez l’ignorer.»

Le Web dans 15 ans? Berners-Lee voit un médium plus stable, plus intégré dans la société, presque transparent. «Le fait que nous utilisions un stylo et du papier pour écrire est acquis. De même, on espère que l’appropriation du Web se banalisera.»
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8.8.05

Les détournements d’Aristide?

Jean-Michel Caroit, correspondant du quotidien Le Monde à Santo Domingo signe ce 9 août un article intitulé En Haïti, deux rapports révèlent le système de corruption mis en place par l'ex-président Aristide. Caroit écrit : «Deux rapports officiels décrivent, preuves à l'appui, le système de corruption qu'avait mis en place l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, exilé en Afrique du Sud. Les détournements de fonds ont porté sur au moins 55 millions de dollars, selon ces enquêtes engagées à la demande du gouvernement provisoire de Port-au-Prince, au pouvoir depuis le renversement de M. Aristide en février 2004.»

La première enquête, de source politicienne, est celle dirigée par l’ancien sénateur Paul Denis qui préside la Commission d'enquête administrative. Cité par Caroit, ce dernier déclare : «L'État haïtien dispose d'un ensemble de preuves pour attaquer en justice les personnes impliquées dans ces fraudes graves, en particulier le commanditaire principal de ces crimes, Jean-Bertrand Aristide.» Si Paul Denis a répété ces affirmations à différents médias locaux et étrangers, il se fait toutefois avare de détails sur les preuves.

La seconde enquête nous paraît plus sérieuse, mais certains passages révélateurs sont étrangement passés sous silence par Caroit. L’information initiale au sujet de cette enquête est venue d’un article de Jacqueline Charles du Miami Herald en date du 4 août (Report: Aristide diverted millions). L’enquête a été menée par l'Unité centrale de renseignement financier (UCREF), un organisme mis sur pied par le gouvernement intérimaire après le départ précipité d’Aristide l’an dernier et dirigé par Jean-Yves Nol, vérificateur comptable d’expérience sans affiliation politique connue selon le Herald.

Si Caroit affirme que «Par le biais de la Fondation Aristide, une partie des sommes détournées servait à financer les "oeuvres sociales" de la présidence ou était distribuée aux "organisations populaires", les milices du régime qui ont sombré dans le trafic de drogue et dans la criminalité», Jacqueline Charles est autrement plus nuancée et ne parle que d’allégations, mais donne aussi un portrait très différent de la situation.

On apprend du Herald que le rapport de 69 pages de l’UCREF est confidentiel, et qu’il est daté du mois d’avril. Il a été déposé en juin devant un magistrat haïtien comme première étape dans une éventuelle poursuite contre Aristide. Le Herald dit en avoir obtenu une copie et l’avoir fait authentifier par trois personnes qui elles aussi sont en possession du document, dont Jonas Petit, un proche d’Aristide qui vit maintenant dans le sud de la Floride.

En outre, le rapport «ne dit pas qu’Aristide, en exil en Afrique du Sud, a reçu quelque argent pour son utilisation personnelle, pas plus qu’il n’explique totalement comment des entreprises privées ont utilisé les fonds publics» que l’on soupçonne d’avoir été détournés, «Mais il prétend que ces versements violaient la réglementation haïtienne en matière de dépenses publiques et la loi sur le blanchiment d’argent.»

Voici ce que le rapport de l’UCREF établit. Trois entreprises factices ont reçu 18,6 millions de dollars en fonds publics. De ces sommes, environ six millions de dollars ont été versées à des organismes : la Fondation Aristide pour la Démocratie créée en 1996 pour soutenir les mouvements populaires qui mettait sur pied en 2001 une faculté universitaire de médecine pour étudiants démunis avec l’aide de professeurs cubains; l’orphelinat Lafanmi Selavi (La famille c’est la vie) remonte à 1986 alors qu’Aristide était toujours prêtre; l’organisme Se Pa’n (C’est pour vous), un programme de distribution d’aliments lié au parti Lavalas.

La première entreprise, VJLS Computer Services and Accessories, a reçu 14,5 millions de dollars au cours des trois ans ayant fait l’objet de l’enquête. De cette somme, elle a versé 2,6 millions à Se Pa’n, à la fondation, à l’orphelinat et à l’université. Quisqueya Store, autre société factice, a reçu 2,3 millions de dollars en fonds publics et a versé 523 000 $ à Se Pa’n, l’université et la fondation. Le troisième entreprise fantôme, COCSOBFO, aurait été une coopérative paysanne de la localité de Leogane qui aurait reçu environ 1,8 million de dollars pour en redistribuer 568 000 à l’université, à la fondation et à l’orphelinat.

Le rapport de l’UCREF fait l’objet de vives critiques de la part de Jonas Petit qui l’associe à une chasse aux sorcières. L’avocat de Miami Ira Kurzban, proche conseiller d’Aristide, rejette les accusations de corruption et affirme que pas un sou dépensé par l’administration Aristide n’allait pas à aider les couches défavorisées.

Par ailleurs, le président du Barreau de Port-au-Prince, Gervais Charles, dit que bien des éléments du rapport sont véridiques, mais que le travail a été bâclé tant dans la substance que dans la présentation des faits.

Bref, on a dit avoir découvert des irrégularités, outre les versements aux oeuvres sociales on ne sait pas où est allé l’argent, on ne dit pas qu’Aristide a reçu quelque argent pour son utilisation personnelle, mais on trouve dans les page du Monde un article portant en titre la mention «deux rapports révèlent le système de corruption mis en place par l'ex-président Aristide.»

Il n’est pas question ici d’absoudre sans confession l’administration Aristide, mais comme j’écrivais précédemment «la situation est déjà suffisamment complexe et confuse et on peut fort bien se passer de ces spéculations controuvées.» S’il y a preuve, qu’on les amène et qu’on procède.
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6.8.05

Mémoire et Racines 2005

FestivalierC’est en fin de semaine dernière que se déroulait à Saint-Charles Borromée (Joliette) la onzième édition du festival de musique traditionnelle Mémoire et Racines qui proposait comme d’habitude un menu copieux de spectacles, d’activités et d’occasions de photos. En fait, l’événement n’est pas à strictement parler un festival de musique car on y retrouve d’autres disciplines comme le conte et la danse, en plus d’ateliers sur la chanson, la musique et les danses d’ici et d’ailleurs, et même un atelier de câlleurs de sets carrés. Se rajoute évidemment au programme officiel d’activités de nombreux «jam sessions» animés de gens de tous âges venus d’un peu partout dans un esprit festif unique à Mémoire et Racines. L’ambiance est exceptionnelle, la musique aussi. Une de ces sessions regroupait pas moins de 11 violons, quatre guitares, trois accordéons, sans parler des podorythmeurs et autres accompagnateurs. Fallait entendre. Ces sessions se poursuivent très tard la nuit, ou jusqu’à très tôt le matin; celle de la nuit de samedi à dimanche s’est éteinte vers 6h30 dimanche matin.

En après-midi, les spectacles se répartissent simultanément sur sept scènes acoustiques installées sur un vaste terrain en bordure de la rivière, ce qui exige parfois de faire des choix difficiles tant l’offre est abondante en qualité et en quantité. En soirée, place aux grands concerts sur la scène principale. L’intérêt de ce festival est qu’autant il offre une excellente sélection de musiciens, chanteurs et groupes d’ici, autant il fait aussi découvrir des artistes d’ailleurs.

Vent du NordDes artistes québécois présents cette année, retenons trois noms. D’abord, Le Vent du Nord (photo), un groupe formé en 2002 mais qui s’est rapidement imposé comme une des formations incontournables en «trad» au Québec. Quatre musiciens, huit instruments (dont une vielle à roue), mais surtout une solide cohésion mélodique et rythmique (en anglais, on dirait «tight»). Puis un groupe connu dans sa région, mais auquel on aimerait être exposé plus souvent, Abitibi Pure Laine, avec une performance hors du commun par le violoniste Mathieu Roy. Disons que ces deux groupes s’inscrivent dans la lignée de La Bottine Souriante (aussi présente au Festival en soirée d’ouverture) en ce qu’ils apportent une touche de modernisme, tant par le choix des instruments que par les orchestrations, à la musique traditionnelle. Et évidemment, Wagon Bar, un trio difficile à définir dont l’instrumentation inhabituelle (dont l’oud) conjuguée à une unique performance vocale se prêterait à merveille à la trame sonore d’un film.

Joseba TapiaDans un tout autre registre, le groupe basque Tapia eta Leturia a séduit le public. Joseba Tapia est un virtuose du trikitixa, un accordéon typique du pays basque, et accompagné de son groupe a permis de voir les nombreuses ressemblances, du moins sur le plan de la sonorité, entre la musique d’ici et celle de cet ailleurs si loin qu’est le pays Basque. Mais ce qui aura valu au groupe une ovation bien sentie est certainement l’interprétation de la chanson Mon pays de Gilles Vigneault, mais en langue basque. Belle occasion d’apprendre que cette langue n’appartient pas au complexe indo-européen, caractéristique linguistique unique des habitants de cette région d’Europe. Ça aussi, fallait entendre.

Tony McManusEnfin, une des belles découvertes de l’année au Festival est le guitariste écossais Tony McManus. McManus, qui poursuit une carrière internationale, n’en était pas à sa première présence au Québec. En 1997 il a enregistré au Studio du Chemin no4 (Joliette) un disque intitulé «Pourquoi Québec?», question qui trouve sa réponse au verso de l’album, «Pourquoi pas...». Classé dans le genre celtique, McManus ne vous rappellera pas du tout Alan Stivell (ouf...). Il se distingue par l’interprétation sans faille d’un vaste répertoire puisé dans les Îles britanniques, l’Europe Centrale et l’Amérique du Nord. Seulement trois albums à son actif, mais un must dans toute discothèque d’amateur de guitare acoustique.

J.-P. CormierBref, une grosse édition 2005 de Mémoire et Racines. Resterait à souhaiter pour l'an prochain le retour du multi-instrumentiste des cordes J.-P. Cormier ou de la violoniste hors pair Anne Lindsay sur la grande scène, comme en 2002; la suggestion a déjà été formulée aux organisateurs.
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4.8.05

Des élections sont-elles possibles en Haïti?

«Il faut rapidement surmonter les obstacles majeurs sur le plan technique, politique et de la sécurité sinon il faudra reporter les élections municipales et locale prévues pour octobre, et les législatives et présidentielle pour novembre.»

Cette constatation qui relève de l’évidence est formulée par la cellule de réflexion bruxelloise sur la prévention et la résolution de conflits, International Crisis Group (ICG), dans un rapport en date du 3 août 2005 intitulé Can Haiti Hold Elections in 2005?.

Les auteurs du rapport se penchent notamment sur le processus électoral : «La loi électorale n’a été adoptée que le 3 février 2005, l’inscription des électeurs a débuté en avril, mais à la fin juillet bon nombre de centres d’inscription n’étaient toujours pas ouverts. Au 28 juillet, alors que la période d’inscription doit se terminer le 9 août, environ 870 000 électeurs s’étaient inscrits, soit environ le cinquième du nombre total estimé de personnes aptes à voter, et aucun d’eux n’avait encore reçu la carte d’identité nationale requise pour voter. Aucun parti n’a encore répondu à toutes les exigences pour présenter des candidats; le CEP [Ndlr. Conseil électoral provisoire] devra prolonger la date limite pour l’inscription ou modifier les conditions permettant aux partis politiques de participer au scrutin.»

Les différents secteurs de la société civile campent sur leurs positions, tout comme le gouvernement intérimaire, sans être enclins au compromis. Selon l’ICG, «L’absence de compromis est bien illustrée par le gouvernement de transition qui utilise ses pouvoirs pour persécuter les anciens leaders et militants de Lavalas [Ndlr. parti politique de Jean-Bertrand Aristide], comme Yvon Neptune [Ndlr. premier ministre sous Aristide], la plupart du temps sans qu’il n’y ait d’accusations portées ou de procès. Il est vital de corriger ce déni de justice si on veut convaincre les modérés de Lavalas de s’éloigner des radicaux et de participer aux élections.»

Dans le dossier justice, soulignons une dépêche de l’Agence haïtienne de presse en date du 2 août : «L'ancien numéro 2 du FRAPH, Louis Jodel Chamblin, a été remis en liberté ce mardi 2 août. C'est le responsable du Comité de Défense des Droits des Haïtiens (CDPH), Ronald St-Jean, qui en a fait l'annonce mardi en fin de journée sur la radio privée Solidarité.[...] L'ancien numéro 2 du FRAPH qui avait pris une part active dans la lutte armée pour renverser le président Jean-Bertrand Aristide, s'était rendu à la justice après avoir eu des entretiens avec les plus hautes autorités du pays dont l'ancien ministre de la justice Bernard Gousse. Le FRAPH et les anciennes Forces armées d'Haïti sont accusés d'implication dans l'assassinat de plus de 3 000 partisans du président Aristide lors du coup d'état contre ce dernier de septembre 1991 à octobre 1994. Lors des assises criminelles spéciales organisées en août 2004, Louis Jodel Chamblin avait été acquité dans le cadre du dossier de l'assassinat du père Jean-Marie Vincent assassiné justement au cours de cette même période. Une décision qui avait été vivement contestée par des organismes de droits de l'homme.»

Mais revenons à la question de la tenue d’élections. On peut faire porter le blâme de la situation décrite par l’ICG à l’insécurité qui paralyse le pays, au manque de moyens des autorités pour organiser le scrutin, et à bien d’autres facteurs.

Mais s’il n’y a qu’un cinquième des personnes aptes à voter qui se sont inscrites sur les listes électorales, n’est-ce pas à cause de l’inutilité perçue de l’exercice électoral?

En décembre 1990, les Haïtiens votent massivement pour porter Jean-Bertrand Aristide à la présidence. En septembre 1991 Aristide est renversé par un coup d’État militaire. Il revient en 1994 sous la protection des forces armées étasuniennes. En 1995 c’est René Préval, un proche, qui lui succède, mais son mandat est perturbé par une opposition réticente à tout compromis. Puis en novembre 2000, Aristide est reporté au pouvoir pour un second mandat non consécutif.

En février 2004, Aristide est de nouveau contraint à quitter le pays, cette fois sous la pression de groupes rebelles armés, sans que n’interviennent Washington, Paris et Ottawa pour prêter main forte à un chef d’État démocratiquement élu, bien au contraire.

Pour l’Haïtien moyen, à quoi servent les élections si à chaque fois qu’il va voter et élit une personne qui, croit-il, pourrait améliorer son sort, des forces occultes à l’intérieur et à l’extérieur du pays viennent brouiller les cartes?
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3.8.05

Haïti : Et maintenant, les mercenaires...

Après les allégations récentes de campagne systématique d’enlèvements orchestrée par les partisans du président Jean-Bertrand Aristide (voir le billet Haïti : enlèvements et violences onusiennes), viennent maintenant les rumeurs concernant la présence en sol haïtien de mercenaires sud-africains.

Dans un article en date du 2 août (Haiti : «Il ne faut jamais sous-estimer les mercenaires sud-africains»), le journaliste Pierre Gotson écrit : «“Il ne faut jamais sous-estimer les mercenaires sud-africains”, a commenté ce 2 août, Francois L’Écuyer, un spécialiste canadien de l’Afrique du Sud, après la révélation de l’éventuelle présence sur le sol haïtien d’agents sud-africains afin d’entreprendre des activités subversives.[...] En ce qui concerne le dossier haïtien, récemment, des médias faisaient état de la présence sur l’île de mercenaires sud-africains engagés pour des opérations de déstabilisation par une firme de sécurité ayant fourni des “bodyguards” à l’ex-président Jean-Bertrand Aristide pendant sa présidence.»

L’affaire n’est pas nouvelle. Dans son édition du 4 juillet, le quotidien de Port-au-Prince Le Matin publiait un article selon lequel «une dizaine de mercenaires auraient été recrutés en Afrique du Sud (où se trouve exilé le président Aristide), “à dessein de semer le chaos en Haïti où des élections sont prévues en novembre et décembre prochains”.» (Voir la dépêche de l’AHP); «Le Journal Le Matin a publié un nom complet et 9 prénoms qui correspondraient aux mercenaires qui seraient envoyés d'Afrique du Sud. La photo d'un individu en tenue vert-olive et portant cagoule a également été publiée sans que le journal ne précise s'il s'agit de l'un des 10 mercenaires.»

L:e 5 juillet, le service BBC Monitoring reprenait les mêmes informations (South African mercenaries to spread chaos in Haiti - radio), mais citait cette fois une radio locale de Port-au-Prince, Radio Vision 2000.

Ce qui est important de savoir c’est que Réginald Boulos, entre autres président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Haïti, bénéficiaire pour ses nombreux projets de l’aide de l’USAID, est également le président du Conseil d'administration du journal Le Matin, et co-propriétaire avec André Apaid (chef du Groupe des 184 qui a mené la lutte pour le renversement de Jean-Bertrand Aristide) de Radio Vision 2000.

Si l’affaire des mercenaires refait surface en ce début août, c’est que le service d’information sud-africain News24 faisait état d’allégations de présence de mercenaires en Haïti (SA mercenaries off to Haiti?). En fait, News24 attribuait ces allégations à une radio et un journal local de Port-au-Prince, les mêmes que nous citons plus haut. L’élément nouveau qu’apporte News24 est que la South African Special Forces League, une association de soutien et de services aux anciens combattants (et ex-mercenaires), avait fait parvenir à ses membres un courriel au sujet d’Haïti. On mentionne au conditionnel la présence possible d’agents dans un petit mais très controversé pays de la Caraïbe (sans nommer Haïti). Le message officiel de l’organisme à ses membres est qu’il condamne avec véhémence toute action mercenaire, et que si certains de ses membres sont engagés dans une telle action, ils doivent abandonner l’opération quelles que soient les promesses qui leur ont été faites.

Pourquoi alors revenir, comme le fait Pierre Gotson en citant François L’Écuyer, sur ces rumeurs de mercenaires sud-africains en Haïti? Pourquoi ne pas parler des mercenaires qui ont combattu aux côtés des insurgés pour renverser Jean-Bertrand Aristide début 2004?

Bref, outre les affirmations véhiculées par des médias dont Réginald Boulos est propriétaire, si Gotson, L’Écuyer ou quiconque détient des preuves sur la présence de mercenaires sud-africains en Haïti, et des liens entre eux et les partisans de Jean-Bertrand Aristide, qu’ils les fournissent. Sinon, la situation est déjà suffisamment complexe et confuse et on peut fort bien se passer de ces spéculations controuvées.

Soulignons que c’est ce même François L’Écuyer qui a contribué a répandre l’hypothèse selon laquelle les partisans de Jean-Bertrand Aristide avaient lancé l’automne dernier l’«Opération Bagdad». Il écrivait en juin 2005 : «En septembre 2004, les Chimères, gangs fidèles au président Aristide et armés par lui, ont lancé l’opération Bagdad. L’objectif avoué est de déstabiliser le pays, chasser les forces occupantes et rendre impossible la tenue de nouvelles élections, prévues pour l’automne 2005.» (Voir Militarisation de la paix en Haïti in Alternatives.)

On accusait les promoteurs de l’Opération Bagdad d’avoir procédé à des décapitations d’agents de police. L’hypothèse ne tenait pas la route faute de faits vérifiables (voir le billet Présumées décapitations en Haïti du 17 octobre dernier) et j’écrivais à ce sujet «les autorités gouvernementales n’ont pas publié le nom des policiers décapités. Le gouvernement a systématiquement refusé les demandes de journalistes indépendants et de groupes de droits de la personne d’examiner les corps. Aucune vérification indépendante n’a donc été faite sur les allégations de décapitation. Ce qui équivaut à une campagne de désinformation bien montée (recours au mot “terroriste” et déclinaison de “Bagdad” dans le discours) qui sert les intérêts du gouvernement intérimaire et de ceux qui, à Washington, Paris et Ottawa le soutiennent.»

Et il semble en être de même des rumeurs sur les mercenaires.
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