14.10.06

Silence autour de Lewis MacKenzie

Lewis MacKenzieLe général des Forces canadiennes Lewis MacKenzie est mis en cause dans ce qui serait une sale affaire qui remonte à l’époque où il commandait le contingent de maintien de la paix de l'ONU en Bosnie (1992-1993).  Une dépêche de l’AFP reprise dans Cyberpresse nous apprend que «“Selon les témoignages de plusieurs femmes, il s'était rendu à plusieurs reprises dans un camps de détention.  Il a été non seulement témoin de viols mais il a lui même violé” des femmes incarcérées par les forces serbes bosniaques, a déclaré à l'AFP Oleg Cavka, procureur auprès d'un tribunal régional de Sarajevo.[...]  Ce camp de détention, dit “Sonja”, avait été mis en place dans les faubourgs de Sarajevo.  M. Cavka a refusé de dévoiler le nombre de femmes qui accusent le général canadien de viol.  Il a expliqué que l'ancien commandant de l'ONU ne pouvait pas être inculpé avant d'être interrogé par la justice locale.  La justice bosniaque a demandé à plusieurs reprises aux autorités canadiennes l'autorisation d'interroger le général MacKenzie mais n'a jamais eu de réponse, selon la même source.» (Voir Bosnie : un ancien général canadien mis en cause, Cyberpresse, 12 octobre 2006.)

C’est en soi une grosse nouvelle.  Depuis sa retraite en 1993, MacKenzie a publié un livre sur ses expériences de maintien de la paix, Peacekeeper: The Road to Sarajevo, il est très présent dans les médias anglophones canadiens, signe des articles dans le Globe & Mail, et est souvent invité à titre d’analyste et d’expert par les chaînes de télévision.  À titre de conférencier, il est représenté par la prestigieuse agence Lavin.  Il est également membre associé de l’Institut canadien d’Études stratégiques, une influente cellule de réflexion.

Des allégations d’inconduite à l’égard du général ont déjà circulé.  Dans un article de juin 1993, le journaliste Dennis Bernstein du Pacific News Service rapportait que MacKenzie aurait fait l’objet d’une mise en accusation par un procureur militaire, Mustafa Bisic.  Il aurait été accusé d’avoir agressé sexuellement quatre jeunes femmes bosniaques internées dans un camp près de Sarajevo.  En décembre 1992, Bisic aurait écrit au président bosniaque citant des témoins qui disaient avoir vu MacKenzie arriver au camp accompagné d’autres militaires dans un véhicule de l’ONU.  MacKenzie aurait demandé qu’on lui remette les quatre femmes.  Ces dernières auraient par la suite été assassinées pour «effacer les preuves» selon Bernstein.  (Voir Answers needed to charges of UN misconduct in Bosnia, reproduit du Pacific News Service, 4 juin 1993.)

La recherche de Bernstein pour cet article a été financée en partie par le Fund for Investigative Journalism de Washington, mais le texte a eu peu de suites.  MacKenzie a accordé des entrevues dans la presse européenne et canadienne et a dit être victime d’une campagne de diffamation menée par des Bosniaques qui lui reprochaient d’avoir favorisé les Serbes.  L’existence d’une vidéo compromettante rapportée par la représentante au congrès des États-Unis, Louise M.  Slaughter (démocrate, New York) ainsi que d’autres déclarations de témoins ont rapidement été éclipsées.

Sauf qu’avec les nouvelles allégations rapportées par l’AFP, l’affaire semble renaître.  Il s’agit tout de même d’accusations officielles portées par un procureur auprès d'un tribunal régional de Sarajevo concernant une figure quasi mythique de l’histoire militaire canadienne.

Ce qui étonne dans cette histoire, c’est le silence qu'on contate dans nos médias.  Outre la dépêche de l’AFP reprise dans Cyberpresse, il n’y a qu’un journal grec, Kathimerini, qui en fasse mention en reprenant les infos de l’AFP.
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L’info télé aux États-Unis

Andrew Tyndall dirige le cabinet de recherche ADT qui publie hebdomadairement depuis 1987 le Tyndall Report.  C’est un relevé du contenu des bulletins d’information de début de soirée des trois grandes chaines de télévision hertzienne aux États-Unis (ABC, CBS, NBC), du lundi au vendredi.  Si on exclut les publicités et les autopromotions, les bulletins de «30 minutes» offrent en fait à l’auditoire, en moyenne, 19 minutes de contenu d’information, soit environ 285 minutes par semaine pour les trois chaînes réunies.

Il est révélateur de voir quelles informations, selon les chefs de rédaction des grandes chaînes de télévision, méritent d’être diffusées. 

Pour la semaine du 2 au 6 octobre, c’est le scandale entourant les frasques sexuelles du représentant républicain de Floride qui a dominé avec 59 minutes de temps d’antenne.  Arrive au deuxième rang le massacre dans une école Amish de Pennsylvanie avec 47 minutes.  Puis, en troisième place, les commentaires du sénateur républicain John Warner sur un possible retrait forcé des militaires étasuniens d’Irak devant l’impossibilité de maîtriser la situation, avec 20 minutes de temps d’antenne.

Pour ce qui est du reste de l’actualité, voici la répartition du temps d’antenne : les efforts de prévention de la violence dans les écoles (16 minutes), les élections de mi-mandat de 2006 (11); la violence inter sectaire en Irak (10); l’atteinte d’un nouveau sommet de l’indice Dow Jones (8); les suites du conflit israélo-libanais (6); l’explosion dans une usine de traitement de déchets dangereux en Caroline du Nord (5); une entrevue avec George Bush père à la chaîne ABC (5 minutes).

Je m’étonne que la situation en Irak, qui ne cesse de s’aggraver, ne reçoive que 30 minutes en tout sur les trois chaînes, soit en moyenne deux minutes par jour pour la période visée (2 au 6 octobre), et que les grandes chaînes n’accordent aux élections de mi-mandat seulement 11 minutes en une semaine.  Étrange pays.
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9.10.06

Présence des femmes en journalisme aux É.-U.

En 1972, le journaliste Tim Crouse qui travaille alors pour le magazine Rolling Stone écrit un livre sur les journalistes qui couvrent les campagnes présidentielles de Richard Nixon et George McGovern et le phénomène de journalisme de meute (pack journalism), un des classiques des années soixante-dix sur les médias de l’époque.  Le titre : The Boys on the Bus, ces «gars» qui suivaient la plupart du temps dans des autocars nolisés les moindres déplacement des candidats.

Si Crouse a parlé des boys, c’est que les femmes étaient absentes de la couverture journalistique politique à l’époque et étaient confinées à des magazines féminins, culinaires, de décoration et autres.

Les temps ont-ils changé?

Ruth Davis Konigsberg, éditrice du magazine Glamour et du site Web WomenTK a effectué une analyse des textes publiés de septembre 2005 à septembre 2006 par cinq grands magazines dits d’«intérêt général» qui traitent de politique, d’enjeux sociaux, de littérature, etc., soit The Atlantic, Harper’s, The New York Times Magazine, The New Yorker, et Vanity Fair.

Bilan : le nombre d’articles publiés écrits par des femmes représente en moyenne le tiers de l’ensemble des articles, un ratio masculin/féminin de 3:1.

Mais il s’agit bien d’une moyenne car le ratio varie beaucoup d’une publication à l’autre.

The New York Times Magazine : 2,2:1

Vanity Fair : 2,7:1

The Atlantic : 3,6:1

The New Yorker : 4,1:1

Harper’s : 6,9:1

Konigsberg note pourtant que les femmes constituent un important lectorat pour ces magazines.  Pour The New Yorker, 1,8 million de femmes pour 1,7 million d’hommes; pour Vanity Fair, trois fois plus de femmes que d’hommes.  En outre, selon BusinessWeek, le lectorat masculin des magazines est en baisse alors que le lectorat féminin se maintient.

Elle souligne de plus qu’au delà des chiffres et des ratios d’articles signés par des femmes, il faut voir quels sujets il leur est «permis» de traiter.  Par exemple, dans The Atlantic et The New Yorker, les femmes n’écrivent que sur le mariage, la maternité et autres sujets connexes, la danse, et aussi de la poésie et des nouvelles.  Pour ce qui est des «grosses histoires», on les réserve aux «gars».

Voir le texte de Konigsberg et les résultats ventilés de son enquête.
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6.10.06

Survit-on à une catastrophe technologique?

Ceux qui n'en meurent pas...


Bhopal, Tchernobyl, Exxon Valdez… Trois noms devenus mythiques, trois des pires catastrophes technologiques que l’humanité ait connues.

Dans la nuit du 3 décembre 1984, une fuite de gaz à l’usine Union Carbide de Bhopal en Inde fait plus de 8 000 victimes.

Le 26 avril 1986, le réacteur no. 4 de la Centrale nucléaire de Tchernobyl explose, dégageant un nuage radioactif qui va s’étendre sur des milliers de kilomètres.

Le 24 mars 1989, le pétrolier Exxon Valdez s’échoue près des côtes de l’Alaska, causant un très grave désastre écologique.

«Ceux qui n’en meurent pas laissent toute espérance», un film de Robert Cornellier, revisite les lieux de ces drames et se penche sur les histoires tragiques et l’intense soif de justice des victimes encore vivantes.

Diffusé le dimanche 8 octobre 21h30 sur les ondes de TV5 Québec/Canada, en rediffusion le mercredi 11 octobre à 14h35, et vendredi 13 octobre à 9h.

Ce film a été produit dans le cadre de la série eXtremis à laquelle je travaille.
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Une frappe contre l’Iran? Le Canada y sera

La question de l’enrichissement d’uranium par l’Iran devrait bientôt se retrouver devant le Conseil de sécurité de l’ONU si on en croit les plus récentes dépêches.  Un des scénarios possibles est que devant le refus persistant de l’Iran de cesser ses activités de développement du nucléaire, avec ou sans l’aval du Conseil, les États-Unis tenteront une opération militaire contre l’Iran, avec l’aide de l’OTAN, d’Israël...  et du Canada.

Cette participation canadienne à une attaque de l’Iran est un des nombreux points qui ressortent d’une analyse approfondie de Mahdi Darius Nazemroaya du Centre de recherche sur la mondialisation sur les préparatifs militaires navals en vue d’une frappe contre l’Iran, The March to War: Naval build-up in the Persian Gulf and the Eastern Mediterranean.

Le navire canadien NCSM Ottawa, après avoir quitté son port d’attache en Colombie-Britannique pour participer à des exercices de chasse aux sous-marins à Hawaï en septembre, se joint au groupe expéditionnaire de frappe (ESG 5) des États-Unis pour des «exercices» semblables dans le Golfe persique à proximité des côtes iraniennes.  Le nom de code de cette opération : Altair, «la contribution maritime du Canada à la campagne contre le terrorisme.  La frégate de patrouille de classe Halifax doit joindre les efforts navals de la coalition à la fin de septembre et sera déployée pour six mois[...] “Ce déploiement démontre l’engagement du Canada envers la sécurité internationale et la campagne contre le terrorisme,” a indiqué le Général Rick Hillier, chef d’état-major de la Défense nationale.» selon un communiqué du ministère canadien de la Défense nationale.

La participation militaire canadienne à la «campagne contre le terrorisme» ne se limite donc pas à l’Afghanistan.  Nazemroaya établit un lien entre les exercices de traque de sous-marins à Hawaï et la présence du Ottawa dans le Golfe persique.  «Pourquoi a-t-on mené ces exercices?» écrit-il, «Combien de pays du Proche-Orient ou de la région du Golfe disposent de sous-marins?  L’Iran est le seul pays qui ne soit pas un allié des États-Unis qui possède sa propre flotte de sous-marins.»

En cas d’attaque de l’Iran, la mission du Ottawa ne sera pas de tout repos.  Nazemroaya souligne que lors d’exercices militaires plus tôt cette année, l’Iran a mis à l’essai des missiles anti-navires de fabrication russe et chinoise très perfectionnés et presque impossibles à déjouer.

C’est sous le gouvernement libéral de Paul Martin que le Canada adopté une politique dite des «trois D» : diplomatie, développement, défense.  Il ajoutait ainsi une composante militaire à l’aide étrangère et au développement.  Évidemment, le gouvernement conservateur de Stephen Harper n’est que trop heureux de cette politique qui sert à le rapprocher de Washington.

Toutefois, n’y aurait-il pas lieu de faire preuve d’un peu plus de transparence et de dire au public que nous engageons un navire militaire canadien avec 255 hommes à bord dans ce qui semble, de toute évidence, être une escalade militaire dirigée contre l’Iran?
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2.10.06

Au sujet de la torture

Anecdote ou blague, je ne sais trop, mais voici.  Joseph Staline qui a dirigé de main de fer l’URSS pendant de longues et sanglantes années était fumeur de pipe.  Un jour, il ne parvient pas à trouver sa pipe favorite.  Il demande alors à Lavrenti Beria, exécuteur de basses oeuvres s’il en fut jamais un, de retrouver sa pipe qu’il croyait avoir été volée. 

Quelques heures plus tard, Staline trouve la dite pipe dans un de ses tiroirs.  Il dit alors à Beria qu’il peut faire cesser les recherches, et ce dernier répond : «Bon, d’accord, mais qu’est-ce que je fais de la dizaine de suspects qui ont déjà avoué?»

À une certaine époque, on pouvait librement rire d’une blague comme celle-là, mais les temps ont bien changé.

Jeudi dernier, le Sénat des États-Unis votait en faveur d’une nouvelle loi antiterroriste qui avait reçu la veille l’aval de la Chambre des représentants, un loi que George W.  Bush qualifie d’«outils pour les professionnels.  On lit dans Libération : «Le texte interdit à l'avenir les “traitements cruels ou inhumains”, définis comme des “tortures” et des techniques infligeant de “sérieuses douleurs physiques ou mentales”.  Mais il autorise le Président à interpréter “le sens et l'application” des infractions aux conventions de Genève qualifiées de “moindres”, à savoir celles comprises entre la “cruauté” et les “abus mineurs”.  Bush se voit ainsi conférer le pouvoir de déterminer, dans certaines limites, le degré de mauvais traitements qui pourront être infligés aux suspects terroristes.» (Voir La torture au bon vouloir de Bush, Libération, 30 septembre 2006.)

Le professeur en études du Proche-Orient Juan Cole posait hier une question.  «Pourquoi l’administration Bush tient-elle tant à torturer des gens, au point d’exercer des pressions sur un Congrès mollasse pour qu’il viole la constitution des États-Unis en permettant explicitement certaines méthodes de torture et en abolissant le droit à l’habeas corpus pour certaines catégories de prisonniers?  C’est bien simple, les enfants, c’est parce que la torture sert à prouver l’existence de vastes et importants réseaux terroristes alors qu’il n’est existe pas, ou encore très peu, ou du moins pas suffisamment pour justifier les 800 bases militaires et le budget militaire de 500 milliards de dollars.» (Voir Craig Murray on Manufacturing Terror , Juan Cole, 1er octobre 2006.)

Cole rend compte de la présence à une conférence de la Central Eurasian Studies Society de Craig Murray, ex-ambassadeur britannique en Ouzbékistan de 2002 à 2004 et auteur du livre «Murder in Samarkand».  Murray ne nie pas qu’il y ait de petits groupes de personnes qui veulent s’en prendre à l’Occident, mais ne croit pas que ce soit cette menace qui motive les gestes de l’administration Bush en Asie centrale.

Il décrit ce qu’il appelle la «doctrine de l’étang de nénuphar» qui consiste à essaimer dans tout le Proche-Orient des bases militaires comptant sur un effectif d’entre mille et trois mille militaires.  En cas d’urgence, ces bases sont conçues pour accommoder rapidement jusqu’à 40 000 militaires.  Ainsi, comme un nénuphar, chacune de ces bases pourrait accueillir la grenouille qui décide de s’y poser.  À la base de cette doctrine est la volonté de s’assurer l’accès au pétrole, et dans ce contexte, en gonflant la menace d’Al-Qaïda, on justifie une présence militaire dans la région.

Murray relate son expérience en Ouzbékistan où dans la période qui a suivi le 11 septembre 2001 les États-Unis ont demandé et obtenu le droit d’établir des bases militaires.  En échange, les États-Unis ont soutenu le gouvernement d’Islam Karimov, un vieil apparatchik qui s’est imposé comme un dictateur.  Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont maintenu que le pays faisait de grands pas vers la démocratie, malgré que Karimov ait nié aux partis d’opposition de présenter des candidats lors d’une élection.

À titre d’ambassadeur britannique, il reçut d’abord des plaintes, photos à l’appui, de familles de personnes qui avait été torturées dans les prisons du régime Karimov.  En outre, ajoute Cole, les États-Unis maintenaient un centre de détention à leur base de Karshi-Khanabad où ils procédaient à des interrogatoires de personnes soupçonnées d’affiliation terroriste.  Puis, Murray eut accès à des listes de suspects dressées par la CIA qui affirmait qu’il s’agissait d’agents actifs d’Al-Qaïda.

Et d’où la CIA tenait-elle ces informations?  De la police secrète de Karimov qui torturait ces suspects.  Et qui étaient ces suspects? Pour la majorité, des dissidents et opposants politiques de Karimov n’ayant aucun lien avec des groupes terroristes.

Pour mieux comprendre la situation propre à l’Ouzbékistan, le professeur Cole nous trace un profil de cet État.  Bien que les Ouzbeks aient un patrimoine et des noms musulmans, il s’agit d’une société laïque où la religion est presque absente depuis une soixantaine d’années.  Al-Qaïda et les Talibans pouvaient peut-être compter sur quelques centaines de sympathisants au plus fort de leur présence dans ce pays.  De plus, lors d’un sondage réalisé en 2002 par le Pew Institute, 91 % des répondants ont dit qu’ils étaient d’accord avec la guerre au terrorisme telle que menée par l’administration Bush.

Le régime Karimov utilise donc la torture pour fabriquer de toutes pièces une menace terroriste qu’elle «vend» à une administration Bush acheteuse qui elle la revend aux électeurs en cette période d'élection de mi-mandat..

Quel monde...
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