9.6.05

L’effet blogue d’André Boisclair

L’étonnante décision de Bernard Landry de quitter la direction du Parti québécois a provoqué une onde de choc d’une ampleur qu’on n’avait pas vue depuis longtemps sur la scène politique au Québec. Reste maintenant au Parti à lui trouver un successeur, et plus généralement aux souverainistes à tenter de démêler l’écheveau complexe de la suite des choses tant à Québec qu’à Ottawa.

Un nom qui revient souvent et que l’on associe à divers scénarios est celui d’André Boisclair, entre autres ex-député de Gouin et ministre de l’Environnement, dont je soulignais le blogue en mars dernier. En séjour d’étude à Harvard, Boisclair voulait partager ses impressions, ses états d’esprit, ses lectures, son cheminement et pour ce faire avait choisi la formule blogue. Depuis le 28 mars, à l’occasion d’un voyage à Tokyo et à l’approche de ses examens, il avait délaissé son blogue, mais voici que ce lundi lundi 6 juin il reprend du service. «Je regrette d'avoir négligé mon blogue dans ma période d'examens. J'ai cependant bien réussi. Jeudi prochain je serai à Boston pour recevoir mon diplôme de maîtrise! Je suis particulièrement fier. Ces dernières semaines on été intenses, examens, travaux... Je rentre tout juste du Congrès du Parti Québécois. Jamais je n'aurais pensé vivre de telles émotions!» écrit-il.

La suite laisse perplexe. D’une part, il écrit «En attendant la suite de choses, si vous voulez contribuer concrètement à ma réfelxion [sic], achetez votre carte de membre du PQ!». Y aurait-il, pour l’instant, une équation qui m’échappe?

D’autre part, ce retour inattendu de Boisclair sur son blogue a, en trois jours, suscité 165 commentaires de lecteurs et lectrices! Corrigez-moi si je suis dans l’erreur, mais il s’agit probablement d’un record de rétroaction pour un blogue francophone au Québec, à tout le moins un chiffre très impressionnant, toutes langues et territoires confondus. Et ce qui frappe, c’est la qualité de rédaction de ces messages, l’uniformité du ton, la cohésion de l’opinion collective des correspondants.

À suivre...
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8.6.05

Zahra Kazemi censurée

Zahra KazemiL’exposition posthume de la photojournaliste Zahra Kazemi intitulée Contre l'oubli a été censurée par les autorités de l’arrondissement Côte-Saint-Luc, Hampstead, Montréal-Ouest. Pour rappel, Madame Kazemi est décédée en juillet 2003 d’une hémorragie cérébrale alors qu’elle était en détention en Iran. Elle avait été arrêtée pour avoir pris des photos de l’extérieur d’une prison à Téhéran. Les autorités iraniennes n’ont jamais fait la lumière sur les circonstances de sa mort. L’exposition, qui a fait l’objet d’une plainte par un résidant juif de l’arrondissement, devait se tenir à bibliothèque municipale de Côte-Saint-Luc. Radio-Canada rapporte que la plainte était à l'effet que l'exposition avait un ton politique et montrait cinq photos de l'Intifada en Palestine a précisé le directeur de l'arrondissement David Johnstone. On a tenté de convaincre le fils de Zahra Kazemi, Stephan Hachemi, de retirer les cinq photos de l’exposition, mais il a catégoriquement refusé. Les élus de l'arrondissement ont préféré annuler l'événement à la suite d'une réunion. Stephan Hachemi entend poursuivre la Ville de Montréal pour être dédommagé pour le temps qu'il a passé à monter l'exposition. Soulignons que cette même exposition avait été présentée par la Ville de Paris en mars et avril 2004 avec le soutien de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme.

Interrogés par Pierre Maisonneuve sur les ondes de la Première chaîne, le maire de l’arrondissement Robert Libman a dit que les photos de Palestine étaient choquantes pour la population à majorité juive de Côte-Saint-Luc; maître Julius Grey, avocat et constitutionnaliste, s’est pour sa part demandé depuis quand un gouvernement local pouvait prendre une décision relevant de politique extérieure.

Arbitraire, dilettantisme et irresponsabilité des autorités municipales selon David Ouellette qui écrit dans Judéoscope «Arbitraire, parce que peu importe le coloris politique des photos en question, il ne revient pas aux autorités municipales de juger de leur mérite. Le directeur de l’arrondissement, David Johnstone, défend la décision en prétendant que les institutions publiques sont libres de déterminer leurs propres politiques. Soit, mais le retrait arbitraire de photos d’une exposition ne constitue pas une politique, mais un acte de censure qui n’a pas sa place dans une société libre. Dilettantisme, parce que si l’exposition avait effectivement contenu du matériel questionnable, voire offensant - et ce n'est pas le cas -, comment expliquer que les responsables ne s’en aperçoivent qu’a posteriori? Il leur incombait de défendre leur choix face à la critique et d'inviter le public à consigner ses commentaires dans le livre d'or de l'exposition. Irresponsabilité, parce qu’en invoquant la sensibilité de la population juive comme prétexte au retrait des photographies, les autorités municipales - dont Robert Libman, un ancien directeur du B’nai Brith - font de facto porter aux juifs de Montréal le masque du censeur, alors que la municipalité dit n’avoir agi qu’à la suite d’une seule plainte, et ce, dans un quartier où les juifs sont majoritaires.»

Entre temps, Chris Hand de la galerie Zeke dit tenter de présenter l’exposition Contre l'oubli à sa propre galerie.
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Le .XXX arrive

Le 1er juin, l’organisme responsable de l’affectation des noms de domaines Internet, l’ICANN (Internet Corporation For Assigned Names and Numbers), annonçait la création du domaine .XXX pour regrouper les sites dits «pour adultes», et l’amorce de négociations techniques et commerciales pour la gestion du domaine avec le régistraire ICM Registry. Le projet de domaine .XXX est parrainé par l’International Foundation for Online Responsibility (IFFOR), un organisme canadien, qui en déterminera les politiques de gestion et d’attribution. On pourrait voir arriver les premiers sites .XXX au quatrième trimestre de 2005.

Cette décision découle d’une demande déposée auprès de l’ICANN il y a 15 mois par ICM Registry et l’IFFOR. Les demandeurs souhaitaient un nom de domaine qui transcenderait les barrières géographiques et linguistiques er identifierait clairement les contenus pour adultes. Les propositions antérieures pour un tel domaine (.SEX, .ADULT, .PORN) étaient trop identifiées à l’univers anglo-saxon selon les demandeurs qui ont fait valoir l’aspect polyglotte du .XXX. De plus, il pouvait y avoir ambiguïté avec .SEX et .ADULT pour des personnes à la recherche d’information sur la planification des grossesses, la contraception ou l’avortement, et le suffixe .PORN mettrait les régistraires dans la position difficile de déterminer ce qui est pornographique et ce qui ne l’est pas.

On fait également valoir que le filtrage des contenus sera facilité par le regroupement des sites pour adultes dans un seul domaine. Ce domaine sera à adhésion volontaire et cherchera à implanter des pratiques comme l’exclusion de contenus exploitant les enfants.

On l’aura deviné, la création du domaine .XXX suscite de nombreuses réactions. Pour le technologue Joi Ito, aussi membre de l’ICANN, écrit : «La décision d’approuver la création du domaine .XXX a été basée sur le respect des critères [administratifs et techniques] pour la création d’un domaine, et n’endosse ni ne condamne aucun type de contenu ou de valeur morale. Je comprends que certaines personnes pourraient croire que l’ICANN endosse la pornographie sur Internet, mais ce n’est pas le cas.»

Pour le chroniqueur du quotidien britannique The Independent, Charles Arthur, l’idée d’un domaine .XXX est flouée au départ. Il écrit : «Le problème est que le sexe en ligne est une industrie de plusieurs milliards de dollars, et que ce n’est pas dans l’intérêt des exploitants de se confiner à un domaine où parents et entreprises peuvent en interdire l’accès.[...] Je sais qu’il faut trouver une solution au problème des mineurs ayant accès à la pornographie, mais je ne crois pas que cette solution passe par un nom de domaine réservé dans un réseau utilisé par des adultes qui déboursent de l’argent pour certains produits.»

L’industrie des contenus pour adultes réagit elle aussi. Certains parlent d’un «ghettoïsation» des sites pour adultes et d’atteinte à leur liberté d’expression, mais d’autres laissent percevoir des motifs politiques et financiers derrière la création du domaine .XXX.

Des droits d’obtention d’un domaine .XXX, environ 10 $ seront versés à l’International Foundation for Online Responsibility (IFFOR) qui travaille à résoudre certains problèmes de l’industrie des contenus pour adultes, et une partie de ces fonds ira à la Association of Sites Advocating Child Protection qui lutte contre la pornographie juvénile. Pour ce qui est de ICM Registry, elle déclare vouloir permettre à l’industrie pour adultes, sur une base volontaire, de s’auto-réglementer et d’accepter des normes communes visant à protéger les enfants.

Pour Jason Hendeles de ICM Registry, cité par le site XBiz spécialisé dans l’industrie pour adultes, l’aspect transfrontalier d’Internet ne permet pas d’appliquer uniformément des règles de tolérance en fonction de ce qui est acceptable dans une collectivité, et non dans une autre. En revanche, dit-il, «Les sociétés de cartes bancaires seront plus susceptibles d’offrir des services de transactions légales à des entreprises qui agissent dans le cadre de la loi... ou sont du moins perçues comme agissant de manière responsable.»

Toujours dans XBiz, Jack Mardack de la société profitLABINC.com (spécialisée dans les services de paiement en ligne pour les sites de contenus pour adultes) accueille favorablement l’arrivée du domaine .XXX. Il affirme, «Ce que je vois de positif dans le .XXX c’est qu’il permet d’adopter volontairement des pratiques commerciales en échange de concessions que nous n’aurions pu obtenir autrement. Notre bataille est essentiellement politique, et toute politique se fonde sur le compromis.»

C’est dans ces deux déclarations liminaires (les responsables de l’industrie des contenus pour adultes ne sont jamais bavards) que l’ont comprend mieux ce qui a amené à la création du domaine .XXX. Depuis octobre 2003, sous l’influence de la droite religieuse, la Maison blanche a multiplié les déclarations relatives à son intention de lutter contre la pornographie et à en protéger les enfants. Chez les législateurs, on menaçait même d’agir auprès des services de cartes bancaires pour leur interdire d’accepter les transactions pour des contenus pour adultes. Même si une telle mesure aurait eu du mal à passer la rampe sur le plan législatif, en vertu des libertés constitutionnelles, l’industrie frémissait à l’idée et à décidé de jouer la carte de la proactivité et des compromis.

Chose certaine, le .XXX servira à enrichir ses promoteurs. L’adhésion au .XXX est volontaire; on se demande d’ailleurs comment on pourrait forcer des dizaines de milliers de sites actuellement en .COM, .NET, .ORG et autres à migrer vers le .XXX. Un nom de domaine .XXX coûtera 60 $ US (environ 48 euros, 74 $ CAD), soit de deux à trois fois plus qu’un nom de domaine .COM, .NET ou autre selon le régistraire avec qui ont fait affaire. Pour un exploitant de site pour adultes qui tient à protéger sa marque de commerce des cyberquatters, 60 $ ne représente qu’une infime partie de ses frais généraux et une assurance bien peu chère contre l’appropriation de sa marque.

Situation inverse : un exploitant de site pour adultes veut lancer une «nouvelle marque» et choisit le domaine .XXX. Prendra-t-il la chance de ne pas inscrire cette marque sous les autres domaines mieux connus et de se rendre vulnérable au cybersquatting? Certes non, et ce sera de nouveau les régistraires qui encaisseront.
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