20.3.04

Étude sur les blogues

Un des sites les plus populaires de la blogosphère ces jours-ci, au palmarès Blogdex, est celui des résultats d’une étude sur les blogues réalisée par Fernanda Bertini Viégas du Sociable Media Group du M.I.T.pointeurDe phénomène marginal à tendance forte, il n’aura fallu que quelques années aux blogues pour s’inscrire de manière distinctive dans l’espace Internet. Mais comment la liberté d’expression et les impératifs juridiques propres à ce moyen de diffusion sont-ils perçus par les blogueurs? C’est ce qu’a cherché à savoir Fernanda Viégas. Pour ce faire elle a recueilli en ligne, du 14 au 21 janvier 2004, les réponses à un questionnaire de 480 blogueurs et blogueuses (326 des États-Unis, 148 de l’extérieur des E.-U., et 12 dont l’origine n’est pas précisée).

D’abord, la grande majorité des blogueurs s’identifient soit nommément (55 %) ou plus discrètement par un prénom, un surnom ou autre signe distinctif qui leur est propre (20 %). Mais 36 % disent avoir eu des ennuis liés à quelque chose qu’ils avaient publié, 34 % connaissent un blogueur qui a eu pour cette raison des problèmes avec des parents ou des proches, et 12 % qui ont eu des ennuis juridiques ou professionnels pour les mêmes motifs.

Les deux tiers des répondants disent ne jamais demander à des personnes qu’ils connaissent la permission de les mentionner dans leurs écrits; 9 % affirment ne jamais parler dans leurs blogues de personnes qu’ils connaissent.

Les blogues ont toutefois évolué vers une forme très personnelle d’écriture; 83 % des répondants les qualifient ainsi, alors que 20 % les décrivent comme étant principalement composés de liens vers d’autres sites (le total supérieur à 100 % tient compte des réponses multiples à cette question).

Conclusion de Viégas : «Les blogueurs qui mont participé à cette étude ne s’inquiètent pas de la nature quasi permanente de leurs écrits, un aspect important de la responsabilité, pas plus qu’ils ne croient pouvoir faire l’objet de poursuites à cause de ce qu’ils écrivent. Par contre, 75 % des répondants disent avoir dans le passé modifié certains de leurs textes. La plupart expliquent qu’il s’agissait de fautes de frappe ou d’erreurs grammaticales, mais 35 % d’entre eux ont dit avoir changé le contenu, estimant leurs propos trop personnels ou mesquins, ou pour retirer les références à de personnes qu’elle nommaient. Ces résultats ne sont pas sans révéler une certaine naïveté des blogueurs quant au caractère durable de ce qu’ils écrivent, et au fonctionnement de l’espace réseau où l’information est constamment mise en mémoire.»

Viégas fait évidemment référence ici aux moteurs de recherche qui conservent en mémoire la plupart des pages Web indexées. Par exemple, extrait des Fonctionnalités de Google : «Lorsque Google explore le Web, il crée une copie de chaque page examinée et la stocke dans une mémoire cache, ce qui permet de consulter cette copie à tout moment, et en particulier dans le cas où la page originale (ou Internet) serait inaccessible. Lorsque vous cliquez sur le lien “Copie cachée” d’une page Web, Google affiche celle-ci dans l’état où elle se trouvait lors de son indexation la plus récente.»

Pour Viégas, l’accroissement du nombre de blogues et de leur auditoire, conjugués à la nature persistente de l’information diffusée établissant un lien de responsabilité juridique, pourrait éventuellement porter à controverse.
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Pause de l’actualité haïtienne pour jeter un coup d’oeil ailleurs.

pause/breakLancement cette semaine du site Web référence The State of the News Media 2004 qui dresse un bilan de l’état des médias aux États-Unis. Cette étude est publiée par le Project for Excellence in Journalism, un institut affilié au Graduate School of Journalism de l’Université Columbia University, avec l’aide financière du Pew Charitable Trusts.

S’il y a une tendance forte constatée, c’est la diminution du degré de confiance de la part du public envers les médias depuis quelques années. Les chercheurs établissent qu’en 1985, 72 % des répondants à des sondages estimaient que les organismes de presse étaient hautement professionnels; en 2002, ils ne sont plus que 49 % à le croire. Le pourcentage de ceux qui croient que les médias manquent de transparence et essaient de camouffler leurs erreurs est passé de 13 à 67 %. Quant à la perception de parti-pris politique, elle est passée de 45 % à 59 %.

Les grands médias se disputent un marché au mieux statique, certains affirment qu’il est en diminution constate, et subissent une concurrence des médias en ligne, de ceux qui desservent les collectivités ethniques, et enfin de ceux que l’on dit «alternatifs».

Cette concurrence, qui fait baisser l'auditoire et donc les recettes publicitaires, a pour effet de forcer les grands médias à imposer aux salles de rédaction des coupures budgétaires qui se reflètent sur la qualité de l’information. S’il y a de nouveaux investissements, ils vont davantage dans les moyens de diffusion que dans la collecte et l’analyse de l’information. À cet égard, la collecte de l’information semble cependant s’en tirer mieux, surtout avec les chaînes d’information continue, mais au détriment de la qualité et de la mise en contexte.

Bref, les médias font face à des difficultés économiques; la réaction instinctive a été de sabrer dans les coûts de production; le public n’apprécie pas cette «information à rabais» et continue de s’éloigner des grands médias, ce qui ne fera qu’excerber les baisses de revenus. Cercle vicieux s’il en est un.
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Agence Haïtienne de Presse, 19 mars 2004

"Port-au-Prince, 19 mars 2004 -(AHP) - Le Comité des Avocats pour le Respect des Libertés Individuelles (CARLI), s'est déclaré vendredi profondément préoccupé par l'impunité dont juissent certains auteurs d'exactions contre la population pendant la période du coup d'État militaire de 1991. Selon le CARLI, ces individus dont Louis Jodel Chamblain et Jean Pierre alias Jean Tatoune représentent une véritable menace pour la société haïtienne. Ces deux hommes avaient été d'un grand support pour l'opposition dans sa lutte pour le renversement du président Aristide. Le secrétaire général du CARLI, Renand Hédouville, a fait savoir qu'en matière de droits humains, les crimes de droits communs ne peuvent pas être prescrits. Les auteurs des massacres perpétrés durant le coup d'état de 1991 qui courent les rues en toute impunité doivent être poursuivis conformément à la loi, a déclaré Renand Hédouville."

"Port-au-Prince, 19 mars 2004 -(AHP) - La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR), a exigé vendredi l'arrestation et l'emprisonnement sans autres formes de procès du numéro deux du FRAPH Louis Jodel Chamblain et de Jean Pierre alias Jean Tatoune, tous deux condamnés, a-t-elle dit, à perpétuité pour avoir participé dans des massacres contre le peuple haïtien. Cet appel de la NCHR intervient environ 22 jours après que ces deux repris de justice eurent été accusés d'avoir participé dans l'assassinat de plusieurs policiers et de civils dans le cadre du mouvement armé qui visait le renversement du président Aristide. (...) Le responsable de la NCHR a annoncé pour bientôt l'ouverture d'une enquête sur le cas de militants Lavalas qui auraient été tués au Cap Haïtien le 22 février lors de la prise du Cap Haïtien par les rebelles. Les victimes auraient été enfermées dans un container avant d'être basculés à la mer. Une enquête est aussi ouverte sur les événements sanglants survenus à Saint-Marc avant et après le départ du président Aristide au cours desquels des partisans et opposants du président Aristide ont été assassinés et sur l'assassinat de plusieurs autres citoyens par l'équipe de Guy Philippe à Petit-Gôave et aux Cayes."
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19.3.04

Quelques lectures

Deux articles dans le plus récent numéro du Black Commentator.

Time for Kerry to Set Up on Haiti
par Stan Goff
Perhaps the only thing more depressing about Haiti than the still-unconsolidated coup there is the refusal of the US press to even investigate the circumstances of it. I mean, said investigation would require more effort than walking a dog but less effort than mating a hamper full of socks.
drapeau
Commentary: US Builds Gangster State in Haiti
"Henceforth, the Haitian authorities will not allow other countries to trample upon the rights of Haitians," huffed Gerard Latortue, the erstwhile South Florida "consultant" and talk show host installed as Prime Minister by foreign soldiers and homegrown gangsters who were at that very moment snuffing out the rights and lives of Haitians. (...) Meanwhile, the ever-splintering micro-parties fielded by Haiti’s tiny elite fought gun battles among themselves for the privilege of an audience with Guy Philippe, the U.S-armed warlord, who is touring the country cementing alliances and executing opponents.

Ailleurs, Debunking the Media's Lies about President Aristide par Justin Felux dans Dissident Voice.
If you believe the stories of the corporate media and the Bush administration, you would think Aristide is getting what he deserves. He is a "corrupt dictator" who abuses human rights. He is a "psychopath" who advocated "necklacing" his opponents. He didn't do anything to bring Haiti out of poverty; in fact, he made Haiti more poor than ever. All of these statements are distortions or outright lies. Aristide's true crime was the same crime committed by L'Ouverture 200 years ago: he stood up to the powers that be.

Aussi, retrouvé au fond du tiroir à signets, un article du American Enterprise Institute (dont Richard Perle est l'expert en défense en résidence). L'article est signé par Michael Ledeen, l'expert en matière de "liberté" de l'AEI. Sous le titre The French Interventionist Itch, Ledeen écrivait le 18 février 2004 :
Humanitarian interventions only work if the international community has a clear vision of what is to be achieved and the will to impose the kind of political and moral order that any country needs to live decently. The sort of half-baked approach used to install Mr. Aristide will always lead to the current unhappy situation. So let's try the old-fashioned way. Let's join with the French, proclaim a pox on both houses in the current conflict, depose Mr. Aristide and let him face the judgment of his own people, arrest and try the killers on the other side, install an interim government by force of arms, organize a serious privatization and aid program, and then conduct elections in six months or a year, under international auspices, with guarantees of future elections at regular intervals. And let's call it a democratic revolution.
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Autour de la drogue

Selon la BBC (Haiti’s drug money scourge, 19 mars), la participation présumée du gouvernement Aristide dans le trafic de drogue aurait été une des raisons pour lesquelles les États-Unis souhaitait qu’il quitte le pouvoir. On mentionne un rapport du State Department selon lequel des membres du gouvernement, de la Police nationale, des forces de sécurité présidentielles étaient activement impliquées dans le trafic de drogue.

La BBC mentionne que de telles accusations avaient fait surface au sujet du régime de Jean-Claude Duvalier, et du régime Cedras après le renversement d’Aristide en 1991. À ce moment, ce serait le chef de police Michel François qui était de mèche avec les cartels colombiens. Bien sûr, il est question des déclaration de Beaudoin Kétant, un ancien proche d’Aristide, récemment condamné en Floride pour trafic.

On note cependant, dans le reportage, que les «rebelles» auraient aussi trempé dans ces activités illicites. Le visa étasunien de Guy Philippe aurait été révoqué en raison de son implication dans le trafic de drogue alors qu’il était commissaire de police à Cap Haïtien. Jodel Chamblain était un proche de Michel François à l’époque du FRAPH.

On lit dans l’article : «Des sympathisants de l’ancien président [Aristide] maintiennent que les rebelles qui ont assuré leur mainmise sur Haïti en février 2004 étaient directement financés par l’argent de la drogue, mais on ne détient jusqu’à présent aucune preuve.»

Retour en arrière de quelques jours, lundi 15 mars, à une dépêche de l’Associated Press publiée dans la section des nouvelles locales du Miami Herald. On rapporte la découverte à Miami de 100 kilos de cocaïne, valeur évaluée à 1,8 million de dollars, dans la citerne sanitaire d’un cargo, le M/V ANICIA. Le navire avait quitté les Gonaïves le 10 mars et était arrivé, cales vides, à Miami le 13 mars. Les huit hommes d’équipage (cinq Haïtiens, deux Nicaraguayens et un Guyanais) ont été retournés dans leurs pays respectifs.

Gonaïves n’est-elle pas contrôlée par les rebelles depuis plus d’un mois, les militaires de la force internationale n’y étant pas encore présents? Pourquoi la libération sans autre forme de procès des hommes d’équipage? Étrange affaire.
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Haïti et les grandes chaînes de télé étasuniennes

Andrew Tyndall dirige le cabinet de recherche ADT qui publie hebdomadairement depuis 1987 le Tyndall Report. C’est un relevé du contenu des bulletins d’information de début de soirée des trois grandes chaines de télévision aux États-Unis (ABC, CBS, NBC), du lundi au vendredi. Si on exclut les publicités et les autopromotions, les bulletins de 30 minutes offrent à l’auditoire, en moyenne, 19 minutes de contenu d’information, soit environ 285 minutes par semaine pour les trois chaînes réunies. Le bilan du dernier mois est révélateur sur l'importance accordée par les grandes chaînes à la question d'Haïti.

Tyndall Report, 16 au 20 février
Haïti occupe 16 minutes dans les grands bulletins au cours de la semaine, derrière les primaires du Wisconson (19 min.), les efforts de reconstruction en Irak (18 min.), et le débat sur la légalisation du mariage entre personnes du même sexe (18 min.). Jeffrey Kofman de ABC interviewe le président Aristide qui reconnaît que le pays pourrait être au bord de la guerre civile. CBS n’a même pas de correspondant sur place, mais son correspondant au Pentagone déclare : «Les États-Unis n’ont pas d’autre choix que de soutenir Aristide parce qu’il a été élu démocratiquement». Tyndall note que la semaine du 16 au 20 février a été celle au cours de laquelle, depuis un an, les bulletins des trois chaînes ont présenté le moins de contenu international.

Tyndall Report, 23 au 27 février
Les chaînes ABC, CBS et NBC consacrent 33 minutes à Haïti et à la progression des «rebelles» dans le nord du pays. Le lundi 23 février, on consacre 11 minutes à la «chute» de Cap Haïtien aux mains des «rebelles». Le journaliste Mark Strassmann de CBS commente : «En quête d’appuis internationaux, Aristide se butte à l’indifférence, voire au refus : la France estime qu’il devrait démissionner; Washington refuse d’intervenir»

Tyndall Report, 1er au 5 mars
Les trois grandes chaînes ont consacré 21 minutes à la situation en Haïti. Selon les données de Tyndall c’est, chez les trois chaînes confondues, la troisième semaine la moins étoffée sur le plan de la politique étrangère depuis un an. On a fait peu de cas du rôle présumé des États-Unis dans le «départ forcé» du président Aristide, Colin Powell qualifiant les allégations d’«absurdes et sans fondement». Au cours de cette même semaine, à comparer au 21 minutes d’Haïti, les 25 minutes accordées au procès de la diva du lifestyle Martha Stewart.

Tyndall Report, 8 au 12 mars
On ne parle plus d’Haïti, le sujet est disparu du radar Tyndall.

À suivre.
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18.3.04

VOIR.CA: Haïti dans la tourmente - Le retour du Baron Samedi

"Contrairement au sentiment général qui prévalait il y a quelques semaines parmi les classes politiques, notre ami Ted Rall, prolifique critique de la politique étrangère américaine, accuse l'Amérique et la France de poursuivre en Haïti une politique aveugle amorcée en Afghanistan. En chassant le - certes - déficient président Aristide, la petite île des Caraïbes s'enfoncera un peu plus dans le chaos et prêtera le flanc aux pires dictatures."
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VOIR: Haïti, réplique - Liberté, iniquité, fatalité

"Après avoir été longtemps journaliste au Québec, JACQUELIN TELEMAQUE est retourné dans son pays natal, Haïti, en 1986, un mois après la chute de Duvalier. Observateur de longue date de la politique haïtienne, il réagit aux propos de Ted Rall. Selon lui, la CIA a bien eu un rôle à jouer dans le départ d'Aristide, mais la colère de toute une population également."
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Haïti: le nouveau gouvernement souhaite recréer une armée

Canoe Infos: Haïti: le nouveau gouvernement souhaite recréer une armée

"Le nouveau gouvernement haïtien, qui a été investi hier, souhaite recréer une armée régulière dans le pays, a annoncé le nouveau ministre de la Défense. Herard Abraham, ancien chef de l'armée, a expliqué lors d'un entretien avec l'Associated Press qu'une commission devra étudier les moyens de reformer une armée régulière, qui avait été démantelée par l'ancien président Aristide en 1995. M. Abraham a d'ailleurs estimé que le président déchu avait violé la constitution en agissant ainsi."
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17.3.04

Le sénateur Dodd veut des éclaircissements

Le sénateur démocrate du Connecticut Christopher Dodd veut savoir si l’argent des contribuables étasuniens a servi à entraîner les Haïtiens qui ont comploté pour renverser le président Jean-Bertrand Aristide, voire à leur fournir des armes.

Dans un article du quotidien Newsday, Dodd a déclaré vouloir savoir si la République dominicaine avait servi de base aux comploteurs par laquelle des armes en provenance des États-Unis avaient été acheminées. Il dit détenir des documents du ministère de la Défense selon lesquels 20 000 fusils d’assaut de type M-16 avaient, au cours des deux dernières années, été livrées à la République dominicaine. La semaine dernière, au cours d’une audience d’un sous-comité du Sénat, Dodd avait interrogé le sous-secrétaire d’État Roger Noriega à cet effet, et ce dernier avait nié que la transaction ait été complétée. Dodd veut donc savoir si ces armes auraient servi à équiper les rebelles qui ont assuré leur mainmise sur le nord du pays.

Le sénateur du Connecticut entend également demander à l’inspecteur général de l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID) d’enquêter sur les agissement du International Republican Institute (IRI). Cet institut, une filiale de la National Endowment for Democracy, aurait reçu de l’USAID 1,2 millions de dollars pour «former» 600 Haïtiens en République dominicaine.

Dodd s’inquiète également des agissements de Stanley Lucas, un Haïtien, au sein de l’IRI. Selon lui, Lucas a miné les efforts internationaux déployés en vue de faire accepter à l’opposition haïtienne des positions plus conciliatrices à l'égard du président Aristide. Dodd insiste donc pour obtenir de Noriega et des dirigeants de l’IRI des assurances formelles que Lucas et l’Institut n’ont eu aucun rapport avec le chef déclaré des rebelles Guy Philippe.

Le 2 mars dernier, Christopher Dodd avait démandé une enquête sur les événements au cours des 48 heures qui ont précédé le départ de Jean-Bertand Aristide d’Haïti, et sur ses allégations de «départ forcé».
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Un cabinet

Le premier ministre provisoire d’Haïti, Gérard Latortue, a annoncé la composition de son gouvernement. Le nouveau cabinet comprend 13 membres, dont deux femmes mais ne compte aucun membre du Lavalas, le parti d'Aristide.

Quelques commentaires.

Le ministère de la Justice et de la Sécurité publique sera dirigé par Bernard Gousse, un avocat professeur de droit de 45 ans. Me Gousse est un ancien conseiller principal de la International Foundation For Electoral Systems (IFES), un organisme basé à Washington qui reçoit des fonds de la National Endowment for Democracy (voir la fiche de l’IFES) notamment pour ses activités au Nicaragua.

Yvon Siméon, un économiste de 66 ans, prendra la tête du ministère des Affaires étrangères, des Cultes et des Haïtiens vivant à l'étranger. M. Siméon était porte-parole de la Convergence démocratique en France. On pourrait l’inviter à faire preuve d’un peu plus de ... diplomatie. Extrait d’entrevue avec un journaliste de Jeune Afrique le 23 février 2004 :
J.A.I. : Parmi ses soutiens étrangers, il y a le Black Caucus, qui regroupe les élus noirs du Congrès américain...
Y.S. : Savez-vous comment on appelle les membres du Black Caucus en Haïti? Les «Blacks coquins».
(...)
J.A.I. : Vous ne dénoncez donc pas le recours à la lutte armée?
Y.S. : Non! Mieux, on la comprend.

À l’Éducation nationale et à la Culture, Pierre Buteau, éducateur de carrière et historien. M. Buteau est membre du Groupe des 184 et co-signataire du premier communiqué de l’organisme. En 2002, dans AlterPresse il qualifiait le régime d’Aristide de «pouvoir bizarroïde» et notait la «difficulté de renouvellement du personnel politique et l’absence d’éthique» dans les pratiques politiques. Le voilà confronté à un beau défi.

Selon l’Agence Haïtienne de Presse, «plusieurs membres de l’OPL (Organisation du Peuple en Lutte*) et de la Convergence font partie du gouvernement Latortue: Yves André Wainwright, Adeline Magloire Chancy, Philippe Mathieu et Yvon Siméon, respectivement ministre de l’Environnement, de la Condition féminine, de l’Agriculture et des Affaires étrangères. Pour sa part, le groupe des 184 compte Bernard Gousse, de la Justice, Danièle Saint-Lot, du Commerce et de l’Industrie et Pierre Buteau de l’Éducation nationale. L’ancienne plateforme politique de l’opposition compte donc au moins 7 ministres sur un total de 12 portefeuilles, sans compter les postes de secrétaires d’État. Les autres ministres sont des technocrates réputés proches de l’opposition ou des amis du premier ministre.»

* Créée en 1991 sous le nom de Organisation Politique Lavalas, l’OPL fut, pendant des années, une formation pro-Aristide prônant l’idéologie lavalas. Aux élections législatives de 1995, elle remporta 17 des 27 sièges au Sénat et 66 des 83 à la Chambre des Députés. Aujourd'hui, ses membres militent dans l’opposition.
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16.3.04

Désinformation et plastronnage

Heureusement que malgré tout, certains éléments de la crise haïtienne font sourire.

Désinformation. L’envoyé spécial du Figaro en Haïti, François Hauter, signe ce mardi 16 mars un article sous le titre «Guy Philippe bluffe les Américains». Hauter écrit : «“Les Américains se sont complètement fait avoir par Guy Philippe”, affirme Jean-Robert Lalanne (qui se prétend chef de l’armée du nord), en expliquant que le chef des rebelles est arrivé de la République dominicaine avec “un ou deux pistolets”, et qu’il est entré dans la ville des Gonaïves sans armes et sans rencontrer la moindre résistance, puisque les policiers avaient alors déserté leurs postes devant les forces rebelles locales, commandées alors par un chef de gang sans envergure. Le même scénario s’est reproduit peu après au Cap haïtien, la seconde ville du pays.»

On comprend la manoeuvre des mercenaires. D’une part, si on n’a jamais eu d’armes, pourquoi nous demanderait-on de les rendre. D’autre part, ce récit loufoque permet de nier que les mercenaires avaient été armés et équipés par des forces occultes dans leurs repaires en République dominicaine. Mais ça ne tient pas la rampe.

Ce qui est moins drôle, c’est qu’un journaliste d’un média influent publie ces propos, sans contre vérifier auprès des autorités sur place.

Plastronnage. Gérard Latortue, premier ministre désigné d’Haïti, qualifiait il y a deux jours de «geste inamical» la décision de la Jamaïque d’accorder un droit de séjour à Jean-Bertrand Aristide. Puis, il annonce le gel des relations entre les deux pays, et le retrait de l’ambassadeur en poste à Kingston, Jean Gabriel Augustine, gestes habituellement lourds de sonséquences dans le monde diplomatique.

Or, on apprend ce matin du Jamaica Observer qu’il n’y avait pas d’ambassadeur à rappeler. Un porte-parole du ministère des Affaires extérieures de Jamaïque a fait savoir que les autorités intérimaires de Port-au-Prince avaient rappelé de l’étranger tous les diplomates en poste à des fins de «consultations». C’est pourquoi l’ambassadeur haïtien en Jamaïque avait quitté en fin de semaine dernière.
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14.3.04

Assiste-ton à une reprise de 1991?

En septembre 1991, le général Raoul Cedras mène un coup d’État et renverse le président Jean-Bertrand Aristide. Le chercheur Laurent Jalabert de l’Université des Antilles et de la Guyane, dans son ouvrage Les violences politiques dans les États de la Caraïbe insulaire (1945 à nos jours), dresse un sombre bilan de la période Cedras.

«Autant les précédents coups d’État n’étaient suivis que de répressions ponctuelles et axées sur des objectifs précis, autant le putsch de septembre 1991 est le point de départ d’une répression systématique contre les opposants et contre les manifestants. Selon la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (rapport du 14 février 1992), dans les 48h00 qui suivent le coup d’État, on aurait assisté à plus de 1 500 assassinats. Toujours selon la même commission, toutes les caractéristiques de la répression se développent : exécutions sommaires ou extrajudiciaires (3 010 cas officiellement), disparitions, tortures, viols… un “véritable terrorisme d’État” difficile à quantifier (on parlerait d’au moins 5 000 morts entre septembre 1991 et septembre 1994). Selon le HCR, le nombre d’exils forcés avant l’intervention des Nations-Unies serait d’au moins 55 000 personnes (30 000 en République Dominicaine, 20 000 sur la seule base américaine de Guantanamo à Cuba), certainement bien davantage.»

En 1993, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme précise ces données : «d'octobre 1991 à août 1992, le nombre d'exécutions sommaires a atteint 3 000 dont 89 % ont eu lieu à Port-au-Prince [...] 5 096 cas de détentions illégales d'octobre 1991 à novembre 1992.»

En 1994, les États-Unis sous l’égide des Nations Unies réinstallent le président Aristide. Les faits précités sont déjà connus et documentés, mais plutôt que de poursuivre Raoul Cedras et de le tenir à tout le moins partiellement responsable de ces exactions, le gouvernement des États-Unis lui offre un «parachute doré» d’un million de dollars, en plus de louer trois de ses propriétés immobilières pour un an, payé à l’avance. (Los Angeles Times, 14 octobre 1994)

Le 29 février 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 1529 autorisant le deploiement immediat d’une force multinationale intérimaire en Haïti pour trois mois pour, entre autres, «Faciliter l’instauration de conditions de sécurité et de stabilité dans la capitale haïtienne et ailleurs dans le pays [...] Faciliter la fourniture d’une assistance internationale à la police et à la Garde côtière haïtiennes afin d’instaurer et maintenir la sécurité et l’ordre publics et de promouvoir et protéger les droits de l’homme».

Que se passe-t-il aujourd’hui en Haïti? Les grands médias ont retiré leurs correspondants et laissé sur place quelques «antennes» dans la capitale. Quand les mercenaires sont entrés au pays, les journalistes étaient partout : Gonaïves, Cap-Haïtien, Saint-Marc, etc. Maintenant, on n’entend parler que de ce qui se passe à Port-au-Prince.

Or, des rapports inquiétant commencent à filter des provinces, notamment de la région de Cap-Haïtien.

Le 9 mars, l’Agence haïtienne de presse (AHP) rapporte ce qui suit : «De nouveaux groupes de citoyens du Cap-Haïtien réfugiés à Port-au-Prince ont critiqué jeudi le silence observé par les organismes haïtiens de droits humains sur le sort de présumés partisans de Fanmi lavalas qui auraient été kidnappés puis jeté à la mer à l'intérieur d'un container par les rebelles qui ont pris le contrôle de la ville du Cap-Haïtien le 22 février. Ces citoyens qui ont sollicité l'anonymat pour des raisons de sécurité estiment irresponsable le fait que certains secteurs veuillent faire passer un tel drame sous silence. Plusieurs autres habitants de la deuxième ville du pays avaient appelé mardi Amnesty international et Human Rights Watch à diligenter une enquête autour de cette affaire. Ces personnes, disaient-ils, arrrêtées après l'incendie du commissariat de police auraient été enfermées plusieurs jours dans un container avant d'être basculés à la mer à l'intérieur du container. Selon les mêmes informations, le jour de cettte attaque plusieurs policiers et des partisans de Fanmi lavalas auraient été assassinés.»

Le 12 mars, l’agence Pacific News Service diffuse le témoignage du maire de Milo, collectivité de 50 000 habitants près de Cap Haïtien. Il dit avoir été contraint de prendre le maquis pour échapper à la répression menée par des hommes en tenue militaire contre les personnes associées au parti lavalassien. Au Cap Haïtien, on enregistrerait une cinquantaine de morts par jour. Ceux qui ne sont pas tués sont enfermés dans des conteneurs, la prison ayant été incendiée et détruite. De dire le maire : «Je ne peux comprendre comment un groupe de militaires dont l’institution a été démantelée aient accès à de l’équipement lourd et sophistiqué. Ils disposent de deux hélicoptères et de deux avions. Les hélicos servent à déplacer leurs troupes, et munis de puissants projecteurs, à traquer la nuit les gens qui ont pris le maquis.» Selon certaines informations, des événements similaires se produiraient dans le Plateau central et en Artibonite.

D’où la question : assiste-t-on à une reprise de 1991?
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