12.3.04

La beauté des archives

L’organisme de veille des médias Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) souligne son dossier qui date de l’édition de novembre/décembre 1994 de son magazine Extra. Intitulé «Enemy Ally: The Demonization of Jean-Bertrand Aristide» (L’allié ennemi : la diabolisation de Jean-Bertrand Aristide), le dossier recense ce que la grande presse étasunienne écrivait peu après le retour du président haïtien sous la protection des forces U.S.

Étonnant de voir que dix ans après, le commentaire de Jim Naureckas, auteur du dossier, est toujours d’actualité : «Bien que les vieilles accusations sans fondement persistent toujours, une nouvelle désinformation fait surface, bien souvent basée sur des efforts journalistiques peu convaincants.»

Un dossier à lire.

Également, toujours de FAIR, le billet de Norman Solomon sur le droit à l’intervention tel que vu par les médias étasuniens. L’auteur conclut : «Le choix ne se situe pas entre, d’un côté, des actions musclées et un chantage économique, et de l’autre une égoïste indifférence. Une politique extérieure vraiment humanitaire, offrant sans condition préalable une aide alimentaire et médicale, et ce à grande échelle, est une option qui mérite de faire partie du discours des médias aux États-Unis.»
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Des Nations Unies

Haïti : le Conseil a agi sur la base d’une lettre de démission de l’ancien Président, indique Kofi Annan
10 mars – Le Conseil a agi sur la base d’une lettre de démission, a déclaré le Secrétaire général de l’ONU à la presse canadienne en réponse à des questions sur les conditions du départ de l’ancien Président de Haïti, Jean-Bertrand Aristide. Lettre «Le Conseil de sécurité a agi sur la base d’une lettre de démission qui lui a été remis selon laquelle il transférait le pouvoir au Président du Conseil constitutionnel», a répondu hier Kofi Annan aux journalistes qui l’interrogeaient sur les circonstances du départ de l'ancien Président de Haïti. Le Secrétaire général, qui s’exprimait hier dans le cadre d’une conférence de presse à la suite de ses entretiens avec le Premier Ministre du Canada, Paul Martin, a précisé que c’était sur cette base et «également en raison de la situation instable dans le pays» que le Conseil avait pris sa décision, a indiqué aujourd’hui son porte-parole à New York.

Haïti : seul le Conseil de sécurité peut demander des éclaircissements sur le départ d'Aristide
11 mars - Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a indiqué aujourd’hui que c’était au Conseil de sécurité de demander si une enquête devait être lancée sur les conditions dans lesquelles l'ancien Président haïtien avait quitté le pays. «C’est une question qu’il revient au Conseil de discuter et éventuellement de décider si oui ou non il s’en saisit», a indiqué Kofi Annan à son arrivée au Siège de l’ONU, en réponse aux questions concernant la demande d’éclaircissements émanant de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et de l’Union africaine (UA). «S'ils veulent s’engager dans une enquête et qu’il me donne le mandat pour cela, il sera de mon devoir de la conduire. C'est une question que nous devons discuter avec le Conseil», a-t-il déclaré.
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11.3.04

Quelques lectures

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US Press Torpedoes Aristide

«The most extraordinary part of the coup in Haiti was not the fact that the Bush Administration was directly involved in the deposing of a democratically elected leader. No, that type of criminal behavior is almost a requirement of the office at this point in time. The real surprise is that not one major newspaper in the country has spoken out in favor of restoring Aristide to power. [...] The media has responded with such frightening uniformity that even skeptics must be shocked

Ce commentaire de Mike Whitney, publié dans Counterpunch, est une des rares critiques adressées aux grands médias dans leur couverture de la crise haïtienne. Il poursuit en écrivant que la similarité étonnante dans la description des détails sur le coup d’État, et les omissions prévisibles de toute implication des États-Unis, auraient eu de quoi impressionner les rédacteurs en chef de la Pravda.

Whitney s’en prend aux grands médias étasuniens, mais n’y aurait-il pas dans nos médias québécois une attitude semblable à celle qu’il déplore chez nos voisins du sud?

À l’égard des faits, Denise Bombardier dans Le Devoir du samedi 6 mars résume bien l’ensemble de clichés que l’on a pu lire ou entendre dans nos médias : «Aristide, l’ex-prêtre formé à la démocratie, premier président élu, a lui-même sombré dans la corruption et la violence et s’est en peu de temps transformé en chef exécuteur des meurtres et tortures si caractéristiques du régime depuis plus de cent ans.» Même au Québec, où on est beaucoup moins enclin aux litiges juridiques qu’ailleurs, on intenterait une poursuite pour bien moins s’il ne s’agissait d’un président haïtien en exil forcé.

Il y a aussi des attitudes que l’on pourrait qualifier de généralement méprisantes à l’endroit des Haïtiens. Par exemple, le 10 février dernier, René Mailhot parlait au micro de Marie-France Bazzo du degré de politisation des Haïtiens, et disait qu’en somme «les Haïtiens sont très politisés, ils n’ont que ça à faire». Vraiment?

Puis, il y a le non dit, les réalités passées sous silence, mais qui pourraient mieux éclairer la situation, aider à la comprendre. MADRE, un organisme de défense des droits des femmes et enfants a publié un dossier d’information très étoffé sur l’historique de la crise. Par exemple, pourquoi ne nous a-t-on pas dit que les États-Unis avaient bloqué une enveloppe d’aide totalisant 650 millions de dollars US (le budget annuel de l’État haïtien est de 361 millions de dollars) à la suite des élections contestées en 2000? Ah oui, ces élections «frauduleuses» sans supervision internationale...

Pourrait-on souligner que la Coalition internationale des observateurs indépendants (International Coalition of Independent Observers, ICIO) était sur place à surveiller le déroulement des élections? Citons du dit rapport : «In conclusion, despite democratic barriers such as the traditional political system, scrutiny from the international community - particularly the United States - that was often unreasonable, and the challenges presented by severe illiteracy, poverty and substandard infrastructure, two elections were held successfully, both with a large voter turn out rate.»

Parlons aussi des bourdes journalistiques. Le journaliste Étienne Leblanc dans son reportage «La désillusion des jeunes Haïtiens de Montréal» diffusé à l’émission «Désautels» (Première chaîne de Radio-Canada) le mardi 24 février interviewait de jeunes Haïtiens d’ici. Mais que venait donc faire, sans mise en contexte, un extrait du discours de départ de Jean-Claude Duvalier prononcé dans la nuit du 6 au 7 février 1986? J’ai reconnu l’extrait, qui figure dans mes archives personnelles, j’étais à Port-au-Prince lors de cette «longue nuit». Et d’enchaîner, toujours sans préciser l’origine de cet extrait sonore, avec une question à savoir sur qui rejeter la responsabilité de la situation actuelle, alors qu’on ne parle que du président Aristide depuis le début du reportage.

Le public québécois a été fort mal servi par ses médias durant cette crise, et continue de l’être. Mais si, entre les faits inventés, les réalités passées sous silence, les attitudes méprisantes et les bourdes, on nous a présenté une image fausse de la situation en Haïti, les médias ne font-ils pas face à une crise de crédibilité lorsqu’ils nous parlent, ou nous parleront, d’autres points chauds du globe?
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10.3.04

Présence haïtienne sur le Web

On évoque depuis quelque temps la possibilité d’un retour en Haïti de Jean-Claude Duvalier qui séjourne depuis son départ en 1986 en France. On ne sait si le climat politique sera propice, mais reconnaissons que l’homme, ou du moins ses proches, sont bien présents sur le Web.

Deux sites proposent des revues de presse sur l’actualité haïtienne, soit Haïti-Info.com et Haiti-News.com.

Le domaine Haiti-Info.com a été créé le 9 juillet 2000 et enregistré au nom de Véronique Roy qui a fourni l’adresse de l’Hôtel Claridge à Paris. Selon un article du Wall Street Journal en date du 16 mars 2003, Véronique Roy serait citoyenne française, porterait une étrange ressemblance à Angelina Jolie, serait la petite amie de Jean-Claude Duvalier, et militerait pour son retour en Haïti. Elle aurait à cet effet rencontré des groupes de partisans de Jean-Claude Duvalier à Boston, Miami, New York ainsi qu’en République dominicaine.

Pour ce qui est de Haiti-News.com, dont le contenu est essentiellement un miroir de Haïti-Info.com, le domaine a été créé le 27 juin 2003 et enregistré au nom du CHADES, soit le Centre haïtien de développement économique et social. Il s’agit là d’un organisme qui, selon un article de l’hebdomadaire Haïti-Progrès de septembre 2000, milite pour le retour de Jean-Claude Duvalier en Haïti.

Le répondant pour le CHADES, selon l’enregistrement du site, est Nicholas Duvalier, fils de Jean-Claude et Michelle Bennet (voir à cet effet nos notes de l’époque). Et l’adresse de courriel est du domaine Duvalier.net, créé en juillet 2000 et lui aussi enregistré au nom de Nicholas Duvalier. Le site Web Duvalier.net, que l’on désigne «site officiel» est toujours en construction.

Pour sa part, le «Groupe des 184» a lui aussi pignon sur Web, et adresse postale pour le nom de domaine à Miami. Le domaine a été créé le 30 juillet 2003 au nom de Gilles Sassine. Sassine est notamment l’auteur d’un document, Information Technology in Haiti, publié sur le site Web de la American University (Washington). Il a aussi été à l’emploi en 1998, à titre de professeur invité, du Center for International Private Enterprise (CIPE), qui comme le International Republican Institute (IRI) est un organisme financé par la National Endowment for Democracy très présente en Haïti et plus largement en Amérique centrale.

Nous reviendrons sous peu sur ces divers organismes.

Tiens, aux dernières nouvelles, on apprend la désignation de Gérard Latortue au poste de premier ministre. En mars 2003, Latortue signait un article, «Haïti : suggestions pour le développement politique et économique» dans lequel on lit «Les accrocs à la bonne gouvernance commencèrent en Haïti dès 1995, lors de l’organisation d’élections non transparentes ou frauduleuses à l’ombre de la Constitution de 1987». Et pour appuyer son propos, Latortue s’en remet aux rapports du Centre Carter et de... l’International Republican Institute.

Ça promet.
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9.3.04

«Luck, qui paie les gardes du corps?»

Luck MervilleSamedi, 28 février, devant le Complexe Guy-Favreau sur le boulevard René-Lévesque. Les nouvelles en provenance d’Haïti sont mauvaises. Les «rebelles armés» menacent la capitale, l’«opposition politique» réclame le départ du président, le chaos règne dans les rues. À Montréal, les opposants du président Aristide avaient prévu depuis une bonne semaine un rassemblement pour exiger son départ. Le Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI) profite de l’occasion pour lancer une campagne humanitaire d’urgence en faveur de la population haïtienne, et exposer le porte-parole de la campagne, le chanteur Luck Merville, aux médias présents. Ce dernier arrive vers 15 h 00, les journalistes se précipitent pour obtenir leur «clip»; il sera le même pour tous, peu importe, il l’aura dit à «leur» micro.

Après que la journaliste de TQS ait obtenu son bout d’entrevue, un journaliste/photographe intervient :

- Luck, juste une question?
- Oui, bien sûr.
- Qui paie les gardes du corps?
- Comment?
- Qui paie les gardes du corps?

Merville est, selon la formule journalistique consacrée, visiblement embarrassé. Il esquisse néanmoins un sourire et un début de réponse.

- Les gardes du corps. Oui. Enfin, les gardes du corps, qu’est-ce que je peux vous dire...

Et à ce moment précis, Luck est tiré d’embarras par l’arrivée inopinée du maire Gérald Tremblay. Salutations, échange de poignée de mains, retour en force des caméras pour saisir l’instant. Mais toujours pas de réponse à la question «Qui paie les gardes du corps». On ne saura pas, non plus, si Gérald Tremblay était présent à titre personnel ou à titre de maire.

Dans le contexte, la question était pertinente. Pourquoi un porte-parole de campagne humanitaire sent-il le besoin de se présenter à un événement médiatique en compagnie de trois gardes du corps? Qui a insisté pour cette démarche? Le CECI? Son agent? Lui-même?

Autres photos ici.
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