12.3.05

Blogueurs ou journalistes?

Au moment où la société Apple obtient d’un tribunal un jugement forçant trois blogues à dévoiler leurs sources après avoir publié un article dévoilant les détails techniques d’une nouvelle interface audio (voir le billet du 13 janvier, la notion de blogueurs/journalistes revient au centre de débats.

Yves Adaken écrit dans L’Expansion : «Un tribunal de première instance a en effet refusé d'étendre aux sites web les protections constitutionnelles et légales qui permettent à des journalistes de ne pas divulguer le nom de leurs informateurs. Autrement dit, à l'aune de ce jugement, aucun blog, et peut-être au delà aucun site web, ne pourrait être considéré comme un journal! Un de ces blogs, Think Secret, a immédiatement répliqué en poursuivant Apple pour atteinte au premier amendement de la constitution américaine, qui protège la liberté d'expression, notamment pour les journalistes free lance.[...] A partir de là, la démarche d'Apple ressemble assez à un combat d'arrière-garde. Et la décision de la juge de première instance, soumise à appel, illustre assez le trouble que provoque l'irruption de ces nouveaux acteurs dans le paysage médiatique.»

Blogueurs ou journalistes?

Un point de vue intéressant, celui de Danah Boyd qui estime qu’on ne pose pas la bonne question. «Nous devons cesser de nous demander si les blogueurs sont des journalistes, et plutôt tenter de voir si le journalisme peut se prêter aux blogues.»
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Réplique de François Cardinal

En réponse à certaines critiques (dont les miennes) à l’égard de son éditorial sur les blogues, François Cardinal réplique. Courtoisie de Michel Dumais, le texte intégral de l’édito en question.

Aussi à souligner un défi lancé par Clément Laberge : «Et tiens, pourquoi ne pas lancer un défi à La Presse? On détermine un sujet, on le confie à un journaliste qui réalise un dossier « comme s'il devait être publié ». On réserve le dossier. Aussitôt qu'il est terminé, on annonce le sujet qui avait été retenu (sans publier le texte) et on fait appel aux internautes pour documenter le sujet et accompagner le journaliste dans la réalisation d'un dossier. Une seconde série de textes est écrit à partir de ces matériaux et La Presse publie les deux dossier pour permettre la comparaison. Lequel sera le meilleur à votre avis? On fait le test?»
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Qui lit les blogues?

L’agence Blogads qui se spécialise dans le placement publicitaire sur les blogues anglo-saxons vient de publier les résultats d’un sondage mené en ligne auprès des lecteurs de blogues qui indiquent une certaine évolution du lectorat par rapport aux résultats de l’an dernier.

Par exemple, le créneau d’âge le plus représenté est celui des 31 à 40 ans (24,5 %). L’an dernier 61 % des lecteurs de blogues étaient âgés de plus de 30 ans, cette année c’est 75 %. Le lectorat est principalement masculin (75,5 %), le secteur professionnel le plus important est celui de l’éducation (10 %), et l’allégeance politique est démocrate (39,3 %) dans le contexte étasunien.

Les lecteurs de blogues lisent aussi la presse imprimée, dont The New Yorker (17,9 %), The Economist (12,1 %), Newsweek (11,2 %), Atlantic Monthly (11,1 %), The Wall Steeet Journal (10,4 %). La moitié des lecteurs estiment que l’information et les points de vue exprimés sur les blogues sont très utiles, viennent ensuite les journaux en ligne (19 %) et la radio (16 %). À savoir combien de blogues sont consultés chaque jour, 52,8 % disent en consulter cinq ou moins, et 16 % avouent y consacrer dix heures par semaine.

Autres données : 79,3 % n’ont pas leurs propres blogues, 75,3 % disent lire les blogues pour trouver de l’information qu’ils ne trouvent pas ailleurs et 74,6 % pour des points de vue différents des médias traditionnels. Le RSS tarde à s’imposer, 16,5 % des répondants l’utilisent à l’occasion, 7 % souvent, et 4,6 % toujours.

Ces données recoupent en gros les résultats d’autres enquêtes, comme celle du Pew qui établissait l’adoption du RSS par 5 % des utilisateurs.

Une des constatations importante pour Blogads, qui rappelons-le est une agence de publicité, est l’influence des lecteurs de blogues sur l’opinion publique : «Les nouvelles les plus intéressantes sont contenues dans la section 8. Les personnes au fait du jargon des relations publiques reconnaîtront dans cet ensemble de questions les caractéristiques par lesquelles on détermine qui est un faiseur d’opinion, qui fait partie du 10 % de la population qui influence l’opinion de l’autre 90 %.[...] Il est clair que la blogosphère est très fréquentée par ces faiseurs d’opinion.»

Du point de vue commercial, on le comprend, Blogads cherche à «vendre» le profil du lectorat des blogues à ses clients. En revanche, les constatations relatives au grand nombre de faiseurs d’opinions qui consultent les blogues renforce la notion de poids politique et social des blogueurs.

Personnellement, j’ai bien hâte que Léger Marketing et le CEFRIO accordent un peu d’attention au phénomène blogue au Québec.
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6.3.05

Journalisme participatif : culture ou masse critique?

Si on est témoins de certains exemples du potentiel du journalisme participatif, force est de constater qu’ils se limitent pour le moment à la blogosphère anglo-saxonne. C’est l’essentiel d’une analyse de l’affaire Gaymard en France par le journaliste Tarik Krim, Le traitement de l’affaire Gaymard montre la limite des blogs.

Dans Editor & Publisher, une publication spécialisée en journalisme, le chef de la rédaction Greg Mitchell revient sur un de ces exemples récents de journalisme participatif, le Gannongate, dans son texte Inside The 'Gannon' Case: How Blogs Broke It Wide Open . Bref rappel de l’affaire : certains blogues d’actualité à large rayonnement ont mobilisé des centaines de leurs lecteurs pour faire la lumière sur un faux journaliste et une fausse agence de presse qui recevait un traitement privilégié de la Maison-Blanche.

Sceptique sur la question du journalisme participatif, Mitchell dit avoir suivi l’évolution du Gannongate depuis le premier jour et être étonné des résultats plus que probants de cette forme de journalisme distribué. «C’est certain que dans la blogosphère il y a encore beaucoup de recherche boiteuse et de commentaires gratuits ou offensants. Mais ce qui m’étonne le plus c’est la quantité de ressources que les blogues à grande diffusion (par opposition aux blogues plus modestes) peuvent mettre à contribution dans une affaire comme celle-ci.»

Selon Mitchell, la raison pour laquelle les organismes de presse ne peuvent réussir des coups d’éclat comme la Gannongate relève de leur timidité à se lancer dans de telles opérations, mais aussi de l’ampleur des ressources qu’elles nécessitent. Pour rivaliser avec les blogues, une chaîne comme Gannett devrait affecter à son journal USA Today l’équivalent d’une salle de rédaction locale au complet.

Revenons à l’affaire Gaymard. Tarik Krim se dit déçu de l’absence des blogues dans cette affaire : «Non seulement le traitement de cette affaire est une vraie victoire pour la presse traditionnelle (aucun scoop lancé par un blog), mais il démontre que l’influence du numérique sur la politique intérieure en France reste anecdotique.[...] Je remarque simplement que le blog en France n’est pas un blog d’investigation, pas un blog d’opinion, juste un blog de commentaire, sorte de chambre d’écho des médias classiques et de l’information. Le blog arrivera-t-il à casser un tabou et se faire une place dans le débat politique en France?» On pourrait tirer les mêmes conclusions, et se poser les mêmes questions au Québec.

Est-ce une question de culture des médias qui explique que le journalisme participatif fonctionne aux États-Unis et ne semble pas décoller en Francophonie? On pourrait en douter. Il s’agirait davantage selon moi d’un problème de masse critique de l’auditoire des blogues francophones.

La démographie n’arrange rien, certes. Les populations francophones combinées de la France, de la Belgique, de la Suisse et du Québec arrivent à peu près au tiers de celle des États-Unis. Le taux de branchement des États francophones, bien qu’il soit toujours en hausse, est légèrement inférieur à celui des États-Unis. Remarquons aussi la nature «nationale» des dossiers dans lesquels les blogueurs étasuniens se sont investis. Si la comparaison vaut pour les pays francophones, cela signifie que les Français blogueraient sur les dossiers français, les Suisses sur les dossiers suisses, les Québécois sur les dossiers québécois. Il y aurait donc fragmentation et des efforts, et de l’auditoire.

Or, aux États-Unis, il y a les facteurs linguistique et national qui permettent d’atteindre une masse critique. Par exemple, le blogue Daily Kos, un de ceux qui a mené la charge dans le Gannongate, enregistre plus de 350 000 visites par jour, pour plus de 465 000 pages vues (voir les statistiques.) Peu de blogues ou même de sites d’actualité francophones atteignent cette masse critique qui permet de lancer un chantier de journalisme participatif.

Mais l’expérience du journalisme participatif reste à suivre. Reconnaissons que le phénomène est très récent et que l’articulation de ses processus relève toujours de l’expérience/erreur. Qu’on pense ici, au Québec, au scandale des commandites, au CHUM ou aux PPP, ce ne sont tout de même pas les sujets qui feraient défaut.
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