11.2.05

Gannon/Guckert : encore des retombées

De nouveaux ajouts au dossier Gannon/Guckert, à commencer par le point de presse de Scott McClellan, porte-parole de la Maison-Blanche. Il déclare que le processus d’accréditation des journalistes ne relève pas de lui, et que par voie de conséquence la présence de Gannon aux conférences et points de presse était hors de son champ de compétence.

La membre de la Chambre des représentants Louise Slaughter (démocrate, New York) a adressé une lettre au président Bush lui demandant des explications sur l’affaire Gannon/Guckert. Faisant allusion aux récents scandales impliquant des journalistes qui auraient reçu d’importantes sommes d’argent pour promouvoir certaines politiques de l’administration Bush, Madame Slaughter écrit : «J’étais déjà troublée par ce qui semble être une campagne systématique de votre administration de maquiller la propagande partisane en nouvelles légitimes. Maintenant que nous apprenons que ce genre de tromperie a cours à l’intérieur même de la salle de presse de la Maison-Blanche, je suis encore plus troublée.»

Pour sa part, le sénateur démocrate Frank Lautenberg demande à l’attaché de presse Scott McClellan de rendre publics tous les documents dont dispose le service de presse de la Maison-Blanche sur Gannon/Guckert afin de clarifier les raisons qui lui valaient l’obtention de laisser-passer aux points de presse. Lautenberg souligne que le service de presse du Congrès avait refusé d’émettre une accréditation à Gannon/Guckert, et se demande pourquoi la Maison-Blanche l’a fait.

Dans Salon, le reporter à la Maison-Blanche Eric Boehlert reprend l’information selon laquelle Jeff Gannon obtenait, jour après jour depuis deux ans, des laisser-passer quotidiens pour avoir accès à la salle de presse, ce qui est inusité, hors du commun. Il pose la question à savoir pourquoi la Maison-Blanche a toléré cette pratique.

Le columnist Bruce Bartlett exprime dans Editor&Publisher ses préoccupations en matière de sécurité. Quiconque voulant assassiner le président pourrait s’inventer une publication et avoir accès aux conférences de presse dit-il, «Ça soulève la question à savoir s’il est opportun pour le service de presse de la Maison-Blanche d’accorder des accréditations à des gens qui fonctionnent sous un nom d’emprunt».

Et, bien sûr, la droite protège ses oisillons. Cliff Kincaid de l’organisme Accuracy In Media écrit dans un texte largement repris dans la presse pro-conservatrice étasunienne que ce sont les allusions à caractère sexuel qui auront triomphé de Gannon. «Ce qu’on reproche à Gannon se résume à avoir écrit des articles d’un point de vue conservateur et d’être lié à une pratique, l’homosexualité, qui est acceptée et célébrée par les accusateurs de Gannon eux-mêmes. La norme de la police de la pensée libérale est donc que la vie privée d’une personne devrait être protégée, sauf quand l’accusé est d’allégeance conservatrice. Les médias traditionnels et leurs nouveaux amis de la blogosphère gauchiste n’arrêteront devant rien pour conserver leur pouvoir politique.»
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9.2.05

Daily Kos et le «gannongate»

Quelques développements intéressants dans le «gannongate» (voir Les blogues et l’affaire Wilson/Plame).

Le faux journaliste Jeff Gannon (nom de plume) quitte la fausse agence de presse Talon News, disant que toute l’attention dont il fait l’objet ne lui permet plus de fonctionner adéquatement. Selon la formule consacrée, il entend accorder plus de temps à sa famille.

Les recherches du blogue Daily Kos ont porté fruit, Jeff Gannon serait en fait James D. Guckert, associé à une société nommée Bedrock, et aussi à des noms de domaines de sites pornos gays.

Mais le gros morceau vient de SusanG de Daily Kos qui a obtenu une entrevue très révélatrice avec l’ambassadeur Joseph Wilson, conjoint de Valerie Plame, sur toute l’affaire.

Après les détails politiques, en fin d’entrevue, on aborde le rôle des blogues.

Question : Que pensez-vous du processus de recherche à Daily Kos sur cette affaire? Comment s’inscrit-il dans votre perception du rôle des citoyens par rapport au rôle des médias officiels dans la collecte et la diffusion d’information?

Réponse : Je crois qu’en raison de l’absence de médias nationaux responsables, les blogues jouent un rôle important pour mettre en lumière certaines situations, y compris le bien-fondé de l’accréditation de certains soi-disant correspondants de la Maison-Blanche, et aussi pour traiter de questions ignorées par les journalistes des médias nationaux. Je crois aussi que la nature de la profession a changé, et ce au détriment du journalisme d’enquête. On constate qu’il y a moins de recherche de la vérité, et qu’on se concentre davantage à exposer les deux points de vue sur une situation, même si l’un d’eux est truffé de mensonges et d’aberrations. Quand on accorde autant de poids à la vérité qu’à la fiction, dans l’intérêt de ce qu’on appelle l’équitabilité, on trompe le public et la presse se rend complice de ce jeu.

Mise à jour : 10 février

Le retrait «volontaire» de James D. Guckert, alias Jeff Gannon, de la scène journalistique suscite de nombreux commentaires, à commencer par le principal intéressé qui a accordé une entrevue au Wilmington News Journal, un quotidien de sa ville de résidence. Citation : «Il y a des gens qui se plaisent à bouleverser la vie des autres. Ils on tenté de m’intimider, de me punir, puis de me mettre dans l’embarras, et ils ont bien réussi.»

Timothy Karr, directeur exécutif de MediaChannel.org et de Media for Democracy, écrit sur son blogue Media Citizen : «Il est inutile de fouiller plus à fond la vie privée de Gannon/Guckert. Son orientation sexuelle n’est pas en cause ici, ce qui l’est c’est bien plus la viabilité de notre quatrième pouvoir face à des tentatives croissantes de maquiller la propagande en information crédible.»

Le journaliste Daniel Conover (Conover on Media) examine le rôle des médias traditionnels (MT) dans toute cette histoire : «Le rôle des MT? Pratiquement nul.[...] Il est maintenant clair que les blogues et les sites Web fournissent maintenant l’essentiel de l’information sur les questions qui touchent les MT. Et ceux d’entre nous qui travaillent dans les MT et s’intéressent à ces questions consultons ces sources “non officielles” pour savoir ce qui se passe dans notre industrie, une tendance qui n’est pas près de s’estomper. Et pourtant, le noeud de l’affaire Gannon/Talon est une question à laquelle les MT devraient s’intéresser, soit une opération secrète d’information visant le public, assortie d’un contournement des divers mécanismes de contrôle qui offre à n’importe quelle organisation politique ce dont elle a besoin pour survivre et poursuivre son action : la possibilité de tout nier.»

Le Washington Post est toutefois là pour le post-mortem. On y cite Glenn Reynolds (Instapundit), bien connu pour ses opinions de droite, qui qualifie de «méprisables» les «tactiques» utilisées par certains blogues pour exposer Gannon/Guckert. On y rappelle également la mission auto-proclamée de Gannon/Guckert, qui était selon ses dire «d’exposer les mensonges des libéraux claironnés par les médias, Hollywood, les syndicats d’enseignants et le Parti démocrate.»
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8.2.05

Juppé au Québec?

Alain JuppéDepuis la mi-janvier, il est question qu’Alain Juppé, ex-adjoint aux Finances de l'ancien maire de Paris (Jacques Chirac), ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre, vienne enseigner au Québec. M. Juppé, condamné en décembre dernier à 14 mois de prison avec sursis pour financement politique illégal (utilisation de fonds publics pour payer sept personnes travaillant pour son ancien parti, le RPR), est inéligible à quelque fonction élective que ce soit jusqu'en janvier 2006.

Le principal intéressé prenait soin de confier à La Presse le 15 janvier qu’aucune décision n’était prise quant à sa venue au Québec, il qualifiait de prématurées les nouvelles circulant à cet effet, mais il avouait que la chose l’intéressait.

Le 31 janvier, M. Juppé écrivait sur son blogue qu’il avait abandonné depuis une semaine : «Pas de panique, je suis rentré. Beaucoup d'entre vous se sont demandés où j'étais passé. Juste une petite coupure nord-américaine. Je sais que j'aurais pu m'exprimer de là-bas, mais j'avais la tête ailleurs. A Montréal notamment, je me suis occupé d'organiser ma prochaine année universitaire; les choses se mettent petit à petit en place.»

La rumeur le destinait à un poste à l’Université du Québec à Montréal, mais devant l’hostilité du corps professoral à l'idée d'accueillir M. Juppé (selon les médias montréalais) car il a été reconnu coupable de corruption, il se pourrait qu’il soit disposé à accepter un poste à l’École nationale d’administration publique où il occuperait une nouvelle chaire de relations internationales.

Selon Radio-Canada, «Il va falloir une autorisation spéciale d'Ottawa pour que M. Juppé puisse travailler au Québec, en raison de son casier judiciaire. Une enquête de sécurité devra être faite et son séjour, approuvé par le ministre fédéral de l'Immigration.»

Eh oui, vous avez bien lu un peu plus haut, Juppé est un blogueur. Si la chose étonne, elle a été prise avec scepticisme par bon nombre dans la blogosphère qui doutaient qu’il en soit vraiment l’auteur, jusqu’à ce que M. Juppé le confirme à la chaîne TF1, et par la suite il écrive sur son blogue, un peu exaspéré, «L'un d'entre vous me demande : "Comment être sûr que c'est bien vous qui bloggez?" J'avoue que j'ai un peu de mal à trouver la réponse adéquate. Faut-il que je fasse venir un huissier pour constater que je suis bien devant mon écran et que je frappe moi-même sur mon clavier? Je suis sûr que, pour l'immense majorité d'entre vous, ma bonne foi suffit. Oui, ce blog est artisanal; oui, je fais tout par moi-même avec de temps en temps l'aide d'Isabelle; oui, j'ai pris le virus et je consacre désormais à cette activité plusieurs heures par jour. Et j'y prends du plaisir! Cela dit, je suis parfaitement conscient des imperfections de ce blog-notes. Je n'ai pas encore pris le réflexe ni trouvé le temps de mettre en ligne tous vos messages ou d'y répondre de manière personnalisée, ce qui peut provoquer des frustrations . Je découvre que les internautes ont une grande exigence d'interactivité, ce qui fait d'ailleurs tout l'intérêt du système.»

Mise à jour, 10 février

Le Soleil : «Les professeurs de l'ENAP ont approuvé à 22 contre 6 la venue d'Alain Juppé dans leur institution l'automne prochain. La nature relativement bénigne de sa faute et le fait qu'il a déjà été puni, notamment, ont joué en faveur de l'ex-premier ministre français.»
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Blogues et notoriété

L’institut de journalisme Poynter tenait la semaine dernière un colloque sur l’avenir du journalisme en ligne (Web + 10: The Future of Online Journalism) au cours duquel on a traité des questions de contenu, d’auditoire, de crédibilité, de concurrence et de compétences. Les participants ont convenu de travailler à l’élaboration d’un manifeste, et à cet égard on a déjà créé un blogue collaboratif.

Parmi les commentaires lus sur divers blogues au sujet du colloque, je retiens celui de Bertrand Pecquerie de Editors Weblog qui rapporte les propose d’un des participants, nul autre que Dave Winer, l’inventeur du fil RSS. En ce qui a trait au journalisme participatif et aux blogues, Winer modifie un des paradigmes sociaux selon lequel tout le monde connaîtrait ses 15 minutes de grande notoriété. À l’avenir, selon lui, tout le monde sera célèbre pour 15 personnes.
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7.2.05

Il y a 19 ans...

United States’ role in recent events
by
Jean-Pierre Cloutier
Published in Haiti Times, February 20, 1986.
“Although it has been denied by United States officials, both in Port-au-Prince and in Washington, it is clear that the U.S. government had a lot to say in former President Jean-Claude Duvalier's departure. Jamaica and France both had supporting roles in the sequence of events, but the United States was the main actor.”

C-141 Passenger List
“When former President Jean-Claude Duvalier flew away on the United States Air Force C-141 jet in the night of February 7, he was accompanied by 20 other persons. We have been able to obtain the list of passengers on the night flight. [Note: Initially published on February 20, 1986, in the Haiti Times. The confidential source could not at the time give an accurate identity of Capucine (no. 13). I later learned that Capucine was a young Haitian homeless girl that had been taken into the Duvalier household by Michèlle Bennet.]
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6.2.05

Bush était-il branché (prise 3)

Photo de Robert NelsonLors du débat Bush/Kerry du 30 septembre à Miami, Dubya portait-il oui ou non un dispositif radio qui permettait de lui souffler «à distance» des arguments, des données ou des faits pour répondre à son adversaire? Le 11 octobre, j’écrivais que plusieurs se posaient la question, mais que dans les grands médias on parlait de la machine à rumeurs qu’est Internet et on se demandait si on n’était pas témoins d’une autre de ses éruptions.

Le 30 octobre, je revenais sur le sujet qui continuait à susciter l’intérêt des médias en ligne et des blogueurs, mais non celui des médias traditionnels ni celui des organisateurs du clan Kerry, et je m'interrogeais sur ces raisons : «La première est attibuable à la "blogophobie" dont font preuve les médias qui, dès le début, on traité l’affaire comme une de ces "rumeurs qui circulent sur Internet". Peu importe le nombre de spécialistes de haut niveau qui se sont prononcés sur la possibilité, même légitime, que Bush ait porté un dispositif de communication quelconque, rien n’y a fait, la blogophobie l’a emporté. On s’explique moins la seconde hésitation, celle du clan Kerry. Dans une campagne où on a utilisé les anciens emplois de la première dame comme argument, où l’électorat des chasseurs a été courtisé au prix de quelques oies sauvages, et on en passe, l’affaire du dispositif d’écoute n’aurait-il pas eu meilleure résonnance?»

L’organisme Faireness in Media Reporting (FAIR), dans l’édition de janvier/février de son magazine Extra!, apporte un nouvel éclaire sur l’affaire. Le journaliste Dave Lindorff y publie un article (The Emperor's New Hump) dans lequel il affirme témoignages à l'appui que le New York Times avait affecté trois journalistes (William Broad, Andrew Revkin et John Schwartz) pour enquêter sur les allégations de «branchement», y compris celles formulées par un spécialiste en imagerie de la NASA, Robert Nelson, et que l’article devait être publié le 25 octobre. Cependant, la publication a été retardée, puis la direction de la rédaction du NYT a écarté la possibilité de publier l’article car on était trop près du jour de l’élection.

Autrement dit, dans les mots de Lindorff, «Le New York Times a sabordé un article qui aurait pu changer l’issue de l’élection parce que, justement, il aurait pu changer l’issue de l’élection.»
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David Weinberger et les blogues

David Weinberger est co-auteur (avec Rick Levine, Christopher Locke et Doc Searls) du Manifeste des évidences (Cluetrain Manifesto), écrit en 1999 et qui proclamait que «les marchés sont des conversations» entre consommateurs et entreprises, entre consommateurs entre eux, entre salariés et entreprises, etc. Par la suite, Weinberger et Searls ont écrit également en mode manifeste, cette fois en dix points, Un monde de bouts (World of Ends) avec le joyeux sous-titre «Ce qu'est Internet et comment cesser de le confondre avec quelque chose d'autre.»

Depuis 2001, Weinberger anime son blogue, JOHO (Journal of Hyperlinked Organization) et contribue à d’autres blogues collectifs dont Personal Democracy Forum et Many2Many.

Dans un court entretien avec Bruce Taylor de ITworld (Persistent presence: The long tail of the blog), Weinberger aborde la question des blogues et de ce qui les distingue des médias.

«La page personnelle promettait que l’on puisse créer un espace permanent qui serait nôtre sur le Web. Maintenant c’est fait, et on les appelle des blogues. Les blogues sont une représentation de soi en conversation avec d’autres. Une bonne partie du maintien d’un blogue consiste à répondre à d’autres, à établir des liens vers d’autres. C’est donc considérable d’avoir un espace qui soit une représentation de nous sur le Web, et qui soit créée en interaction avec d’autres. C’est considérable. Par contre, ça a très peu à voir avec un média.»

Weinberger soumet que toutes les questions que se posent les médias sur les blogues (similarités, concurrence, crédibilité) ont, pour leur part, peu à voir avec le phénomène social que constituent les blogues.
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