4.12.04

Blogues Microsoft, ou l’illusoire mécanisme de la censure

Le temps ne m’a pas permis cette semaine de mettre à l’essai la plate-forme de publication de blogues de Microsoft MSN Spaces. En toute franchise, j’ignore si j’aurais eu le goût de le faire, même si j’en avais eu le temps. Et beaucoup de temps. Si un type comme Duncan Riley du Blog Herald a mis 10 heures à concocter son propre essai en raison de lenteurs de serveur et de pépins divers, je ne pouvais espérer moi-même faire un meilleur chrono. À la décharge de Microsoft, disons que le service est en version bêta, mais dix heures, c’est long.

Beaucoup de commentaires, cependant, de la part de gens qui ont du temps à eux, sur les fonctionnalités de MSN Spaces. On critique l’uniformisation et le peu de choix dans les gabarits proposés (limités à 15 pour le moment), l’impossibilité de les modifier, leur «air de famille» qui les rend semblables aux autres sites MSN, l’obligation de déjà posséder un passeport .NET de Microsoft, etc.

Pour sa part, Xeni Jardin, co-éditrice du blogue techno Boing Boing, s’est penchée sur les titres de blogues censurés automatiquement par MSN Spaces. Il n’en faut pas plus pour relancer le débat sur la censure robotisée basée sur les mots-clés.

Lorsque vous décidez de créer un blogue sur MSN Spaces, vous devez choisir un titre, puis vérifier s’il n’est pas déjà retenu par quelqu’un d’autre; cette démarche se fait depuis le formulaire d’inscription et est gérée par un robot. Mais ce titre doit être conforme à la politique d’utilisation de MSN qui dispose des suivantes : «Vous ne pouvez utiliser les services de communication MSN pour publier, envoyer, diffuser ou distribuer des informations et documents diffamants, interdits voire obscènes ou tout autre document ou information à caractère illégal ayant trait, spécifiquement, et sans se limiter, à la pornographie infantile, aux mauvais traitements et à l'inceste, les drogues illicites, le piratage informatique et le harcèlement.»

Des lecteurs de Boing Boing avait signalé le refus par le robot censeur de Microsoft du titre «Corporate Whore» (Pute d’entreprise). Xeni Jardi s’est vue refuser le titre «Corporate Whore Chronicles» (Les Chroniques d’une pute d’entreprise), mais celui de «Corporate Prostitute Chronicles» (Les Chroniques d’une prostituée d’entreprise) a passé la rampe.

Jardin a essuyé d’autres refus. «Pornography and the Law» (La pornographie et la loi), qui pourrait bien être le blogue d’un juriste ou d’un chercheur, a été refusé. Aussi, le très littéraire «Lolita is a novel by Vladimir Nabokov» (Lolita est un roman de Vladimir Nabokov) ne plaît pas à Microsoft. Dans ces deux cas, on voit que le robot a réagi défavorablement aux mots pornographie et Lolita (nymphette en pornolang).

Mais comment expliquer qu’un titre comme «Smoking Crack: A How-To Guide For Teens» (Fumer du crack :Guide pratique à l’intention des ados) soit accepté?

C’est donc ce vieux débat sur la censure automatisée et les logiciels filtres qui refait surface, mais cette fois dans le contexte des blogues, et sous la férule de Microsoft.

Par ailleurs, autre point intéressant, en lisant les conditions d’utilisation des services Microsoft, qui incluent les blogues MSN Spaces, un article a retenu mon attention. «Pour les documents que vous publiez ou fournissez à Microsoft en rapport avec les Sites Web MSN (un “Envoi”), vous accordez à Microsoft l'autorisation (1) d’utiliser, copier, distribuer, transmettre, afficher publiquement, présenter publiquement, reproduire, éditer, modifier, traduire et reformater votre Envoi, dans le cadre des Sites Web MSN, et (2) de sous-concéder ces droits, dans toute la mesure permise par la réglementation applicable. Microsoft ne paiera pas pour votre Envoi. Microsoft peut supprimer votre Envoi à tout moment.»

En clair, votre blogue et son contenu sur MSN Spaces ne vous appartient pas, il appartient à Microsoft.

Bon, allons voir si je peux convaincre Blogger de publier ce billet (=_=).

Mise à jour : 7 décembre

Les réponses à certaines critiques sur le blogue de Michael Connolly, gestionnaire du groupe MSN Spaces.
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3.12.04

Hommage Boomerang à Patrick Pierra

Patrick PierreLe 1er décembre se déroulait la soirée annuelle des Prix Boomerang visant récompenser les meilleures créations en publicité, marketing et média Internet au Québec. À cette occasion, on a remis à Patrick Pierra, fondateur et président de Branchez-Vous!, un Prix Boomerang Hommage à titre de pionnier des médias Internet au Québec. Du bulletin par courrier électronique lancé en 1995, puis à l’aventure Web qui a vu par la suite le lancement de nombreux sites et services, B-V est devenu un incontrounable de l’Internet québécois, Et Patrick mérite largement l’hommage rendu.

Dans son allocution de circonstance, Patrick a remercié son associé, Jean Sanche, et les membres de son équipe, puis a eu ce bon mot : «Mais ce n'est pas seulement une réussite d'équipe, c'est une réussite d'industrie. Quand j'ai lancé Branchez-Vous!, sur mon petit Powerbook d'Apple, avec un modem 28,8 et une adresse de courriel du service eWorld, je ne savais pas qu'il existait déjà, depuis quelques mois, les Chroniques de Cybérie, le bulletin de Jean-Pierre Cloutier. Si je l'avais su, j'aurais sans doute pensé que la place était déjà prise.»

Cette dernière phrase m’a rappelé de bons souvenirs, tant de l’époque que de l’homme. Je me souviens d’un salon spécialisé, fin des années quatre-vingt-dix, où Patrick et moi étions en conversation. Quelqu’un s’est approché et nous a dit, sourire en coin, «Tiens, deux concurrents qui se parlent!». Nous nous sommes tous les deux esclaffés de rire, ne nous étant jamais perçus comme tels.

Malgré quelques approches initiées mutuellement, nous n’avons jamais travaillé ensemble; c’est une question de circonstances ou de disponibilité, et non de volonté. Il y avait, et nous l’avons toujours compris, de la «place» pour tout le monde, et nous avons toujours respecté nos orientations respectives.

Félicitations Patrick, cet hommage qu’on t’a rendu est bien mérité.
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2.12.04

Pourriel : Militants ou miliciens?

Une des nouvelles du Web cette semaine est certainement l’offensive anti-pourriel lancée par la société Lycos il y a quelques jours. Baptisée «Diffusez l'amour, arrêtez le spam» (Make Love Not Spam), la campagne est basée sur le téléchargement d’un écran de veille (screensaver) qui, lorsque l’ordinateur est inactif mais toujours branché au réseau, bombarde de requêtes des sites Web de polluposteurs connus. Les adresses de ces sites figurent sur des «listes noires» compilées par des sociétés spécialisées.

Ce très haut volume de requêtes (plus de 100 000 exemplaires de l’écran de veille auraient été téléchargés, chacun d’une capacité de saturation de 3,4 Mo par jour) a pour but d’augmenter la facture de bande passante des polluposteurs. Voir les détails chez Pourriel.ca et Branchez-vous.

Retombées immédiates : selon la société de surveillance des rendements en ligne Netcraft, deux sites de polluposteurs hébergés sur des serveurs chinois auraient croulé sous le volume de demandes d’accès, et plusieurs autres sites auraient été affectés. L’Empire du pourriel contre-attaque? Le site de Lycos permettant le téléchargement de l’écran de veille semble inaccessible depuis des heures. Les rumeurs courent à l’effet qu’il aurait été victime de h@cking, d’autres sources penchent pour l’hypothèse d’une riposte des polluposteurs qui auraient monté une attaque par saturation (DOS ou DDOS) contre le site de Lycos.

On verra certainement plus clair dans cette affaire d’ici quelques jours. Entre temps, examinons quelques questions inhérentes à cette affaire.

Le pourriel nous exaspère tous, coûte une fortune aux fournisseurs de services Internet (et donc à nous, les abonnés) et aux entreprises qui disposent d’infrastructures internes importantes. Il a fait l’objet de lois adoptées aux États-Unis et en Europe, mais la nature fluide et transfrontalière d’Internet permet la plupart du temps aux polluposteurs d’esquiver les poursuites.

La question qui se pose ici est de savoir si Lycos était en droit de proposer son écran de veille pour saturer les serveurs de polluposteurs connus.

Dans Les Échos du Net, on est critique : Lycos se prend pour le Don Quichotte Antispam : «Lorsque l’écran de veille se met en route, il envoie des attaques DDOS, méthode parfaitement illégale, aux serveurs de pourriels, de sorte que les sites sont ralentis, voire paralysés. [...] Le principe des requêtes lancés sur les sites de spam est de les surcharger afin de les ralentir. Si 10 millions d'ordinateurs sont actifs, cela pourrait générer près de 33 To de données transférée, cela aura non seulement un impact certain sur les serveurs visés, mais cela aurait aussi pour effet de ralentir le réseau internet...[...] nous avons décidé de ne pas fournir l'url du site de téléchargement, car nous désaprouvons ces méthodes qui, rappelons le, sont totalement illégales.»

ZATAZ, site consacré au h@cking et à la sécurité, commente sur la possibilité de contre-attaque et fait lui aussi un rappel à l’ordre : «Seulement avant de vouloir se la jouer Zorro, Lycos a juste oublié de protéger son site web qui a été fermé ce mercredi. Un pirate, ou un hacktiviste, à vous de choisir [...] À noter que cette barre anti spams est litigieuse côté législation. On vous déconseille son utilisation.»

Même son de cloche chez Présence PC qui, bien qu’il qualifie l’initiative de Lycos d’«originale», estime aussi qu’il «faut savoir que la démarche de Lycos, même si elle semble plutôt noble au premier abord est tout à fait illégale, en effet, elle consiste en une attaque de type DDos (Distributed Denial Of Service).»

Pour sa part, PC Inpact se montre plutôt d’accord avec la stratégie : «Lycos se lance dans la lutte contre le Spam, mais là où les autres cherchent à s'en protéger, Lycos a pris le parti de la maxime "La meilleure défense, c'est l'attaque".» Puis dans une dépêche subséquente, «Méthode directe, efficace et peu scrupuleuse, mais ô combien jouissive pour certains: sous le nombre de requêtes, les serveurs (spam) explosent et les sites passent hors ligne.»

La démarche de Lycos est également critiquée par Graham Cluley, conseiller principal au cabinet de sécurité informatique Sophos. Cité par la BBC, il a déclaré : «Si vous parvenez à inonder les polluposteurs, vous vous exposez à des contre-attaques. L’installation de cet écran de veille au bureau pourrait ralentir la connection Internet de toute l’entreprise. Et puis, qu’est-ce qui permet d’éviter qu’une erreur se produise et qu’un site qui n’a rien à voir avec le pourriel se retrouve sur la liste des sites ciblés?»

Beau débat de fin d’année en perspective.

Mise à jour, 3 décembre, 10h00.

Saty tuned...

Accès toujours intermittent au site de Make love not spam de Lycos, mais on nous demande de rester syntonisé, sans plus d’explication.
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Le Monde blogue

Via Cyril qui le tenait de Loïc, on apprend que le quotidien français Le Monde a rassemblé les références à ses blogues sur une seule page, ce qui est une excellente idée.

Mais la grosse nouvelle est que le journal a ouvert son service de blogues aux abonnés à la version Web du journal (6 euros/mois). Voila qui lance un nouvel élément dans le débat, soit une importante entreprise de presse qui met à la disposition de ses abonnés un service de publication et d’hébergement de blogues. Une expérience à surveiller.
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1.12.04

Microsoft flaire les blogues

Selon Mary Jo Foley du netmag Microsoft Watch, la division MSN de Microsoft s’apprête à dévoiler son service d’édition et d’hébergement de blogues, MSN Spaces. Le service est en période de rodage depuis août dernier au Japon. Autre annonce à surveiller chez Microsoft, la mise en service sous peu d’un moteur de recherche spécifique pour les blogues, MSN Blogbot.

Évidemment, c’est Google qui est dans la mire de Microsoft avec ces nouveaux services. On sait que Google s’est portée acquéreure de la plate-forme Blogger (Pyra Labs) et que le moteur de recherche le plus utilisé indexe le contenu des blogues, bien qu’il ne soit pas destiné uniquement aux blogues contrairement à Feedster, Daypop ou Technorati.

Pour se constituer une clientèle, Microsoft miserait sur la possibilité de bloguer depuis la prochaine version de MSN Messenger (version 7, attendue au début de 2005), et d’échanger plus facilement des albums photo et des listes de pièces musicales.

Mise à jour, 2 décembre : c’est ouvert, en version bêta (avec ce que cela comporte) et en français, et certains y sont déjà, comme Bruno, Benou, Simara.
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30.11.04

«Blog» : Le mot de l’année chez Merriam-Webster's



L’éditeur de dictionnaire Merriam-Webster's vient de proclamer le mot «blog» (en anglais) mot de l’année pour 2004, c’est-à-dire le mot le plus souvent consulté par le public dans son dictionnaire en ligne. «Blog» fera donc son entrée dans la version imprimée de l’édition 2005 du Merriam-Webster Collegiate Dictionary.

Parmi les mots les plus consultés en 2004, «blog» est suivi de «incumbent» (candidat sortant), «electoral» (électoral), «insurgent» (insurgé), «hurricane» (ouragan), «cicada» (cigale), «peloton» (peloton), «partisan» (partisan), «sovereignty» (souveraineté) et «defenestration» (défenestration).

Mise à jour : 1er décembre

Le Blog Herald se moque un peu de la définition que donne le Merriam-Webster’s d’un blogue, soit «un site Web contenant un journal ou carnet personnel de réflexions, de commentaires et, souvent, d’hyperliens fournis par l’auteur.»

Blog Definition

Le Herald rappelle la définition qu’il proposait l’an dernier : «Un blogue est une hiérarchie de textes, d’images, d’objets médias et de données, agencée de manière chronologique, qui repose sur un système de livraison de contenu permettant des ajouts fréquents sans nécessiter de compétences techniques trop poussées, et qui échafaude des rapports sociaux significatifs ou des collectivités virtuelles autour de n’importe quel sujet ou thème.»

À vous de juger.
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Halley Suitt et les motivations des blogueurs (et blogueuses)

Halley Suitt est l’auteure du blogue Halley’s Comment qu’elle a lancé en juillet 2001. Quelque 3 800 billets plus tard, en moyenne 21 par semaine, elle a écrit quelque 550 000 mots, et proposé 4 400 liens de référence. Non, je ne l’espionne pas, c’est dans son profil chez Blogger. Elle sursauterait peut-être à l’expression, mais on pourrait affirmer qu’elle est une des doyennes de la blogosphère. D’abord rédactrice technique, puis traductrice, Halley Suitt a gagné un concours de circonstances et est devenue journaliste.

Elle vient de publier sur le site Change This un texte intitulé The Art of Alpha Female Blogging (format PDF) non sur la nature des blogues, mais sur les motivations de ceux et celles qui les écrivent.

Pour illustrer son propos, elle décortique un de ses textes, assez amusant, sur les raisons pour lesquelles elle n’aime pas les petits déjeuners au lit, ou plutôt les établissements qui en font une spécialité. Mais là n’est pas l’essentiel.



J’ai bien aimé sa métaphore pour décrire les blogueurs, image qui s’approcherait de la différence entre un coureur de fond et un sprinteur. «Comment les billets sont-ils écrits? Bien souvent de manière décontractée, laissant à l’auteur le loisir de courir avec un sujet sur une courte distance, mais très rapidement, un peu comme un sprinteur, et non comme un marathonien romancier» écrit-elle. On comprend aussi cet autre extrait : «Parfois quelque chose vous agace, et vous avez tout simplement le besoin de le partager pour voir si d’autres sont aussi agacés que vous.»

Les blogues sont là pour rester dans le paysage médiatique selon Suitt, mais ils sont destinés au changement, «ils changent, ils nous changent, et changent notre manière de communiquer et de penser.»

Une belle lecture.
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29.11.04

Le Campaign Desk devient le Daily

Le Columbia Journalism Review, magazine de la faculté de journalisme de l’université Columbia, a publié au cours de la récente présidentielle étasunienne un blogue sur la campagne électorale vue des médias, le Campaign Desk. Depuis quelques jours, le blogue a changé de nom et est devenu le CJR Daily. La forme demeure, blogue alimenté au quotidien de bons textes d’analyse sur le travail des médias, mais le mandat s’élargit à l’ensemble du travail des médias et des journalistes, et des forces politiques, économiques, technologiques, sociales et juridiques qui conditionnent le journalisme. À ajouter aux favoris.

Et un autre blogue de campagne qui avait vu le jour pour la campagne présidentielle continuera d’être publié. FactCheck, qui s’était donné pour mission de vérifier l’exactitude des affirmations des candidats, s’accorde un moment de répit avant de reprendre un calendrier de publication régulier. FactCheck est publié par le Annenberg Public Policy Center de l’université de Pennsylvanie.
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Erreur de dates

J’avais publié ici même un billet déplorant le manque de couverture accordé au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec qui, je croyais, s’était déroulé en fin de semaine dernière. Excusez l’erreur, le congrès se tient en fin de semaine prochaine. Ça rassure. Et merci aux lecteurs et lectrices pour leur vigilance.
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28.11.04

De choses et d’autres

Pour ceux et celles à qui cela aurait échappé, il est maintenant possible de s’inscrire à une liste d’envoi d’un courriel hebdo sur ce blogue. Rappel des titres de la semaine, suggestions de sujets à traiter, notes d’intendance. Bref, un contact plus direct entre le blogueur et ses lecteurs.

Ivan KashinskyParlant de lecteurs, un correspondant déplore ne pas retrouver ce qui était devenu une tradition des Chroniques, soit le Beau détour de la semaine, la suggestion d’un site à voir pour le plaisir des yeux. Bien d’accord, voici donc celui de cette semaine, les gagnants du 59th College Photographer of the Year. Chaque année, l’Université du Missouri organise ce concours de photographie à l’intention des étudiants de niveau collégial et universitaire. Cette année, plus de 250 étudiants et étudiantes y ont participé. Un niveau d’image très relevé pour les amateurs de photographie d’actualité. Celle-ci est de Ivan Kashinsky de San Jose State, et s’est méritée une mention honorable dans la catégorie nouvelles générales. Elle montre le militant haïtien Ludner Beauvoir s’adressant le 29 février dernier à Miami à une foule de manifestants pro-Aristide à la suite du départ forcé de celui-ci.
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Nous, les médias?

We the MediaAprès Du bon usage de la piraterie de Florent Latrive, c’est au tour de Dan Gillmor de publier un livre «shareware», c’est-à-dire disponible sans frais en version intégrale sur Internet en format PDF. Il s’agit de We the Media: Grassroots Journalism by the People, for the People. Le livre possède également son propre blogue.

Campons d’abord le sujet. C’est le «We the People...» qui figure en préambule à la Constitution des États-Unis, ce «Nous le peuple...», qui inspire le titre du livre de Gillmor qui devient «Nous les médias...». Le thème, tout comme le titre, n’est pas nouveau. En 1997, Don Hazen et Julie Winokur avaient publié leur We the Media: A Citizen's Guide to Fighting for Media Democracy dont l’esprit recoupait le propos de Gillmor. Celui-ci soutient que l’on assiste, possiblement (on y reviendra), à une refonte totale de l’univers informationnel. Ce remaniement implique une modification des rôles des trois constituantes de cet univers, soit les journalistes, ceux et celles qui «font» la nouvelle, et le public. Le moteur de ces bouleversements est ce que Gillmor appelle le «grassroots journalism», un concept plus horizontal et plus ouvert du journalisme.

L’évolution de la presse au vingtième siècle a fait en sorte que les grands médias ont agi comme des prédicateurs, que l’information était livrée du haut de la chaire médiatique, et que le public était libre ou non de gober les propos. Ce public avait peu de recours véritables s’il voulait être entendu : écrire une lettre, envoyer une télécopie, laisser un message sur un répondeur, annuler son abonnement, ne plus syntoniser une émission? Pour Gillmor, ce système a engendré un sentiment d’autosatisfaction et d’arrogance chez les journalistes, et s’il a relativement bien fonctionné (du point de vue des médias) pendant des années, il n’est plus viable à long terme. Le journalisme de demain, la diffusion de l’information, s’éloignera du modèle «sermon» et sera davantage une conversation entre producteurs et consommateurs d’information.

Gillmor n’est pas étranger au concept d’info/conversation. Pour la petite histoire, disons qu’il a publié sur son blogue des brouillons de chapitres du livre en cours de rédaction, et qu’il invitait les lecteurs à les critiquer et à les commenter. Cette démarche «en marge de l’écriture» nous rappellera le livre Dixit Laurent Laplante dans lequel Laplante revenait, sous forme de livre, sur certains de ses textes publiés sur le Web, à la lumière de commentaires reçus de son lectorat. Ou plus récemment, ses billets des 18 novembre et 22 novembre, «Retour sur des textes récents», desquels ils disait : «Quelques courriels reçus récemment ont ravivé en moi des questions auxquelles je n'accordais peut-être pas suffisamment d'attention. [...] Même si je réfère explicitement à des courriels en particulier, il va de soi que quiconque peut m'éclairer sur la suite à donner à mes Dixit est invité à le faire.»

Gillmor et Laplante ne sont pas seuls à privilégier une communication plus étroite avec leurs lecteurs. Hier, le journaliste et blogueur Josh Marshall soulignait discrètement le quatrième anniversaire de son blogue «Talking Points Memo». Il remerciait chaleureusement ses lecteurs : «Non seulement ce site n’existerait pas sans ses lecteurs (ce qui est vrai pour toute publication), mais l’écriture en serait impossible sans eux (ce qui est loin d’être vrai pour toutes les publications) puisque tellement d’idées, de contacts, de petits faits significatifs et d’observations perspicaces me viennent de courriels de lecteurs. Si vous n’avez jamais écrit de blogue, je ne suis pas certain que vous puissiez comprendre combien cela est vrai.»

C’est évidemment Internet et la technologie qui viennent bousculer le jeu des médias traditionnels, et Gillmor parle même de «collision» entre journalisme et technologie. Si certains journalistes emboîtent le pas et s’adaptent, par exemple, à la formule des blogues, Gillmor n’est pas persuadé que, blogue ou pas, l’élément le plus important, l’écoute, soit au rendez-vous. Le modèle est toujours descendant (top down) et peu de journalistes acceptent que la conversation soit davantage importante que les affirmations pontifiantes.

Ceux et celles qui «font» la nouvelle tardent également à s’adapter, à s’ouvrir, craignant d’afficher leur vulnérabilité. La récente présidentielle aux États-Unis a donné des exemples frappants d’utilisation de la technologie par les politiciens, inutile de revenir sur l’exemple Howard Dean, ni sur l’incapacité du clan Kerry à poursuivre le travail accompli.

S’il y a adaptation, adoption de la technologie, elle vient du public, ce que Gillmor appelle le «former audience», ou l’ancien public (voir chapitre 7). Il y a d’une part ceux et celles qui se sont toujours exprimé face aux médias, malgré la faiblesse des moyens à leurs disposition. Ils ont maintenant accès aux blogues, aux forums de discussion, au courriel. Puis, il y a une catégorie nouvelle de «consommateurs avertis» d’information qui disposent eux aussi des moyens d’exprimer leur accord ou leur désaveu face à l’information qu’on leur sert.

Et c’est ce qui compte pour Gillmor, que les gens s’expriment : «C’est une des choses les plus saines à arriver depuis longtemps dans l’univers des médias. Nous entendons de nouvelles voix, pas nécessairement de personnes qui voudraient gagner leur vie à s’exprimer, mais tout simplement de gens qui veulent donner leur opinion et être entendus, même si ce n’est que par un petit groupe.» (p. 137)

L’auteur parle évidemment des blogues. «Une des principales critiques que l’on puisse adresser aux blogues est qu’ils sont refermés sur eux-mêmes. Sans doute, bon nombre n’ont d’intérêt que pour ceux et celles qui les écrivent et leur entourage. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas en tenir compte, ni pour ne pas accorder de valeur à l’échange entre individus. Dans ce contexte, ce que je trouve stimulant, c’est le nombre grandissant de blogues écrits par des gens qui parlent de manière intelligente du domaine qu’ils connaissent en propre. Les blogues peuvent représenter un engagement civique.» (p. 137)

Que nous réserve l’avenir? Gillmor souhaiterait que les journalistes, les politiciens et les grandes sociétés engagent un meilleur dialogue avec le public et fassent preuve d’une plus grande transparence. Nous aurions ainsi de meilleurs médias, et une démocratie plus saine. Il craint toutefois, en donnant plusieurs exemples à l’appui, que son souhait ne se réalisera pas. Si les grands médias sont des dinosaures, ils ne mourront pas sans se battre dit-il. Ils tenteront, avec l’appui des pouvoirs politiques, d’assurer leur mainmise sur les nouveaux médias plutôt que les voir éroder leur modèle économique traditionnel. À cet égard, lire attentivement le chapitre 11, «L’empire contre-attaque».

On termine la lecture du livre de Gillmor avec un sentiment de perplexité. D’une part, tous les facteurs matériels et techniques sont réunis pour ménager la transition du sermon médiatique à la conversation citoyenne, pour le plus grand bien du public; d’autre part il y a une très forte résistance au changement de la part des médias et de ceux qui font la nouvelle.

Tentons un exercice de logique. Si les médias et le journalisme corporatif sentent qu’il y a quelque chose à perdre dans la refonte du système informationnel, c’est qu’ils profitent de ce système. En revanche, si le public sent qu’il a tout à gagner d’une telle refonte du système actuel, c’est qu’il n’en tire rien qui vaille, ou encore si peu qu’il soit prêt à miser sur le changement.
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