18.12.04

Blogues et métaphores

Danah BoydDanah Boyd, étudiante au doctorat en communication à l’université de Berkeley (Californie), dans un mémoire (format PDF) qu’elle présentera à la conférence sur l’écologie des médias en juin prochain, se penche sur les métaphores utilisées pour décrire l’univers des blogues, et sur la façon dont elles peuvent en communiquer une image déformée qui n’aide en rien sa compréhension par les non-initiés. «Alors que la presse tente de couvrir le phénomène, il est clair que le mot “blogue” n’est pas en soi un terme descriptif et que, par voie de conséquence, les mots blogues, blogueurs et bloguer sont intégrés à des constructions conflictuelles et problématiques» écrit-elle.

À la source de ces métaphores, elle examine dans un premier temps comment les fournisseurs d’outils d’édition définissent leurs services. Blogger, un des premiers services à voir le jour, a introduit la notion d’«édition automatique» (push-button publishing). Xanga se définit comme une collectivité de journaux personnels en ligne. «Un puissant service d’hébergement qui offre aux utilisateurs des fonctions avancées pour publier et partager immédiatement de l’information (carnets de voyage, journaux personnels, albums numériques) sur le Web» sert à Typepad pour se décrire. Diaryland et LiveJournal ont intégré à leur raison sociale les concepts de journal personnel (diary, journal).

Notons qu’en français on a eu aussi droit à nos propres métaphores élargissant le champ notionnel. D’abord un débat sur les blogues par opposition aux journaux (le blogueur diariste) et/ou carnets (le blogueur carnetier). On a vu l’apparition du «joueb» (contraction de jouet et Web). Un service a pris le nom de «haut et fort» présumant ainsi du ton que sa clientèle adopterait. Je n’ai pas participé à ces débats, et ne tiens pas à les relancer ici, souhaitant seulement noter au passage que la tendance métaphorique n’est pas réservée à la blogosphère anglo-saxonne.

Pour Boyd, l’emploi par les fournisseurs de services de métaphores empruntées à l’édition ou à la tenue de journaux ne tient pas compte de la collectivité dans laquelle un blogue s’inscrit, du contenu, de la pratique, et j’ajouterais du but visé. La presse traditionnelle a recours aux mêmes métaphores et met constamment l’accent, selon Boyd, sur les notions de journal personnel et de journalisme amateur. Les blogueurs eux-mêmes utilisent des métaphores pour décrire ce qu’ils font et parlent parfois de «passer un billet», de créer un «signet social» ou de «prendre des notes sur le terrain».

Elle écrit : «Les descriptions métaphoriques sont d’une grande utilité pour les non-initiés qui tentent de comprendre le phénomène, ou pour les nouveaux blogueurs qui essaient de se définir par rapport à ce que les autres font. Mais au fur et à mesure que nous absorbons le phénomène blogue, les blogueurs trouvent que les métaphores portent à confusion, sont trompeuses et font problème. Tout comme définir le courriel en fonction de la poste traditionnelle néglige des aspects inhérents du courriel, l’utilisation de métaphores pour définir les blogues échoue à bien en saisir l’essence.»

Nombreux sont les blogueurs à qui Boyd a parlé pour établir sa recherche qui s’expriment en généralités sur le phénomène blogue, et ne préciseront les termes que pour décrire ce qu’ils font individuellement. Avec le temps, l’emploi de métaphores s’estompe chez les blogueurs, mais pas chez ceux qui tentent d’appréhender le courant social et technologique dont ils sont le moteur. Il n’y a aucun mal, selon Boyd, à utiliser des métaphores, sauf qu’elles ne communiquent qu’une image partielle de la réalité.

Certains blogues relèvent carrément du journalisme, et on y trouve des contenus supérieurs en qualité et en pertinence à ce qu’on peut lire dans des journaux ou périodiques, ou entendre ou voir dans les médias électroniques. Nombreux sont les blogues, aussi, qui sont des formes évoluées sur le plan technologique du journal personnel. L’auditoire sera plus restreint, le ton plus intime, on ne documente pas sa vie en temps réel devant une foule de 50 000 étrangers.

Mais ces deux formes de blogue, pour ne parler que de celles-là, on davantage en commun que ce qui pourrait les diviser selon Boyd : «En prenant un peu de recul par rapport au contenu et en se penchant davantage sur la pratique, on constate qu’il y a des lieux communs, et pas uniquement des divisions. Les blogueurs produisent avec assiduité du contenu pour lequel ils sont passionnés, à l’intention d’un lectorat qu’ils sentent disposés à accepter leurs propos. Ce faisant, ils construisent des représentations numériques d’identités et des artefacts qui agissent comme histoire cognitives. Ils valorisent la tension qui peut exister entre ce qui est public et ce qui est intime, entre le formel et l’informel, entre l’oralité et la textualité.»

Boyd décrit l’influence du chercheur Walter Ong dans la définition de la textualité et de l’oralité en se basant sur leurs caractéristiques propres dans le discours psychologique et culturel. Il a également cerné la notion d’oralité secondaire qui, selon la perspective, s’installerait avec toute nouvelle technologie de communication médiée par ordinateur.

Le fait de bloguer se situe à la limite d’autres pratiques communicationnelles, et on résiste difficilement à l’envie d’employer la métaphore de nouvelle frontière. Mais pour bien analyser le phénomène des blogues, nous devons selon Boyd nous éloigner des comparaisons avec des pratiques connues et regarder du côté des tensions évoquées plus haut, de l’altérité et de l’oralité secondaire, et surtout scruter ce en quoi consiste actuellement, sur le plan liminal, l’action de bloguer.
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Des blogues sous le sapin?

C’est Miss Information qui m’a mis sur la piste de ce nouveau service, lancé à l’occasion de Noël, et qui est des plus original. Blogs for Xmas (Des Blogues pour Noël) vous propose d’abonner sans frais quelqu’un à un service d’envoi par courriel d’avis de mises à jour de blogues. L’offre se présente en cinq forfaits cumulables regroupant 24 blogues en cinq catégories (politique, sports, musique, intérêt général, science), et on peut également inscrire des blogues de son choix (fil RSS) qui ne comptent pas parmi les forfaits.

À compter du 25 décembre, la personne que vous abonnez à ce service recevra un courriel par jour avec la liste (avec adresses) des blogues qui ont été actualisés au cours des dernières 24 heures; elle pourra modifier à volonté la liste des blogues dont elle reçoit les avis de modification, ou résilier en tout temps son abonnement au service. La formule est novatrice. Elle vise, selon les auteurs, à sensibiliser à cette forme de contenu des personnes qui ne connaîtraient pas les blogues ou qui n’utiliseraient pas les fils RSS.

La liste de forfaits pré-emballés est intéressante, regroupant certains des blogues que je lis assez régulièrement comme Talking Points Memo de Josh Marshall, Wonkette de Ana Marie Cox, ou du collectif de BoingBoing, et excluant certains blogues tonitruants de la droite politique religieuse qui pullulent ces temps-ci. J’ai eu cependant un peu de difficulté à la lecture des motifs des initiateurs du projet, «Nous voyons Blogs for Xmas comme un évangélisme stratégique pour un phénomène qui a déjà du succès.»

Prise 2 : évangélisme stratégique? Serais-je tombé dans un guet-apens dressé par la droite religieuse de Dubya?

Je ne crois pas. Le projet Blogs for Xmas est issu de la Participatory Politics Foundation dont la création a été annoncée officiellement le 17 décembre, mais pour laquelle l’idée mijotait depuis l’été dernier. On explique sur le site de la fondation vouloir éliminer les contraintes pratiques à la participation citoyenne en politique, et créer des outils pour sites Web et des logiciels qui faciliteront un engagement social tant en ligne qu’hors ligne.

Blogs for Xmas n’est que le premier projet de la fondation à voir le jour. Entre autres, on projette un suivi en collaboration des projets de loi (Collaborative Bill Tracking) qui permettra aux citoyens de savoir à tout moment où en sont rendus les travaux législatifs dans une foule de dossiers en rassemblant en un seul point de référence les textes, amendements, articles de presse, commentaires et autres informations sur les initiatives législatives. On offrira aussi un logiciel à source ouverte, OpenCongress, que les groupes ou particuliers pourront utiliser sur leurs sites Web pour écrire aux législateurs ou aux médias en exploitant une base de données commune. Sans oublier le blogue The Regular qui traite de l’actualité politique et qui fonctionne déjà à plein régime.

Les travaux de la Participatory Politics Foundation s’inscrivent donc dans la mouvance de réappropriation de l’espace politique prôné par Howard Dean et de participation au discours médiatique en «devenant des médias» que préconise Dan Gillmor.

Si la mode était encore aux prévisions de fin d’année, on pourrait sûrement citer cette tendance forte.
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17.12.04

Journalistes-otages : bientôt quatre mois

RSFC’est le 20 août que Christian Chesnot et Georges Malbrunot, deux journalistes français, et leur accompagnateur syrien Mohammed Al-Djoundi (libéré en novembre), ont été enlevés sur la route de la ville sainte de Nadjaf en Irak par un groupe islamiste armé (l'Armée islamique en Irak) qui a revendiqué leur rapt. Christian Chesnot, 38 ans, basé à Amman, en Jordanie, travaillait pour les antennes de Radio France et le quotidien La Tribune de Genève. Georges Malbrunot, 41 ans, couvrait l'actualité du monde arabe depuis 1993 pour Le Figaro, Ouest-France, L'Est Républicain, Le Point et RTL. Dossiers de RFI et du Quai d’Orsay sur l’affaire. Aussi, le site Web d’un comité de soutien, et une campagne de sensibilisation de Reporters sans frontières pour la libération des deux otages. Grâce au réseau publicitaire Insert, 2 500 affiches (illustration à gauche) de 60x80 cm seront visibles dans Paris et les grands centres urbains du 20 au 26 décembre. Ali Merhebi, beau-frère de l'interprète Mohammed Al-Joundi, libéré par les forces américaines à Falloujah le 11 novembre dernier, s'est également mobilisé «par amitié envers Georges, Christian et leurs familles». Il a fait imprimer plus de 5 000 cartes postales reprenant le même visuel. Au verso de ce document est inscrit le message actuellement diffusé sur les grandes radios nationales : «Je ne les oublie pas. Ne les oubliez pas.»

Mise à jour, 21 décembre

Communiqué de la Présidence de la République
Paris, 21 décembre 2004 : Les deux journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot viennent d’être libérés à Bagdad et remis aux autorités françaises. Ils seront de retour en France dès que possible.

AFP : Quatre mois de captivité pour les deux journalistes français en Irak
Chronologie de leurs quatre mois de captivité.
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Congédiement pour cause de blogue

Queen of the SkyVous êtes certainement au courant de l’affaire de l’hôtesse de l’air congédiée pour avoir diffusé sur son blogue des propos et des photos que son employeur n’a pas appréciés. Sinon, bref rappel des faits. Ellen Simonetti, nom de blogueuse Queen of the Sky, est hôtesse de l’air à l’emploi du transporteur étasunien Delta. Le 25 septembre dernier, son employeur lui annonce qu’elle est suspendue pour avoir diffusé des photos d’elle sur son blogue, des photos que Delta juge inappropriées. Le problème n’est pas qu’elle est dévêtue sur ces photos, au contraire, elle porte ses vêtements de travail, soit l’uniforme des hôtesses de Delta, bien qu’elle ne cite pas le nom de son employeur. Sa première réaction est de retirer les photos de son blogue. Le 6 octobre, Delta lui confirme le motif de sa suspension, soit la diffusion de photos jugées inappropriées. Simonetti fait une recherche sommaire sur le Web, et trouve quelques blogues d’employés masculins de Delta qui affichent de leurs photos portant l’uniforme du transporteur. Elle décide de porter plainte contre Delta pour cause de discrimination basée sur le sexe; le 29 octobre on lui signifie son congédiement pour «diffusion de photographies inappropriées en uniforme sur le Web».

Simonetti explique dans TechRepublic que son blogue était une forme de thérapie, ayant récemment traversé une période difficile dans sa vie, et qu’elle trouvait plus facile d’écrire ses sentiments que de les exprimer verbalement. Elle a décidé de reprendre l’écriture sur son blogue, et de dénoncer le «backlash» des employeurs face à des employés qui tiennent des blogues.

L’ex-hôtesse de l’air affirme que le problème, mis à part quelques cas célèbres, est plus répandu qu’on ne le croit, et dit avoir reçu des courriels de nombreux blogueurs dont les patrons n’aiment pas les propos qu’ils tiennent. Commentaires sur des collègues de travail, ou à propos de l’entreprise, seraient parmi les motis les plus souvent invoqués pour exercer des pressions sur les blogueurs. Simonetti déclare avoir décidé de se battre contre l’arbitraire et pour la liberté d’expression.

Dans le cadre juridique français, le site de veille technologique L’Atelier a demandé à Maître Murielle Cahen, avocate à la Cour de Paris et spécialiste du droit des technologies de l'information et de la communication, de fournir des précisions.

«Aux États-Unis, la liberté d'expression est très large. Le premier amendement de la Constitution fédérale américaine se contente d'interdire au législateur fédéral toute intervention. Mais cela fait qu'il y a un vide juridique et malgré une plus grande intervention des pouvoirs publics depuis le 11 septembre 2001, de nombreux abus sont constatés. C'est un peu la loi du plus fort qui s'applique.

L'Atelier - Un salarié d'une entreprise française a-t-il le droit de publier sur son blog une photographie de lui en uniforme, ou en arborant un vêtement identifié comme appartenant à son entreprise?


Me M. C. - Chacun dispose sur son image d'un droit exclusif. Un salarié peut donc diffuser sur son blog une photographie de lui en uniforme. Cependant, il ne doit pas, notamment en vertu de son obligation de loyauté, avoir une attitude ridicule, malveillante ou dévalorisante qui porterait atteinte ou désavantagerait l'entreprise et sa notoriété.»

Reste à voir comment la Commission sur l’équité en matière d’emploi des États-Unis tranchera dans l’affaire de la plainte déposée contre Delta par Simonetti. En 2003, la Commission a reçu 24 362 plaintes de discrimination basée sur le sexe, mais c’est certainement la première fois qu’elle aura à statuer sur une question relative aux blogues.
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Kevin Sites

Kevin SitesSuis-je le seul à me demander pourquoi on n’entend plus parler de Kevin Sites? Le 13 novembre, le journaliste et cameraman filme l’assassinat par un militaire étasunien d’un insurgé irakien blessé dans une mosquée de Falluja. L’affaire fait grand bruit dans la presse, la droite l’accuse (entre autres) de manquer de patriotisme, un rare chroniqueur prend sa défense. Le 21 novembre Sites s’explique sur son blogue en s’adressant aux militaires présents lors des événements : «Voici, en bout de ligne, le fond de l’histoire : lorsque l’Irakien dans la mosquée constituait une menace, il était votre ennemi; lorsqu’il a été maîtrisé, il est devenu votre responsabilité; lorsqu’il a été tué devant mes yeux et devant ma camera, le récit de sa mort est devenu ma responsabilité.» Or depuis, plus un mot de Sites, sur son blogue ou ailleurs. En passant, à Bagdad, minimum la nuit prochaine de -4 C sous un ciel nuageux; demain, ensoleillé et un maximum de 11 C avec un indice UV de 3.
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16.12.04

Utilisation de photos sur les blogues

Bonne question...Depuis que les blogues sont blogues, la question se pose à a savoir si un blogueur peut s’approprier une photo et la diffuser sur son blogue. En fait, la question remonte à l’ancêtre du blogue, la page Web perso, «status symbol» de l’année 1996. On aura compris que je ne parle pas ici des photoblogues, mais des blogues plus généralistes ou orientés sur l’actualité. D’une part on parle d’oeuvres protégées par doit d’auteur, d’autre part on sert le concept d’utilisation équitable, le fair use. Jason Calacanis, propriétaire de Weblogs Inc. (maison de création de blogues pour les entreprise) et lui-même blogueur, a relancé la discussion en demandant à deux photographes connus s’ils consentiraient à ce que leurs photos soient reprises, par exemple sur des blogues, sans que de droits ne leurs soient versés. En aucune circonstance, ont-ils répondu, car les agences qui les emploient l’interdisent. Pourtant, on voit une profusion d’images théoriquement «protégées» reprises dans la blogosphère.

Aux États-Unis, la Loi sur le droit d’auteur, chapitre 1, article 177 dispose des suivantes :

«Nonobstant les dispositions des articles 106 et 106A, l’utilisation équitable d’une oeuvre protégée, y compris l’utilisation de la dite oeuvre à des fins de copie ou de phonogramme ou par tout autre moyen déterminé dans la présente loi, à des fins de critique, de commentaire, de reportage, d’enseignement (y compris les copies multiples servant en salle de classe), de bourse d’étude ou de recherche, ne constitue pas une infraction au droit d’auteur. En déterminant si, dans un cas spécifique, l’utilisation d’une oeuvre protégée est équitable, il faudra tenir compte des facteurs suivants :

(1) Le but et la nature de l’utilisation, y compris à savoir s’il s’agit d’une utilisation commerciale ou d’une utilisation sans but lucratif à des fins d’enseignement;
(2) La nature de l’oeuvre protégée;
(3) La proportion de l’oeuvre utilisée par rapport à son tout;
(4) L’effet de l’utilisation de l’oeuvre protégée sur son marché potentiel ou sa valeur. Le fait qu’une oeuvre soit inédite ne porte aucune entrave à son utilisation si la dite utilisation est conforme aux critères cités.»

Au Canada, la loi est plus floue, comme l’explique cette note de Patrimoine canadien :

«La Loi sur le droit d'auteur renvoie à une utilisation équitable, mais le terme lui-même n'y est pas défini. On peut invoquer une utilisation équitable pour se défendre contre une accusation d'avoir violé le droit d'auteur. Toutefois l'utilisation équitable n'est pas une exception qui exige une autorisation préalable. Ce n'est que lorsqu'une violation du droit d'auteur est établie qu'on peut invoquer l'utilisation équitable pour se défendre.

La Loi sur le droit d'auteur indique que la défense d'utilisation équitable peut être utilisée dans les seuls cas suivants : étude privée, recherche, critique, compte rendu ou résumé destiné aux journaux. Ainsi, une personne accusée d'une violation de droit d'auteur pour avoir reproduit sans autorisation des extraits d'une œuvre littéraire pourrait invoquer, en guise de défense, que c'était une utilisation équitable, se rapportant à l'un des cas défini par la loi.»

Bref, les blogueuses et blogueurs canadiens nagent dans le flou en ce qui a trait à l’utilisation de certaines photos sur leurs blogues, et il faudrait attendre une hypothétique poursuite pour établir un précédent.

Cette semaine, j’ai demandé à deux blogueurs la permission d’utiliser leurs photos, avec mention de la source, estimant que c’est la moindre des courtoisies. Dans les deux cas la réponse a été positive, et très rapide à venir. J’ai utilisé deux photos pour le dossier Roadsworth, et je m’en garde une troisième en réserve pour un billet à venir. Parfois, comme ici, je ne m’en formalise pas, m’appuyant sur les quatre critères contenus dans les dispositions de la loi étasunienne. Il y a aussi les photos de personnalités qui figurent sur les sites Web officiels, ou les photos d’auteurs offertes par les éditeurs. Dans les deux cas, l’utilisation avec mention est appréciée par ces sources. Mais bien souvent, à défaut de demander une permission (qui avec les grands organismes peut prendre des semaines à venir), on est dans une zone grise.

Faudrait-il définir plus étroitement ou mieux baliser les blogues, qui on le sait oscillent entre critique, étude privée, commentaire, compte-rendu, recherche, reportage et résumé? Faudra-t-il une cause-type pour clarifier la question? Ou encore pourra-t-on confirmer la pratique comme étant, au plein sens du mot, équitable?
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14.12.04

Ma lettre au maire

Dans le dossier Roadsworth, voici le texte de la lettre que j’ai fait parvenir à M. Gérald Trembay, maire de Montréal. (Remerciements à Zeke pour la photo)

M. Gérald Tremblay, maire
Ville de Montréal

Monsieur,

C’est avec un étonnement certain que j’ai appris qu’un artiste de rue, surnommé Roadsworth, faisait face à des accusations de méfait pour avoir enjolivé à sa manière certains espaces publics. À mon avis, loin des notions de méfait et de vandalisme, la contribution au paysage urbain de cet artiste du pochoir relève de la générosité et du partage.

On déplore tous et toutes les gribouillages sauvages qui ruinent certaines surfaces de la ville. Que ce soit pour leur caractère que certains pourraient qualifier d’obscène, d’homophobe ou de raciste, ce sont là des gestes qu’ils faut de toute évidence décourager. Je suis également conscient des coûts qu’entraîne l’effaçage, des coûts qui se répercutent sur l’ensemble de la collectivité montréalaise.

Mais dans le cas qui nous occupe, il s’agissait d’enjolivures discrètes et artistiques de surfaces de béton et de pavé. Lorsque j’ai vu apparaître ces garnitures de macadam, l’idée m’a même effleurée qu’il pouvait s’agir d’une initiative de mon conseil d’arrondissement, tellement elles cadraient avec l’esprit du quartier et relevaient du bon goût.

Aucune des enjolivures mentionnées que j’ai vues ne porte atteinte à la signalisation urbaine, aucune ne peut constituer un danger par méprise de la part des piétons, aucune n’affiche un caractère offensant, aucune ne menace la paix publique.

Je sais qu’un maire doit se garder d’intervenir de trop près dans la gestion quotidienne des affaires policières. En revanche, un maire peut orienter certains axes d’intervention. Dans le cas Roadsworth, j’aimerais vous suggérer de demander au Service de police de revoir la politique qui l’a guidée dans ce dossier, et évidemment de revoir les accusations qui pèsent sur l’artiste.

Le 6 novembre 2005, les Montréalais et Montréalaises iront aux urnes pour élire un maire. Ils chercheront un candidat ou une candidate qui soit à l’écoute de leurs préoccupations, qui soit disposé à accorder une plus grande place à l’expression citoyenne dans la gestion de la cité, bref, qui soit ouvert au dialogue.

Je suis persuadé qu’un règlement à l’amiable de l’affaire Roadsworth illustrerait que vous possédez ces qualités.

Cordialement,

Jean-Pierre Cloutier, citoyen

P.S. Je me permets de faire parvenir copie de la présente lettre à Madame Helen Fotopoulos, mairesse d’arrondissement du Plateau Mont-Royal, puisque bon nombre des contributions de Roadsworth au paysage urbain ont été faites dans ledit arrondissement.
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13.12.04

Suicide de Gary Webb

Gary WebbLe journaliste Gary Webb a été retrouvé sans vie à son domicile de Carmichael (Sacramento County, Californie) vendredi dernier, 10 décembre. Le corps portait une blessure d’arme à feu à la tête; le bureau du coroner local traite l’affaire comme un suicide. Ce sont des déménageurs qui ont alerté la police après avoir découvert sur sa porte une note sur laquelle il était écrit «Prière de ne pas entrer. Appelez le 911 et demandez une ambulance». En 1996, Webb avait publié dans le San Jose Mercury News une série d’articles intitulée «Dark Alliance» dans laquelle il établissait un lien direct entre l’entrée du crack (drogue composée à partir de cocaïne) dans les quartiers noirs de San Francisco, et une opération de financement des contras nicaraguayens qui se serait déroulée avec l'aide d'agents de la CIA. La drogue entrait aux É.-U. avec la complicité de la CIA qui, avec les produits de la vente, procédait à l'achat d'armes destinées à renverser le gouvernement sandiniste.

Peu après la publication initiale de son dossier dans le Mercury News, la direction du journal répudia la série d’articles et muta Webb à un de ses bureaux de banlieue. L’organisme de veille des médias journalistiques Fairness and Accuracy in Media Reporting (FAIR) avait en octobre 1996 déploré le peu de suivi accordé aux révélations de Webb par les grands médias nationaux. Puis, en janvier/février 1997, FAIR revenait en profondeur sur le dossier et accusait alors les grands médias de minimiser les dégâts possibles des révélations de Webb pour le compte de la CIA. Commentaire de FAIR ce lundi 13 décembre 2004, «Bien avant le suicide de Webb, son travail a été assassiné par les grands journaux». En 1998, le dossier de Webb Dark Alliance était publié sous forme de livre.

Le journaliste Robert Parry, auteur de Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq et Lost History: Contras, Cocaine, the Press & 'Project Truth' écrit dans Consortium News : «Le décès de Webb devrait nous rappeler que sa grande contribution à l’histoire des États-Unis a été, avec l’aide de citoyens de race noire en colère, de forcer le gouvernement à admettre certains des pires crimes jamais commis par une administration étasunienne, soit la protection du trafic de drogue aux États-Unis dans le cadre d’une guerre clandestine contre un État, le Nicaragua, qui ne constituait aucune menace réelle pour notre pays.»

Le netmag Counterpunch publiera au cours des prochains jours une sélection des articles de Webb tirée de la série Dark Alliance.

Mise à jour, 14 décembre

The Nation: Gary Webb Is Dead

Dissident Voice: R.I.P. Gary Webb - Unembedded Reporter

Michael C. Ruppert: A Giant Falls

Mise à jour : 16 décembre 2004

Narco News Bulletin - Gary Webb: Do What He Did

L.A. Weekly: Gary Webb, RIP - No thanks to the L.A. Times

L.A. CityBeat: Death by Press

Guerilla News Network - Gary Webb: A hero of authentic journalism

The Free Press: Gary Webb and the art of the CIA cover-up

Richard Thieme: My Last Talk with Gary Webb

Democracy Now: Investigative Reporter Gary Webb Found Dead of Apparent Suicide

Press Action: Who Killed Gary Webb?

Mise à jour : 21 décembre

Charles Bowden on the Legacy of Gary Webb: "He Drew Blood"

Alexander Cockburn: From Kobe Bryant to Uncle Sam
Why They Hated Gary Webb


Richard Thieme: The Meaning of Sacrifice

Esquire: Gary Webb, 1955 - 2004

Bill Forman and Melinda Welsh: Gary Webb remembered

Tom Walsh: A sad goodbye

Nick Schou: Kill the messenger
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Incroyable mais vrai...

Roadsworth, credit to Zeke.Ce billet est inspiré de Martine qui le tenait de Zeke. Je les avais remarquées en plusieurs endroits du Plateau, ces enjolivures de béton et de pavé. Sans savoir d’où elles venaient, ni celui ou celle qui en était l’auteur, je trouvais la démarche éminemment sympathique. Un peu de fantaisie dans la grisaille urbaine, l’idée m’a même effleurée qu’il pouvait s’agir d’une initiative du conseil d’arrondissement, une extension de la Grande Fresque de Nuit. Eh non, il s’avère que ces garnitures de macadam sont l’oeuvre d’un artiste local, nom de pinceau Roadsworth, que les autorités municipales récompensent de sa générosité en déposant contre lui 85 chefs d’accusation pour méfait! (Voir l’article du Montreal Mirror). Pour Zeke (moins connu sous le nom de Chris Hand), il s’agit de demander poliment et gentiment aux autorités de laisser tomber les chefs d’accusation qui pèsent contre Roadsworth. On a, en effet, bien de la difficulté à associer les enjolivures réalisées au pochoir dans nos rues à la définition de méfait qui figure dans le Code criminel. Suggestion de texte de lettre à faire parvenir à l’inspecteur responsable au Service de police et au maire, avec coordonnées courriel, sur le site de Zeke que je remercie au passage pour l'utilisation de la photo.
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Les blogues du Christian Science Monitor

Le quotidien Christian Science Monitor diffuse depuis octobre un certain nombre de blogues de ses journalistes et correspondants. On y retrouve entre autres Dave Cook, correspondant à Washington, le photographe John Nordell qui publie un photoblogue, et Ruth Walker qui parle «des mots». Flux RSS disponibles.
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12.12.04

Blogues et politique : zone grise

La chaîne CBS diffuse un reportage qui soulève des questions importantes sur la diffusion de blogues en période électorale, Blogs: New Medium, Old Politics. Au Dakota Sud, lors de l’élection de novembre, le républicain John Thune a défait le leader démocrate du Sénat Tom Daschle. C’était un siège très contesté à cause de la position influente de Daschle dans le parti; dans cet État qui compte un peu plus de 750 000 habitants (statistiques de juillet 2003), et 400 000 électeurs, Thune a obtenu 197 813 voix, et Daschle 193 279. Mais les deux candidats ont dépensé près de 33 millions de dollars pour leurs campagnes respectives, soit environ 82 dollars par vote exprimé.

Bien que 35 000 dollars pèsent peu, eu égard aux chiffres cités plus haut, c’est justement sur cette somme que CBS s’interroge. Un certain John Lauck puliait un blogue pro-Thune, Daschle v. Thune sur la campagne sénatoriale au Dakota Sud, tout comme Jason Van Beek avec son South Dakota Politics (Les deux écrivent maintenant sur ce second blogue.) Or, selon CBS, l’organisation de John Thune aurait versé 27 000 $ à Lauck et 8 000 $ à Van Beek, sans que ces derniers n’indiquent sur leurs blogues qu’ils étaient rémunérés par Thune.

CBS s’empresse de dire qu’aucune loi n’a été transgressée, car il n’y a aucune mention des blogues dans les lois électorales étasuniennes, donc aucun précédent sur lequel se baser. Pour Kevin Goldberg, conseiller juridique à l’American Society of Newspaper Editors, la question est épineuse car elle revient à devoir décider si on associe un blogue à l’expression politique individuelle, ou à une publication média qui serait l’équivalent d’un journal en ligne.

Pour l’instant, il ne semble pas y avoir urgence à trancher selon les observateurs, mais il importerait de la faire avant que s’amorcent les cycles électoraux de 2006 et 2008.
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