14.1.05

«Pourrais-je vous citer...»

En marge de la conférence Blogging, Journalism & Credibility qui se tiendra les 21 et 22 janvier prochains sous l’égide de la faculté de Droit de l’université Harvard, Rebecca MacKinnon de Rconversation commente une proposition de Martin Kuhn, postulant au doctorat en journalisme et communication de masse, visant à l’adoption d’un code d’éthique pour les blogueurs. Curieusement, le texte en question ne figure pas sur le site de Kuhn, mais on le trouve en format PDF depuis le blogue de MacKinnon.

Toujours est-il que MacKinnon a sursauté tout autant que nous à ce passage du code d’éthique proposé par Kuhn : «Se rendre imputable de l’information qu’on publie. Citer et inclure des liens vers toutes les sources mentionnées dans un billet, et obtenir la permission préalable pour proposer des liens vers d’autres blogues ou contenus Web.»

Pour MacKinnon, «Il est impossible d’adhérer à cette proposition si on veut bloguer sur des sujets à point nommé, et inutile si les liens pointent vers des espaces publics du Web dont le but est d’obtenir la plus large diffusion possible de leurs contenus.»

Le débat n’est pas nouveau, on en a parlé il y a neuf ans, et l’argument n’a pas tenu. On se demande donc pourquoi, s’il faut un code d’éthique des blogueurs (ce dont on doute), qu’il faille retomber dans une des aberrations qu’on croyait dissipée depuis belle lurette.

En marge de la question des citations et de l’éthique, on jase dans la blogosphère d’une modification apportée à un document en format PDF qui rendrait impossible d’effectuer un copier/coller du texte. Il s’agit du rapport d'enquête d’un groupe d’experts sur les erreurs déontologiques de la chaîne CBS dans l’affaire des faux états de service militaires de George Bush. L’affaire, on s’en souviendra, a éclaté en pleine campagne présidentielle, et s’est soldée par le congédiement de quatre employés, et la retraite en douce, bientôt, du présentateur Dan Rather.

Or, alerté par un collègue journaliste, Seth Finkelstein du blogue Infothought a procédé à un examen du fichier PDF du rapport du groupe d’experts, et constaté qu’on en avait modifié les propriétés depuis sa publication initiale pour interdire les copier/coller. On aurait modifié de la même manière la version du rapport publiée par le cabinet d’avocats retenu par CBS dans cette affaire.

On dira que ce n’est pas l’affaire du siècle, et j’en conviendrai, mais cette modification du fichier PDF, après sa diffusion initiale, porte à croire que CBS ne veut pas faciliter la tâche à ceux et celles qui voudraient commenter ou citer ledit rapport.
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13.1.05

Les armes de destruction massive, en citations

C’est maintenant officiel, on n’a trouvé aucune arme de destruction massive en Irak. Voir la transcription du point de presse du porte-parole de la Maison blanche du 12 janvier.

Bref on peut respirer, et c’est plus qu'on puisse en dire pour 1 517 militaires de la coalition, et plus de 100 000 civils irakiens.

Curieux de l’évolution de cette idée des ADM en Irak, Today In Iraq nous propose une liste des citations clés dans ce dossier, du 26 août 2002 au 12 janvier 2004, mettant en vedette tous nos personnages favoris dans cette saga, comme George Bush, Donald Rumsfeld, Colin Powell, le général Tom Franks, Condoleezza Rice, Paul Wolfowitz et autres.

Une de mes préférées, celle de Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense, dans une entrevue accordée au mensuel Vanity Fair, édition du 28 mai 2003 : «Pour des raisons bureaucratiques, nous nous sommes entendus sur une question, les armes de destruction massive (pour justifier l’invasion de l’Irak), car c’était la seule sur laquelle nous pouvions faire consensus.»
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Des appuis aux blogueurs justiciables

AsteroidLe 23 novembre dernier, le site/blogue AppleInsider publie un article dévoilant les détails techniques d’une nouvelle interface audio pour les utilisateurs de GarageBand (système de traitement de musique), et dont le nom de code serait  Q97 ou Asteroid. Le produit est encore en développement, selon le magazine spécialisé dans la technologie Apple, et sera lancé en janvier à l’occasion de la foire MacWorld, mais on propose même aux lecteurs une représentation graphique de l’interface, ses modes de connexion, les plate-formes compatibles, le volume d’unités produites envisagé, le fabricant sous-traitant, le prix de détail suggéré, etc. Bref, AppleInsider donne le topo complet sur un produit qui n’est pas encore sur le marché.

L’information publiée est attribuée à des personnes proches de Apple, manifestement des «insiders». Le site/blogue PowerPage publie également un article sur Asteroid (retiré du son site depuis).

Le 13 décembre, devant un tribunal californien, Apple obtient la permission d’émettre des subpoenas à l’endroit de AppleInsider et de PowerPage pour qu’ils divulguent l’identité des sources de la fuite. Le 4 janvier, Apple obtient également la permission d’exiger du site ThinkSecret qu’il dévoile aussi le nom de ses sources pour un article qui publiait des détails du nouveau Mac écono avant même son lancement.

Le 10 janvier, la Electronic Frontier Foundation (EFF) se porte à la défense des intimés pour «protéger leur droit à tenir confidentielle l’identité des personnes qui lui ont communiqué l’information.» Voir sur le site de l’EFF les documents afférents à la cause. Pour l’EFF, les blogueurs et éditeurs de sites Web jouissent des mêmes droits que les journalistes en vertu des lois et de la Constitution des États-Unis, nommément de pouvoir garantir la confidentialité à leurs sources.

Selon ThinkSecret, l’interface n’a pas été dévoilée lors de la foire MacWorld en raison du tapage médiatique et des actions juridiques qui entourent l’affaire des fuites.

Dans les documents présentés devant le tribunal californien, Apple dit ne pas vouloir s’en prendre aux garanties constitutionnelles de libre expression, mais affirme que ces garanties «ne s’appliquent pas aux pratiques illégales des mis en cause de s’approprier et de diffuser des secrets commerciaux obtenus en violation flagrante des obligations de confidentialité.»

Le tribunal californien a pris les demandes de Apple en délibéré. Un histoire à suivre. Mais les observateurs rappellent à juste titre la cause des journalistes Judith Miller du New York Times et Matthew Cooper du magazine Time qui ont été accusés de mépris du tribunal pour avoir refusé de nommer leurs sources ayant mené à l’identification d’un agent de la CIA en 2003.

Il semble donc que ces jours-ci, la notion de blogueur/journaliste hante bien des esprits. Aussi à lire, l’article de Adam Penenberg dans Wired News sur une autre perspective du débat, soit les éventuels conflits d’intérêts pour les journalistes de médias traditionnels qui publient des blogues personnels.

Parallèlement à l’affaire Asteroid, la Media Bloggers Association lance un projet de défense juridique à l’intention des blogueurs qui seraient aux prises avec des problèmes de diffamation ou de propriété intellectuelle en raison de ce qu’ils publient sur leurs blogues. La MBA a confié au juriste Ronald D. Coleman la direction de ce projet. Lui-même blogueur (Likelihood of Confusion), Coleman entend constituer un réseau d’avocats qui pourront se porter à la défense de blogueurs aux prises avec d’éventuelles poursuites.
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12.1.05

Backfence, bientôt dans un quartier près de chez-vous

On sait encore peu de choses précises sur Backfence, un service d’information à base de journalisme participatif qui doit voir le jour au cours du premier trimestre dans la région de Reston et de McLean (Virginie). Ses fondateurs sont Mark Potts (un des co-fondateurs de WashingtonPost.com) et Susan DeFife (jusqu’à tout récemment v.-p. de la société NPD Group, spécialiste en information stratégique aux entreprises).

Backfence misera sur le Web de proximité (on utilise le terme hyperlocal) en mettant à la disposition de collectivités toute l’information de nature communautaire (au sens large) à l’aide de sites Web intégrant blogues d’information, forums d’échange et de discussion, wikis, fils RSS, annonces classées, annuaire local de «pages jaunes», etc., le tout étant produit bénévolement par des résidants de ces collectivités. L’accès sera gratuit pour tous, et l’infrastructure se financera par la publicité locale. Si le premier Backfence s’avère concluant, Mark Potts à déclaré au Washington Post qu’on envisage en implanter d’autres dans 16 agglomérations métropolitaines d’ici trois ans.

Cité dans Press Think, Potts ajoutait : «En cette période où les consommateurs d’information sont de plus en plus frustrés par ce qu’ils perçoivent être la nature condescendante du journalisme, Backfence se présente avec une approche locale, communautaire et participative pour aider les membres de collectivités à partager l’information qu’ils estiment importante pour eux.»

Backfence prendra de vitesse un projet semblable, Pegasus News, dont les promoteurs prévoient le lancement à la fin de 2005 à Dallas. Si ces projets intéressent les observateurs de la tendance au journalisme participatif, certains autres expriment des réserves sur l’arrivée de nouveaux joueurs dans l’arène média, qu’ils se réclament ou non du modèle participatif.

Comme l’explique le chroniqueur Steve Outing, il est clair que l’entrepreneuriat se saisira de quelques bonnes affaires en journalisme participatif. Par contre, «si une entreprise s’impose comme leader dans ce marché, elle pourrait prendre une telle expansion si rapidement que les entreprises des médias traditionnels auront du mal à la rattraper.»

Et c’est un peu une crainte qu’on partage, soit qu’une idée «bottom-up» comme le journalisme participatif soit accaparée par l’arrivée de tenants du «top-down» entrepreneurial et, qu’à terme, on reproduise les structures qui sont aujourd’hui contestées.
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L’info-minute

Paul Cauchon du Devoir (Après la malbouffe, la «mal info»?) revient sur un thème lancé par l'Observatoire du débat public (France), soit la consommation de l’info-minute. Voir aussi Le Monde et Libération.

Il rappelle l’origine de l’expression : «L'Observatoire du débat public a intitulé son étude “la mal info” parce que, pour décrire leur comportement, les Français utilisaient souvent des métaphores alimentaires : ils parlaient de l'information comme d'un besoin fondamental, aussi important que de se nourrir, se loger ou se vêtir et ils disaient qu'ils avaient “faim”, qu'ils “picoraient”, qu'ils “digéraient”, qu'ils étaient “gavés” de nouvelles.»

Le risque de l’info-minute, comme l’explique Cauchon, est que «lorsqu'on interroge les gens sur les événements de la journée [...] ils ont de la difficulté à se souvenir du contexte et du déroulement exact des événements. Il ne reste souvent que “le sentiment superficiel de savoir.”» Autrement dit, la consommation de l’info-minute laisserait la fausse impression d’être rassasié, et aussi d’avoir «le sentiment d'obtenir trop d'informations superficielles et de ne pas assez comprendre ce qui soutient ces mêmes informations.» Et de conclure Cauchon, «Mais on pourrait toujours ajouter que dépasser la mal info relève de la responsabilité individuelle. C'est aussi à chacun d'aller au-delà de la nouvelle brute et de savoir s'interroger et réfléchir sur ce qui agite le monde.»

J’aurais deux observations sur cette notion de mal info ou d’info-minute. D’une part, les MT (médias traditionnels) ne seraient-ils pas en partie responsable de ce menu d’info-minute qu’ils proposent au public? C’est bien de responsabiliser l’individu, et de faire référence au «devoir de connaissance» du citoyen, mais lui en donne-t-on les moyens?

D’autre part, examinons ce qui se passe sur le Web qui, on le sait, est en train d’éroder sérieusement l’auditoire des MT. Gerry McGovern qui publie le bulletin New Thinking sur les contenus Web nous fait part cette semaine des perspectives pour 2005. Il écrit «Le coefficient d’attention raccourcit, et le contenu raccourcira. Il sera de plus en plus difficile de faire lire à quelqu’un plus de 500 mots.»

Le jugement est peut-être un peu lapidaire, mais ne lance-t-il pas un beau défi à tous les médias, tant anciens que nouveaux?

P.S. Le présent billet compte 399 mots.
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10.1.05

Pew : nouveau rapport, deux points forts

Le Pew Internet & American Life Project vient de publier un autre rapport d’enquête, cette fois sur l’avenir d’Internet (communiqué de presse et aussi texte complet en format PDF). Il est basé sur les réponses de 1 286 experts (technologues, universitaires, dirigeants de services gouvernementaux, personnes proches des médias) à un questionnaire comportant 24 questions.

Retenons deux points forts, d’une part sur la vulnérabilité du réseau, d’autre part sur l’influence des blogues.

Deux tiers des répondants (66 %) s’entendent pour dire qu’au cours des dix prochaines années, l’infrastructure du réseau Internet ou de transport d’électricité fera l’objet d’une attaque dévastatrice. Une compilation des réponses circonstanciées fournies par les répondants est disponible sur le site de la Elon University. Selon le Pew, s’il y a un seul consensus dans les prévisions des experts, c’est sur le sujet d’une attaque d’envergure contre le réseau, qu’elle soit logicielle ou physique. Notons que 11 % des répondants ont réfuté cette hypothèse, et que 7 % ont remis en cause la terminologie.

Concernant les blogues, sur une échelle de 1 à 10 (1=aucun effet, 10=changement radical), leur effet sur les médias traditionnels sera de 8,46. Au chapitre des incidences d’Internet sur les institutions, c’est la note la plus élevée accordée par les répondants, suivie de l’enseignement (7,98), du milieu de travail (7,84), de la médecine et des soins de santé (7,63), de la musique, du cinéma et des arts (7,18), des relations internationales (6,74), du secteur militaire (6,53), de la famille (6,24), des quartiers et des collectivités (6,16) et de la religion (4,69). Voir la compilation des réponses.

Selon un répondant, «L’effet le plus manifeste est la montée en puissance des blogues qui se taillent une part importante du marché de l’attention au détriment des médias traditionnels.»
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