24.4.04

Les photos que le Pentagone voulait cacher

CerceuilsMars 2003, quelques jours avant l’invasion de l’Irak, une première directive du ministère de la Défense des États-Unis précise qu’il n’y aura aucune cérémonie publique, ni couverture médiatique, pour le retour au pays des militaires tués au cours des opérations. Octobre 2003, une seconde directive interdit dorénavant la prise ou la diffusion d’images de cerceuils ou autres contenants utilisés pour transporter les restes de soldats étasuniens morts à l’étranger. Le Pentagone, on le comprend, voulait ainsi éviter l’effet négatif que ces images pouvaient avoir dans l’opinion publique à l’égard de l’occupation en Irak. C’est alors que Russ Kick, éditeur du site The Memory Hole (Le trou de mémoire), décide d’intervenir. Kick se décrit comme un anthropologue du Web. Il publie sur son site des informations qui ont été retirées d’autres sites Web, plus souvent qu’autrement pour des motifs de censure, ainsi que des documents qu’il obtient en vertu de la Loi sur l’accès à l’information (Freedom of Information Act).

Russ Kick dépose donc, en octobre 2003, une demande en vertu de cette loi auprès du Pentagone pour obtenir «Toutes les photos montrant des cerceuils (ou autres dispositifs) contenant les restes de militaires étasuniens à la base aérienne de Dover. Ceci inclut, sans s’y restreindre, les cerceuils qui arrivent, qui partent, et tout rite funéraire qui soit pratiqué. Dans le temps, cette demande vise la période s’échelonnant du 1er février jusqu’a présent.» Il dit avoir précisé la base de Dover car elle est le point d’arrivée de tous les corps rapatriés du front.

Kick n’est pas été étonné d’essuyer un refus, mais interjette appel. Le 29 mars, il trouve sur le site Web de la base de Dover une page (avec illustration) sur les procédures funéraires en vigueur, elle disparaît du site peu de temps après, mais est reprise par Kirk sur son site. Le 14 avril, le quartier général des opérations de transport de l’armée de l’air lui fait parvenir, sur cédérom, 361 photos correspondant à la description contenue dans sa demande initiale. La seule modification apportée par le Pentagone aux photos a été le masquage des insignes nominatifs.

Le 21 avril, le Seattle Times publie une photo, mais celle-ci lui arrive d’une personne, Amy Katz, dont l’amie, Tami Silicio, travaille pour une entreprise de Seattle, Maytag Aircraft, sous-traitante du Pentagone. Elle illustre des cerceuils recouverts du drapeau des États-Unis à l’intérieur d’un avion en partance du Koweit. La photo, publiée en page frontispice du Times, accompagne un article un article sur la triste tâche d’honorer les militaires tombés au combat et dans lequel Silicio est interviewée. Le lendemain Silicio, et son conjoint David Landry lui aussi à l’emploi de Maytag Aircraft, sont congédiés pour avoir violé les consignes sur l’interdiction de photographier les cerceuils militaires.
Le 22 avril Russ Kick, qui avait publié deux photos présumément prises par Silicio et une troisième d’origine inconnue rend disponible sur son site l’ensemble des photos qu’il a reçues du Pentagone. La nouvelle de cette diffusion fait le tour du globe à la vitesse d’Internet, et rapidement le serveur de Memory Hole ne peut accommoder toutes les requêtes. C’est alors que les sites Warblogging.com et Antiwar.com s’entendent avec Russ Kick pour se partager la bande passante d’un site miroir pour les photos.

Le chroniqueur Matt Drudge reprend cinq photos de Memory Hole sur son site, déclarant qu’à l’ère d’Internet, l’information et les images circulent sans égard aux décrets gouvernementaux. Il néglige toutefois d’accorder quelque crédit que ce soit à Russ Kick.

Le 23 avril, la station de radio de Seattle KTTH découvre que Katz et Silicio ont intenté en septembre 2000 une poursuite pour harcèlement sexuel contre la société Halliburton, alors dirigée par l’actuel vice-président Dick Cheney. Katz et Silicio étaient alors au Kosovo, à l’emploi de la filiale Brown & Root de Halliburton. Les deux femmes nient avoir orchestré la publication des photos de Silicio à des fins politiques, et n’avoir agi que par souci du besoin de savoir du public.

Interrogé sur la réaction du président à la publication des photos, le porte-parole de la Maison blanche Trent Duffy a déclaré qu’il estimait que c’était un rappel important des sacrifices consentis pour protéger le pays et libérer d’autres peuples. Si la diffusion de telles photos joue un rôle positif, ne devrait-on pas en lever l’interdiction? De répondre Duffy : «Ce n’est pas ce que j’ai dit [...] Dans toute cette affaire, nous devons être soucieux du respect de la vie privée et de la sensibilité des familles des disparus. C’est le fondement de notre politique, et notre plus sincère préoccupation.»

Pour sa part, le sous-secrétaire adjoint du ministère de la Défense, John Molino, a déclaré «Nous ne voulons pas que les dépouilles de nos militaires qui ont fait l’ultime sacrifice fasse l’objet d’une attention qui ne soit pas justifiée ou qui manque de dignité.»

F. GregoryParmi les groupes de familles de militaires, les avis sont partagés sur la diffusion des photos. L’organisme Military Families Speak Out se dit consterné par l’interdiction de prendre des photos, et par le congédiement de Tami Silicio et David Landry. «Nous croyons qu’aucune politique ou directive devrait s’interposer entre les citoyens et l’information relative à ce que nous coûte cette guerre» lit-on sur le site de MFSO. À l’agence aérospatiale des États-Unis (NASA), on met en garde les éditeurs de journaux qui seraient tentés de reprendre les photos dans leurs pages, et on les invite à en vérifier l’authenticité, car 73 d’entre elles seraient relatives à la tragédie ayant causé la mort d’astronautes de la navette Columbia le 1er février 2003. On cite notamment la photo de l’administrateur adjoint de la NASA, Frederick Gregory, en habits civils, rendant hommage à une des victimes de cette tragédie.
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18.4.04

Shoot down the pop-up

Depuis que la publicité a investi le Web (et non investi dans le Web), elle a été source de polémique. Les puristes y voyaient l’invasion d’un espace réservé à la communication et à l’échange, les réalistes comme un mal nécessaire au financement de contenus originaux, et les publicistes comme un nouveau véhicule qui amènerait à chaque cycle évolutif de nouvelles possibilités techniques.

Peu de sujets font l’unanimité en matière d’Internet et de Web, sauf peut-être l’omniprésence des publicités «pop-up» et «pop-under», la multiplication à l’infini de l’ouverture de fenêtres qui s’interposent entre le lecteur et le contenu, ou polluent l’arrière-plan de l’espace de travail. D’une part, l’ouverture inopinée d’une fenêtre pub distrait le lecteur de sites à contenu. On peut d’ailleurs dire la même chose des publicités clinquantes qui s’affichent parallèlement à un paragraphe qu’on tente de lire.

Un des spécialistes de cette technologie intrusive est à coup sûr Matt Drudge, qui publie le désormais célèbre Drudge Report. Non seulement nous sert-il deux nouvelles fenêtres de pub sur son site, mais le code HTML de sa page prévoit son «rafraîchissement» aux quatre minutes, ce qui occasionne chaque fois l’ouverture de deux nouvelles fenêtres.

Les publicitaires du Web estiment qu’en général, le «taux de clic» sur un bandeau publicitaire statique d’une page Web est d’environ 1 %. Pour sa part, le «pop-up» attire 12 % de plus de clics qu’un bandeau statique. Ça ne fait quand même que 1,12 % comme taux d’interaction.

Va pour les chiffres, mais examinons l’effet négatif sur l’expérience Web des utilisateurs. Et prenons un exemple tiré du «monde réel».

Samedi matin, grasse matinée, vous sortez au resto du coin pour prendre un café et lire un journal. Vous consultez la première page, et voilà qu’un démarcheur passe et dépose sans vous demander, sur «votre» journal, un dépliant publicitaire. Vous écartez le dépliant, ouvrez en page 2, et voilà qu’un autre démarcheur vient à son tour déposer son dépliant sur votre journal. Il est suivi de peu par un autre qui, lui, glisse un dépliant sous votre journal. Agaçant. Et le manège se poursuit chaque fois que vous consultez une autre page. Dans ce monde réel, on serait frappé par un tel manque de civilité; sur le Web, c’est monnaie courante. Énervant. Irritant.

On peut certes interdire l’ouverture de nouvelles fenêtres, ou désactiver la fonction javascript du fureteur avec le même résultat, mais alors on se prive de fonctionnalités transactionnelles ou de consultation. Une comparaison avec le pourriel est même permise. Une technologie (le courriel) qui vise à une meilleure et plus efficace communication est accaparée à ce point par le démarchage publicitaire non sollicité (pourriel) qu’il en vient à occuper une plus grande place que les communications de bon aloi.

Le mois dernier, le journal étudiant de l’Université Wayne (Michigan) publiait un article sur la camnpagne publicitaire du Parti républicain sur le Web qui a recours aux «pop-up». Le professeur de communication à UCLA Tim Groeling exprimait son étonnement de la décision des stratèges républicains. «Ce n’est pas que les “pop-up” soient illégaux, mais si vous les utilisez les gens n’éprouveront pas d’empathie pour vous» disait-il.

Si un des buts de la publicité est de créer une image sympathique d’un produit, service, entreprise ou candidat, pourquoi les annonceurs persistent-ils à utiliser les «pop-up»? Pour une marge de 12 % sur un hypothétique 1 %? Tant de contrariétés pour si peu?

Il ne faut donc pas s’étonner que les nouvelles versions de fureteurs comme Firefox offrent à l’utilisateur la possibilité d’interdire l’ouverture non souhaitée de nouvelles fenêtres, que Microsoft dotera ses prochaines versions de fonctions semblables, que la barre d’outils de Google les bloque et qu’il existe des logiciels auxiliaires comme Popup Killer aux mêmes fins.

Avec tant de fenêtres ouvertes, on comprend que les utilisateurs commencent à avoir froid.
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