20.11.04

Blogueur ou journaliste?

Les scénaristes de l’émission culte West Wing ont intégré dans l’épisode 119 (The Hubbert Peak) un court passage sur les blogues.

En bref: Un des conseillers du président (Josh Lyman) procède à un essai routier d’un véhicule utilitaire sport (VUS) et écrase accidentellement une petite voiture hybride. L’accident, sans conséquence physique grave, tombe mal pour la Maison blanche car il coïncide avec un vote au Congrès sur un amendement visant à forcer les fabricants automobiles à produire des véhicules plus efficaces sur le plan énergétique. L’affaire prend de l’ampleur quand un blogueur publie sur son blogue des photos de l’accident. «Bof, c’est pas important» se fait dire Lyman par des collègues, «Ce n’est pas un journaliste, ce n’est qu’un blogueur.» Lyman rejoint le blogueur par téléphone pour s’expliquer et lui demander de retirer les photos de son blogue, lui dit que la conversation est «off the record» (confidentielle). Au grand désarroi de Lyman, il constate alors que la transcription de la conversation est diffusée en temps réel par le blogueur sur son site.

L’analyste de Jupiter Research Michael Gartenberg tire certaines conclusions de cette première incursion des blogues dans l’univers de la télé étasunienne aux heures de grande écoute : en cette période post-électorale, les blogues sont bien implantés dans la culture populaire, au point qu’on puisse en parler dans une émission comme West Wing; la perception qui est véhiculée est qu’ils sont d’une redoutable efficacité sur le plan technique, mais que les auteurs/blogueurs n’ont pas d’éthique (i.e. un «vrai» journaliste aurait respecté le «off the record»); les grands médias ne comprennent pas l’univers des blogues, et en transmettent donc une image erronée, voire négative.

Chris Geidner, étudiant en droit de l’Ohio, estime que sur le plan juridique, la régle du «off the record» est consensuelle et doit être acceptée par les deux parties, ce qui n’était pas le cas dans le scénario de l’émission.

Pour Joshua Sharf, l’épisode évoque le fait que les blogueurs (certains, du moins, qui traitent de l’actualité) devront composer avec l’éthique journalistique, que s’ils ne veulent pas se limiter à citer des sources officielles» (grands médias), ils devront constituer leurs propres réseaux de contacts et respecter les règles établies (comme le respect de la confidentialité).

Bref, le débat se poursuit dans certains coins de la blogosphère (une sphère peut-elle avoir des coins?) à savoir si oui ou non les blogueurs sont des journalistes, et s’ils doivent adhérer à un quelconque code.
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19.11.04

Du bon usage de la piraterie

Du bon usage de la piraterieLe collègue Florent Latrive de Libération vient de publier un livre qui va certainement faire jaser dans certains milieux de la diffusion musicale, Du bon usage de la piraterie (sur le Net, s’entend), avec une préface signée Lawrence Lessig. Avant de parler un peu du contenu, notons une caractéristique intéressante de l’ouvrage, c’est un livre «shareware», c’est-à-dire disponible sans frais en version intégrale sur Internet, dans ce cas-ci en format PDF. Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas la formule du livre shareware, aussi appelé Lyber, consultez les explications de Michel Valensi. Latrive écrit d’ailleurs en clin d’oeil que le médium papier se montre «encore supérieur au medium numérique par sa qualité et la relation très symbolique entretenue par notre civilisation avec cet objet. Mais pour combien de temps?» (P. 137)

Sur la formule, Lessig écrit dans la préface de ce qu’il estime être un livre «important», que «À travers une explication détaillée des origines et de la nature de ce que l’on appelle désormais “propriété intellectuelle”, Latrive aide à la replacer dans un contexte social plus large. Et en rendant son texte disponible librement sous une licence Creative Commons, il démontre la valeur des arguments qu’il défend. Il y a dans ce livre certaines idées qui sont celles de Latrive. Elles sont bâties sur le travail de beaucoup. Et en rendant son travail librement disponible, il s’assure que d’autres pourront aussi s’appuyer sur ces idées.»

Latrive, dont j’avais déjà lu Pirates et flics du net (Seuil, 2000) écrit en collaboration avec David Dufresne, profite de ce qu’il soit journaliste. Le style est clair, concis, et les arguments étayés avec efficacité. Comment d’ailleurs s’attaquer à la piraterie sur Internet, en dégager les origines, citer des cas d’exemple, parler par la bande d’OGM et de brevets pharmaceutiques, et tirer un brillant épilogue du pillage de l’«immatériel» en moins de 170 pages.

Un des grands thèmes qui se dégage du livre est l’opposition entre la rareté (ses politiques et ses impasses) et l’abondance (dont l’évidence s’impose). Latrive écrit : «La propriété intellectuelle ne serait donc rien d’autre qu’une machine à fabriquer artificiellement de la pénurie. Quoi de plus abondant que la connaissance, la musique? La copie et l’imitation composent les canaux naturels de cette profusion (comme le rappelle l’origine du mot copie - copia - qui signifie abondance en latin) dont l’immatériel est devenu le nouveau démiurge. Pourtant, au moment où cette abondance semble pouvoir s’imposer, gouvernements et grandes entreprises ne songent qu’à l’entraver comme s’il s’agissait d’une dérive anti-sociale, sinon subversive, avec pour argument que seule la restriction de la copie offre aux créateurs une garantie de revenus. L’abondance, voilà l’ennemi: la profusion détruit le marché; un consommateur n’achetant pas un bien dont il dispose déjà à satiété. À cet apparent paradoxe, une raison: l’économie. Ou plutôt la difficulté de penser celle-ci en dehors du marché.» (P. 133).

Et c’est bien là que Latrive touche à l’argument clé de ceux et celles qui s’en prennent à la copie et à la redistribution des oeuvres, soit les revenus des artistes, des gérants et des grandes maisons de production. On cite constamment l’argument qu’Internet (l’échange de fichiers entre individus) nuit aux recettes de ventes, sans pour autant mentionner (sauf à quelques exceptions près Loco Locass, les Cowboys Fringants (voir le billet du 4 avril) et quelques autres) que la visibilité (ou l’audibilité) que procurent ces échanges contribuent à d’autres formes de revenus (spectacles, prestations télé, produits dérivés).

Et c’est encore sans parler des valeurs hors marché: «Ce décalage entre l’intérêt individuel des titulaires de droits et l’intérêt général des sociétés montre l’incapacité d’un marché des droits de propriété intellectuelle à appréhender tous les effets de la circulation de la connaissance et de la culture. Les économistes parlent dans ce cas d’externalités, pour définir les conséquences d’une activité économique sur la société dont les prix et le marché sont incapables de rendre compte. [...] le marché et le système des prix, fondés sur la rareté, sont incapables d’en rendre compte. Les marchands de culture et de savoir ne peuvent appréhender que ce qu’ils encaissent et vendent, et non les gigantesques bénéfices indirects engendrés.» (P. 157).

Quelle serait donc la solution? Politique. À la fois au sens de «la» politique, mais surtout «du» politique. «... étendre sans limites l’appropriation privée de l’immatériel est voué à l’échec: cette offensive se soldera soit par la dissolution complète du lien social et la stérilité économique généralisée, soit par des conflits toujours plus virulents entre les auto-proclamés propriétaires intellectuels et la gratuité anarchique. L’obstination absurde de l’industrie musicale face au développement de la copie numérique annonce bien les batailles à venir: criminalisation des usages individuels, affrontements stériles entre le public et les ayants droit, incertitude juridique et sociale pour tous. C’est donc l’extension politique de la gratuité qu’il faut viser, la réaffirmation du primat de l’échange social sur le commerce et l’organisation civilisée du non-marchand. L’objectif historique de la propriété intellectuelle est justement de tracer la frontière, mouvante, entre la marchandise et la gratuité. C’est ce sens-là qu’il convient de lui redonner aujourd’hui.» (P. 162)

Généreux, Latrive conclut avec une bibliographie détaillée sur le propos. Les éditeurs, et c’est courant en France, se montrent plus pingres et ne daignent pas constituer un index qui, dans un livre comme celui-ci, serait d’une grande utilité.

Précédemment sur ce blogue :

Comment la crainte de sous-protection engendrera la catastrophe

L’effet zéro du piratage

Musique sur Internet : Et le juge a dit...

L’universitaire, le marchand et le pirate
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Émeline Michel dans le NYT

Émeline Michel

La chanteuse haïtienne Émeline Michel, que l’on a parfois le plaisir de croiser rue Saint-Denis lors de ses fréquents séjours à Montréal, fait l’objet d’un article dans le New York Times à l’occasion de la sortie de son huitième disque, «Rasin Kreyol». Récemment, dans La Presse, le critique Alain Brunet écrivait «La voilà qui surfe allègrement sur un nouveau CD, Rasin Kreyol, concentré de soleil, de larmes, de sable, de boue, de konpa direct, de rara, de rythmes profanes et sacrés [...] un disque encore mieux fagoté, plus mature, voire un des meilleurs disques de musiques du monde en 2004.» Plus terre à terre, Normand Brathwaite, animateur de l’émission Belle et Bum, commentait comme suit le fait que les choses allaient très bien pour elle : «Quand Émeline Michel a participé à l'émission, elle est venue de New York en avion, pas en autobus.»

Toujours est-il le NYT cite un propos fort pertinent d’Émeline Michel sur Haïti : «“If you only look at the pictures they always show of Haiti,” she said, “we are always begging for something, or in big trouble. Because misery sells. But there is amazing stuff coming out of Haiti at the same time, beautiful art and music. This country has had a lot of suffering and pain and also so much strength and beauty”.»

Que dire de plus...
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18.11.04

Martin en Haïti

Quelques notes de l’Agence Haïtienne de Presse sur la visite de Paul Martin en Haïti, ses rencontres, ses déclarations.

«Port-au-Prince, 15 novembre 2004 (AHP)- Le premier ministre canadien, Paul Martin, a bouclé dimanche une visite de 12 heures à Port-au-Prince. [...] À l'initiative de chef du gouvernement canadien, une rencontre s'est tenue au Palais National entre des représentants partis et groupes de l'ancienne opposition, le premier ministre intérimaire haïtien, Gérard Latortue et un cadre de Fanmi Lavalas. "Cette rencontre a été d'autant plus importante que Fanmi Lavalas y a participé", a déclaré Paul Martin qui invite le gouvernement intérimaire à créer des conditions pouvant favoriser la participation du parti de Jean-Bertrand Aristide aux prochaines élections. [...] Concernant le mandat d'arrêt international que M. Latortue affirme vouloir lancer contre M. Aristide, Paul Martin a fait savoir que c'est une décision qui relève de la compétence du pouvoir en place et qu'il n'avait pas trop de commentaires à faire sur cette question. Pressé de questions par les journaliste sur une éventuelle participation d'Aristide au discussions agités par différents secteurs, Latortue a répondu : "Aristide est absent du pays, mais s'il revient on va l'intégrer dans ce dialogue". "Je n'ai pas attendu que le premier ministre canadien parle de réconciliation et dialogue pour ensuite emboîter le pas", a fait savoir Gérard Latortue qui s'est même dit à discuter Aristide s'il revenait au pays, alors que deux jours plus tard il faisait part de son intention de lancer un mandat international contre ce dernier.»

Sur cette question du mandat, qu’il soit local ou international, c’est un peu plus ambigu dans AlterPresse : «Concernant le mandat d'arrêt que le gouvernement a l'intention de lancer contre l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, le numéro 1 canadien, tout en affirmant ne pas vouloir commenter la décision d'une autorité étrangère, a toutefois fait savoir que son pays va prêter main forte aux autorités judiciaires haïtiennes dont les actions sont lentes, a-t-il estimé.»

Or, le lendemain, l’AHP rapporte : «Port-au-Prince, 16 novembre 2004 (AHP) - Le ministre intérimaire de la justice, Bernard Gousse a indiqué mardi qu'un mandat devra être lancé d'abord en Haïti contre le président Jean-Bertrand Aristide avant l'émission d'un mandat international. Plusieurs responsables de l'ancienne opposition avait salué vendredi (voir le billet du jour) l'annonce faite par le premier ministre intérimaire Gérard Latortue de l'intention de son gouvernement de lancer un mandat international contre M. Aristide qui réside actuellement en Afrique du Sud.»
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Extrait d’un débat

Débat organisé par «Le Monde» au Théâtre du Rond-Point, à Paris, lundi 15 novembre, en partenariat avec TNS Sofres, avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement.

«L'intérêt que portent les États-Unis à Haïti, ce n'est pas purement démocratique. J'ai été chargé du dossier pendant deux ans, comme représentant du secrétaire général des Nations unies. J'ai vécu en Haïti, où j'ai été victime de plusieurs attentats. Qui voulait me tuer? La politique du président Clinton était d'appuyer la solution négociée que nous avions proposée, signée par les militaires et par le président Aristide. Une force paramilitaire a été formée, le FRAP, avec à sa tête un monsieur qui s'appelait Toto Constant qui a empêché la mise en place de la solution négociée. Après trois mois, mes amis américains, avec qui j'avais souffert, m'ont dit : "Toto Constant est sur la feuille de paiement de la CIA." Haïti est la radiographie en chair et en os de la domination en Amérique latine.»

Dante Caputo, ancien ministre argentin des relations extérieures, chargé du rapport sur «La démocratie en Amérique latine» (Programme des Nations unies pour le développement, PNUD, 2004)
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Montée préoccupante de l'insécurité en Haïti, alerte OCHA

«La détérioration de la sécurité, particulièrement aux Gonaïves est particulièrement préoccupante indique aujourd'hui le Bureau de la Coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) dans un communiqué (en anglais) faisant le point sur la situation à Haïti. Le banditisme et les comportements criminels sont de sérieux obstacles à la mise en oeuvre des programmes humanitaires mais aussi au processus de transition qui permettrait de faire passer le pays d'une situation d'urgence à une phase de réhabilitation et de développement, indique OCHA qui souligne que les anciens membres des Forces armées haïtiennes font preuve d'une audace croissance dans leur façon de se poser en garants de l'ordre public, reprenant ce faisant le contrôle de fait d'un certain nombre de villes.»

Source: Centre des nouvelles des Nations Unies, 17 novembre 2004.
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14.11.04

Mandat contre Aristide : de la frime selon les organismes des droits

Cité dans AlterPresse : «“Une déclaration pour épater la galerie”. C'est ainsi que le Comité des avocats pour le respect des libertés réagit à l'annonce du lancement prochain d'un mandat d'arrêt international contre l'ancien président Jean-Bertrand Aristide. Le dirigeant du CARLI Renan Hédouville justifie ses réserves par diverses promesses non tenues par le gouvernement de Gérard Latortue concernant notamment la lutte contre l'impunité, l'insécurité et les violations de droits humains. Le directeur exécutif de la coalition nationale pour le respect des droits des Haïtiens (NCHR) Pierre Espérance affiche le même scepticisme, estimant que le gouvernement n'a pas encore fait montre d'une réelle détermination à combattre l'impunité.»

Par ailleurs, selon la chaîne sud-africaine News24, le gouvernement d’Afrique du Sud (qui l’a accueilli en mai dernier) n’entend pas extrader Jean-Bertrand Aristide même si un mandat était lancé contre lui. Selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ronnie Mamoepe, l’Afrique du Sud n’a pas de traité d’extradition avec Haïti.

Entretemps, le premier ministre Paul Martin effectue ce dimanche 14 novembre une visite-éclair en Haïti.
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